Violence domestique

Éclaboussures

d'Lëtzebuerger Land vom 03.04.2008

Drame familial. Un homme s’est tué après avoir assassiné son épouse. Fait presque banal reporté dans les médias sous la rubrique des faits divers. « Cette vue simpliste des choses me révolte, s’offusque Isabelle Klein, conseillère de direction su ministère de l’Égalité des chances et présidente du comité de coopération entre les professionnels dans le domaine de la lutte contre la violence domestique, de telles scènes sont le résultat du cycle classique de la violence. Ces drames peuvent être évités si un dépistage de la violence domestique est réalisé systématiquement et non pas au compte goutte. » 

Plus de quatre ans après l’introduction de la loi sur la violence domestique, c’est l’heure des bilans. Depuis novembre 2003, la police peut – sur ordre du Parquet – éloigner une personne violente de son domicile pour dix jours. Cette mesure peut ensuite être prolongée de trois mois par les juges. Le législateur avait voulu éviter que les victimes et leurs enfants doivent systématiquement quitter le domicile commun, alors que l’agresseur pouvait rester jusque-là dans le nid douillet. Or, même après l’expulsion, la remise des clés de l’agresseur à la police et l’interdiction de tenter d’entrer par effraction dans le domicile commun, de nombreuses victimes se sentent toujours plus en sécurité dans un refuge pour femmes. « 55 pour cent des lits dans nos foyers sont occupés par des personnes victimes de la violence domestique, » indique Isabelle Klein.

Le dépistage systématique de ce type d’agressions devrait être possible, maintient-elle. Surtout que son mécanisme est connu – des formations spéciales sont régulièrement effectuées auprès de la police et des professionnels du domaine social et de la santé. D’abord, le climat de tension avec la peur et l’anxiété vécues par la victime. La deuxième étape constitue l’agression et un sentiment d’outrage de la victime. Ensuite, l’auteur de la violence vient se justifier et le doute s’installe chez la personne agressée. La dernière étape est appelée « lune de miel » où l’espoir renaît chez la victime qui pense que tout ira mieux maintenant – avant une reprise du cycle et une nouvelle montée de tension. Dans la majorité des cas, la violence s’aggrave avec le temps. Selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la Santé, pour les femmes entre seize et 44 ans, la violence domestique est la principale cause de décès et d’invalidité – avant le cancer, les accidents de la route ou les guerres.

La formation des agents de police est importante, car ils sont les premiers à être confrontés aux crises aiguës. C’est d’ailleurs une des interventions les plus dangereuses pour les agents, explique Kristin Schmit de la police grande-ducale1, car les protagonistes sont souvent dans un tel état, qu’ils sont prêts à passer à l’attaque plutôt que de se laisser emmener par la police. « La cuisine n’est jamais loin avec tous les instruments nécessaires, » raconte-t-elle, sarcastique. 

Cependant, un dépistage doit pouvoir être possible avant l’intervention musclée de la police, ou au moins après, pour éviter une récidive. Les victimes sont systématiquement contactées par le service d’assistance aux victimes de violence domestique (SAVVD) qui a été instauré par la loi de 2003. Ce service reçoit automatiquement toutes les données concernant les expulsions effectuées par la police. Ensuite, les assistantes sociales appellent les victimes et leur donnent rendez-vous pour les soutenir dans d’éventuelles démarches à faire et se rendent sur place. Depuis novembre 2005, le service psychologique du SAVVD intervient aussi auprès des enfants témoins de violence. Car ils ont longtemps été laissés pour compte, l’attention était surtout portée à la situation de la victime « principale ». Entre-temps, les professionnels du secteur social se sont rendus compte que souvent, les enfants sont maltraités ou qu’ils n’ont pas été assez protégés. Selon le médecin généraliste et psychothérapeute belge Philippe D’Hauwe, spécialiste en matière de violence domestique, « l’impact de la violence est dommageable à tout âge, mais plus l’enfant est jeune, moins il dispose de mécanismes de défense. » Souvent, il reproduit même la conduite violente dont il a été témoin. Des troubles psychologiques comme l’anxiété, l’angoisse, des dépressions, des troubles du sommeil ou de l’alimentation et le syndrome de stress post-traumatique en sont quelques signes. Les plus visibles sont les troubles comportementaux comme l’agressivité, la violence, la baisse des performances scolaires, le désintérêt ou le surinvestissement scolaires, des phobies scolaires, des fugues, la délinquance, des idées ou tentatives suicidaires, la toxicomanie. Sans parler des symptômes physiques comme un retard de croissance ou du langage, des maux de ventre, des troubles respiratoires etc. De quoi interpeller le personnel enseignant et les pédiatres. 

