Après la purge, la FNCTTFEL songe à une fusion avec l’OGBL

Knaatsch

d'Lëtzebuerger Land du 19.01.2018

Harmonie Ce mardi soir à Bonnevoie, l’harmonie du FNCTTFEL-Landesverband s’époumonait dans la salle de fête du Casino syndical. Deux ministres socialistes, Nicolas Schmit et Romain Schneider, se tenaient debout en première rangée, à côté du nouveau comité exécutif et des anciens présidents, Nico Wennmacher et Guy Greivelding. En deuxième rangée s’était positionnée la nomenclature de l’OGBL et l’administrateur délégué d’Editpress, Alvin Sold. Puis un trou et, à une certaine distance, les membres du Verband, pour la plupart des cheminots en chemise à carreaux. Assis le long du mur, les retraités attendaient patiemment la fin du discours. Le bluesman Lata Gouveia commence à gratter sa guitare, les petits pains et le vin sont servis. Décapitée il y a trois mois, l’ancienne direction était absente. Comme si le onzième président, Jean-Claude Thümmel, et ses juniors, le secrétaire général, Franky Gilbertz, et le vice-président, Yannick Jacques, avaient été gommés de l’histoire du Landesverband.

En octobre, le 66e congrès avait entériné la purge. À l’occasion, Nico Wennmacher, l’ancien et le nouvel homme fort du syndicat, s’était fait délivrer un mandat vaste et flou par les délégués : La renégociation du contrat de coopération signé en 2011 avec l’OGBL. Celui-ci devrait être « renforcé et élargi », « intensifié et sécurisé ». La résolution se terminait sur une étonnante tournure : « Si cette collaboration débouchait sur une possible fusion, il faudra veiller à ce que l’identité du Landesversband et de ses secteurs soit préservée. » Or, un petit syndical sectoriel ne « fusionne » pas avec un appareil bureaucratique et hiérarchisé pesant 68 000 membres et une centaine de permanents ; il s’y dissout. Surtout s’il négocie à partir d’une position de faiblesse.

n°12 Catapulté président il y a quatre mois, Georges Merenz allie bonhomie et affabilité, un Veräinsmënsch. (Il est ainsi trésorier du « club officiel » de Harley Davidson – à ne pas confondre avec les Hells Angels et autres Bandidos.) Le douzième président du Landesverband en sera peut-être le dernier, la fin d’une illustre lignée qui remonte à 1909 et qui avait structuré le paysage de la gauche luxembourgeoise. Merenz est encore peu à l’aise dans ses interventions publiques. Ses réponses sont souvent monosyllabiques et sa connaissance des dossiers approximative. Merenz a intégré les CFL en 1991, il y travaillera comme conducteur de train. Sa carte au LSAP, il ne l’a prise qu’il y a trois ans ; sans y être « extrêmement actif » ni avoir « des ambitions politiques », précise-t-il. (Il a pourtant signé la lettre ouverte intitulée « Programm vor Spitzenkandidat » ; co-rédigée par Wennmacher, elle appelle à un « programme électoral résolument socialiste ».) Comme raison de son adhésion au parti, il cite ses nouvelles responsabilités au Landesverband. En 2010, il fut en effet nommé délégué à la sécurité, une manière de professionnaliser son activité syndicale.

« Le scénario le plus probable est celui d’un nouveau président faible, opérant sous la tutelle des retraités », écrivait le Land en juin. « Ce n’est pas comme si Nico dirigeait tout ici ; je ne suis la marionnette de personne », se défend Merenz. Le rôle de Wennmacher serait celui de vieux sage (« een aalen Hues ») auquel la nouvelle direction demanderait conseil. Pour Josy Konz, président du Landesverband entre 1985 et 1998, Wennmacher serait « le seul à pouvoir mener à bien le projet [de coopération/fusion] ; c’est lui qui a parenté la nouvelle direction ». Lorsqu’on pose la question au concerné, il sourit, puis répond : « J’aide là où on a besoin de moi. » Si le septuagénaire apparaît comme le président officieux du Landesverband, c’est également parce que le syndicat est une organisation de vieux. Entre trente et quarante pour cent (les chiffres varient selon à qui on parle) des quelque 5 000 membres du Landesverband sont des retraités, une pyramide des âges qui favorise tout naturellement une tendance gérontocratique. En novembre, un mois après la décapitation de la direction, Le Signal, la publication officielle du syndicat, titrait en Une : « Pensioniertenfeier und Jubilarenehrung – D’Stäip vun eisem Verband ».

1909-2019 Les négociations avec l’OGBL ont débuté fin décembre et se poursuivront tout au long de 2018. Elles se mènent en huis clos et en petit comité entre les présidents (plus Wennmacher) et leurs lieutenants. Peu filtre à l’extérieur ; le message officiel martelé reste : La fusion n’est « qu’une possibilité parmi d’autres ». Mais face à l’érosion du nombre de membres, à une base démobilisée et à une carence de cadres, le Landesverband devra, tôt ou tard, se mettre sous la tutelle du grand frère. En cas d’une « fusion », seuls les cheminots réussiraient à s’aménager une niche, en créant par exemple un « Syndicat Landesverband » au sein de l’OGBL, gardant ainsi intacts postes, symboles et autres ornements. Quant aux sections « service public » et « pensionnés », ils finiront engloutis.

