Responsabilité parentale

Le poids des faits

d'Lëtzebuerger Land du 13.03.2008

Il faut se rendre à l’évidence : de plus en plus d’enfants naissent hors mariage. Cependant, le droit luxembourgeois de la responsabilité parentale ne considère jusqu’à présent que le scénario classique des enfants de parents mariés. De l’autre côté, le gouvernement est obligé de se conformer aux règles internationales, supérieures à la loi nationale comme les principes d’égalité entre les enfants – légitimes ou illégitimes –, entre père et mère, le droit à une vie familiale et le droit de l’enfant d’entretenir des relations personnelles avec chacun de ses parents. L’enfant devient donc le centre des préoccupations et ses droits ne seront plus uniquement tributaires de l’état civil de ses parents – ce qui signifie un changement fondamental des paradigmes du droit familial.

Aujourd’hui, l’autorité parentale n’est partagée d’office que pour les parents mariés. Pour les autres couples, c’est la mère qui est la seule responsable. Une solution pratique, dépendant sans doute plus du fait que le père d’enfants nés hors mariage n’était souvent pas vraiment visible ni palpable, qu’il pouvait avoir un intérêt manifeste à rester dans l’ombre alors qu’il était plus évident de déterminer qui était la mère. Entre-temps, le fait d’avoir un enfant sans être lié par le mariage tient davantage du choix personnel que de l’accident extraconjugal. 

En pratique, le problème se pose surtout lorsque le couple se sépare. Dans l’idéal, les modalités de garde et de paiement d’une pension alimentaire sont établies dans une convention, ce qui permet au père de maintenir les liens avec son enfant. En cas de désaccord, la mère garde toujours le dernier mot, ce qui place le père en situation d’infériorité. Celui-ci peut tout aussi bien disparaître dans la nature et ne peut être obligé de contribuer financièrement à l’entretien et à l’éducation de son enfant ou de maintenir des liens avec lui qu’après une décision du tribunal. 

« Confronté au poids des faits et lié par les engagements internationaux, le législateur est conduit à procéder à une réforme dans le domaine de la responsabilité parentale », lit-on dans l’exposé des motifs du projet de loi relatif à la responsabilité parentale. « La coparentalité après la séparation, c’est le prolongement évident du partage des tâches et l’égalité des responsabilités ». Ce texte a été adopté par le conseil des ministres le 29 février, mais il n’a pas encore été déposé à la Chambre des députés. 

Selon le projet de loi, même si la responsabilité parentale n’est accordée exceptionnellement qu’à un seul parent, l’autre restera titulaire d’un droit de surveillance sur l’éducation de l’enfant. Et nul ne pourra plus se défiler de son obligation de participer aux frais – selon ses ressources personnelles. Toutefois, la responsabilité parentale ne sera pas accordée au père lorsqu’il aura été obligé de reconnaître, preuves à l’appui, son enfant suite à l’intervention de la mère devant le tribunal. Dans ce cas-là, les juges ne pourront pas partir du principe que le père attache un réel intérêt à l’enfant, même s’il est condamné à payer une pension alimentaire.

En outre, le principe de la résidence alternée sera ancré dans la loi et aussi accessible pour les couples divorcés. Le partage du droit d’hébergement n’est pas encore légalement prévu, mais il est d’ores et déjà pratiqué couramment. Là encore, la loi ne fait que s’adapter aux réalités – même si la formule moitié-moitié ne fonctionne que dans une minorité des cas. La présidente de l’Ombudscomité pour les droits de l’enfant (ORK), Marie Anne Rodesch-Hengesch, est personnellement d’avis qu’un enfant a besoin de savoir où sont ses attaches, quitte à rendre visite à l’autre parent aussi souvent que possible.