« Pendant la période d’éloignement, la question doit être réglée sur l’autorité parentale, ajoute Isabelle Klein, comme certaines femmes préfèrent quand même changer d’adres­se après la crise, elles n’ont en principe pas le droit d’inscrire leurs enfants dans une autre école sans l’autorisation du père. Mais comme les enfants sont souvent un moyen d’exercer la pression pour l’agresseur, il y a des situations de blocage à ce niveau. La loi devra être adaptée sur ce point-là. » Surtout qu’il risque d’y avoir des contradictions juridiques comme le droit de l’enfant de voir ses deux parents et le droit du père d’avoir des liens avec son enfant contre le droit de l’enfant de se développer dans le calme et le droit de protection de la vie et de la santé de la mère. « Il n’existe pas de solution idéale en cas de violence domestique, note la professeure allemande Barbara Kavemann de la Katholische Hochschule für Sozialwesen Berlin, il ne reste que le choix du moindre mal. Décider quelle est l’alternative la moins nocive » Dans les cas extrêmes, cela signifie soit la rupture de tout contact, soit risquer de devoir continuer à supporter les effets de la peur et de la violence. 

La violence domestique est un problème de santé publique. « Nous, médecins généralistes, du fait de notre proximité avec les familles, sommes vraiment en toute première ligne pour détecter et prendre en charge la violence au sein des foyers, insiste le médecin Philippe D’Hauwe, c’est pourquoi il est important que nous puissions avoir un outil pour guider notre conduite face à ces situations dramatiques particulièrement lourdes à gérer. » Selon ses estimations, 24 pour cent des femmes victimes se confient en premier lieu à un médecin. Une situation délicate car souvent, il s’agit du même praticien pour les deux parties. « Nous avons longtemps essayé de sensibiliser les médecins pour qu’ils acceptent de rédiger un certificat médical-type, bien lisible pour les magistrats, raconte Isabelle Klein, mais nous nous sommes heurtés à ceux qui ne voulaient pas se mêler de problèmes familiaux, ou forcer une séparation. » Dans l’intervalle, des réunions du comité de coopération ont lieu avec le ministère de la Santé et l’Association des médecins et médecins-dentistes (AMMD) pour élaborer un certificat de déclaration médical standardisé. Car il s’agit là de la pièce maîtresse dans un dossier de justice. Le docteur D’Hauwe insiste sur le fait que l’incapacité de travail doit aussi être précisée pour les femmes qui n’ont pas de profession. Cette précision aide les magistrats à évaluer la situation.D’un autre côté, les praticiens avancent souvent l’argument du secret médical pour ne pas signaler les cas de violence domestique. Cette justification n’est pas valable, répond l’avocate Valérie Dupong, car le principe du secret entre en compétition avec l’abstention coupable. 

« Il existe une hiérarchie claire entre ces deux normes, estime-t-elle, la non-assistance à personne en danger est plus grave que le non-respect du secret professionnel. » Pour éviter le clash, les professionnels peuvent aussi avoir recours au « secret partagé » qui se pratique couramment, indépendamment de sa légalité. Et d’insister sur le fait que les tribunaux attachent une attention particulière à la « première parole », aux déclarations que la victime a formulées en premier – donc souvent au médecin. « En justice, il faut prouver le dommage que la victime a subi, insiste l’avocate. L’opinion médicale permet de faire le lien entre les lésions subies et les déclarations de la victime. »

Isabelle Klein est confiante que le message va passer auprès des médecins. Cependant, la situation est moins évidente concernant les services d’urgence des hôpitaux. « Nous leur avons proposé des formations sur la violence domestique, mais aucune clinique n’a répondu à l’appel, » regrette-t-elle.

D’un autre côté, elle est d’avis que les magistrats – qui devraient disposer des instruments nécessaires pour prendre des décisions « en connaissance de cause » – et la presse feraient bien de se former eux aussi en la matière. Pour sortir le phénomène de la violence domestique de la rubrique des « chiens écrasés ».

1 Lors d’une formation sur le dépistage et la prise en charge de la violence conjugale, organisée le 5 mars à l’Université du Luxembourg par Amnesty International et l’Association luxembourgeoise pour la formation médicale continue.

anne heniqui
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