Le droit d’hébergement sera repris dans la convention élaborée par les deux parties en séparation, homologuée ensuite par le juge des tutelles. Celui-ci reprendrait d’ailleurs tout ce qui touche à la question de la responsabilité parentale – qu’il s’agisse d’un divorce ou d’une simple séparation. Au juge aussi de tenter de concilier les parents en leur proposant une médiation familiale par exemple. Cette idée est soutenue par Marie Anne Rodesch-Hengesch, car un médiateur pourrait aussi rendre attentif à tous les points potentiellement conflictuels, oubliés dans un premier temps, qui pourraient envenimer les relations par la suite. Le député Laurent Mosar (CSV), qui a déposé deux propositions de loi sur l’autorité parentale, estime lui qu’il faudrait prévoir une loi sur la médiation familiale avant de l’imposer systématiquement en cas de rupture. Il met aussi en doute la capacité réelle d’un médiateur à recoller les morceaux en cas de dissensions fondamentales et préfère miser sur l’autorité d’un juge.Autre changement fondamental : l’enfant a droit à la parole. Selon le texte du projet de loi, « les parents associent l’enfant à la prise de décision le concernant en fonction de son âge et de son degré de maturité. » Dans l’exposé des motifs, il est précisé qu’ « est affirmée ainsi l’exigence d’une mise en œuvre, au sein de la famille, d’une ‘démocratie parentale’ : les décisions qui concernent l’enfant capable de discernement doivent, dans la mesure du possible, recueillir son adhésion. » Reste à définir les notions « capable de discernement » et « dans la mesure du possible ».

Le gouvernement tient donc à supprimer le monopole de la mère en matière de responsabilité parentale. Or, cette situation avait déjà été dénoncée en 1999 par la Cour constitutionnelle. Le député CSV Laurent Mosar avait ensuite déposé une première proposition de loi en janvier 2004, un mois plus tard, le député ADR Jacques-Yves Henckes lui emboîtait le pas avec sa proposition de loi portant réforme de l’autorité parentale et instaurant la permanence du couple parental. Les députés CSV Marie-Josée Frank et Laurent Mosar ont ensuite pris une nouvelle initiative en mars 2006, en élargissant l’objet de la proposition au droit de filiation. Un an plus tard, le gouvernement prenait position en approuvant « les objectifs poursuivis par la présente proposition de loi, qui est d’ailleurs en ligne avec le projet de loi gouvernemental portant réforme du divorce. » Ce texte prévoit la possibilité d’opter pour l’autorité parentale conjointe en cas de divorce.

Pourquoi tant d’activisme autour d’un même thème ? Surtout qu’il s’agit pour la plupart d’initiatives du CSV. Contacté par le Land, le ministre de la Justice Luc Frieden n’était pas disponible cette semaine pour en dire plus sur l’opportunité politique de son projet de loi. Laurent Mosar maintient ne pas saisir la démarche de son collègue de parti, « car il n’y a pas de différences fondamentales entre les deux textes. Il y a même double emploi ! »

L’ORK a d’ailleurs lui aussi souvent insisté sur les avantages du partage de la responsabilité parentale. « La condition essentielle en est que les parents restent en relation et communiquent ensemble sur tout ce qui touche aux questions de l’intérêt de l’enfant, » insiste Marie Anne Rodesch Hengesch. Mais la pratique montre aussi le contraire : « Au début, j’ai surtout été saisie pour des questions de non-représentation, de parents qui voulaient entretenir des relations avec leurs enfants mais qui se heurtaient au refus catégorique de l’autre parent. Aujourd’hui, je suis saisie de questions autrement plus affligeantes, d’enfants qui me demandent d’intervenir auprès d’un de leurs parents pour qu’ils s’intéressent un peu à eux. » Au droit de visite s’associerait donc une « obligation de visite », la responsabilisation des parents pourra donc être renforcée par le projet de loi – pour autant qu’il aboutisse. 

Car l’inflation des textes émanant du gouvernement et du législatif n’arrange pas les choses. Surtout que les services du ministère de la Justice sont en train de réformer le droit de filiation, une thématique intimement liée à celle de la responsabilité parentale. Dans ce domaine tombent par exemple les situations où le père n’a pas reconnu son enfant dès la naissance et qu’il souhaite redresser cette erreur plus tard. « Il est fort à craindre que le Conseil d’État préfèrera attendre le texte sur la filiation pour aviser les deux projets de loi en même temps, soupire Laurent Mosar, dans ce cas-là, on ne pourra pas s’attendre à un vote avant les prochaines élections. Nous sommes partis pour la gloire ! »

anne heniqui
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