La seule précision que laisse filtrer Georges
Merenz sur les négociations en cours, c’est qu’elles n’aboutiront pas avant les élections sociales de mars 2019. (Incidemment, le prochain congrès de l’OGBL se tiendra en décembre de la même année.) La résolution votée en octobre par le congrès stipule que « le résultat de ces entretiens doit être soumis à un congrès pour approbation ou rejet ». En théorie, le congrès pourrait imposer un référendum auprès de tous les membres. En 1978 déjà, la direction du Landesverband avait prématurément donné son feu vert à une adhésion à l’OGBL nouvellement constitué. Or, la base entra en mutinerie, formant un « comité d’action pour l’unité du Landesverband » sous le slogan « Mir wëllle bleiwe wat mer sinn ». Prise de court, la direction promit un référendum lors duquel pas moins de 87 pour cent des votants se prononçaient contre une entrée dans l’OGBL. Or, parmi les membres réunis ce mardi soir pour le pot du nouvel an, la perspective d’une possible « fusion » est évoquée sans sentimentalisme. Même parmi des anciens qui, il y a quarante ans, avaient voté « non », on aura rencontré peu de patriotisme d’organisation. L’OGBL de 2018 n’est en effet pas celui de 1978 ; sous les présidences Reding et Roeltgen, le syndicat s’est largement ouvert à la fonction publique.

Alors que la FNCTTFEL se rapproche de l’OGBL, le Syprolux, l’autre syndicat (minoritaire) des cheminots, prend ses distances par rapport au LCGB. Le contrat de coopération unissant les deux syndicats serait « en veille » depuis quatre ans, dit la présidente du Syprolux, Mylène Wagner-Bianchi. La faute au repositionnement du LCGB comme syndicat du seul secteur privé, une autopromotion qui s’accompagnerait de relents anti-fonctionnaires : « Lorsqu’au 1er mai, on se retrouve en première rangée et qu’on reçoit des claques, alors on se sent quand même un peu idiot », dit Wagner-Bianchi. On peut s’étonner qu’à aucun moment, une fusion entre le Syprolux et le Landesverband n’ait été évoquée. « Ils peuvent venir vers nous », dit Merenz. Et l’inverse ? « Je dirais plutôt que non... » De l’autre côté, même son de cloche : « La scène syndicale, c’est aussi un petit business. An d’Konkurrenz belieft d’Geschäft », dit Mylène Wagner Bianchi.

Alea jacta est Quand on demande à Georges Merenz son interprétation de la guerre intestine qui vient d’ébranler le Landesverband, il répond : « Knaatsch ass et ginn » ; mais refuse d’entrer dans les détails. Tout est allé très vite. Le conflit explose en février 2017 lorsque, sans avoir cherché l’aval de son comité exécutif, Jean-Claude Thümmel envoie un communiqué à la presse dans lequel il critique les « politiciens responsables » du Tice (Syndicat pour le transport intercommunal), parmi lesquels il cite nommément Roland Schreiner. Or, le maire socialiste de Schifflange est également trésorier du Landesverband. (Comme responsable communal, il représentait l’employeur, comme responsable syndical, les employés du Tice ; un conflit d’intérêts qui, jusque-là, n’avait apparemment gêné personne.) Se sentant trahi (« le Rubicon est franchi ! »), Schreiner démissionne le jour même du bureau exécutif.

En s’attaquant de front à un membre émérite de la direction, Thümmel signalait qu’il ne comptait plus ménager les liens personnels qui unissent le Landesverband et le LSAP. Il avait mal évalué le rapport de force. Nico Wennmacher, qui siège depuis quarante ans au comité exécutif, lança une contre-offensive avec beaucoup de finesse tactique. Mettant en minorité le président Thümmel au sein du « Verbandsrot », il fit d’abord avancer le congrès d’une année. Fin juin, Thümmel subit une seconde défaite, décisive. À la conférence sectorielle des chemins de fer, où est désignée la future direction du syndicat, il n’est élu qu’en quatorzième position, son jeune secrétaire général finissant dix-neuvième. Deux ans et demi après avoir accédé à la direction du syndicat, la nouvelle équipe était mise KO par sa propre base.

L’édition de septembre du Signal était comme une capsule temporelle, la preuve que l’ancienne garde était de retour au pouvoir. Normalement réservé au président en fonction, l’éditorial était signé par Nico Wennmacher, pourtant parti à la retraite en 2009. « Nach bisherigen Informationen wird eine dynamische und kompetente Exekutive die Leitung des Landesverbandes übernehmen, présageait-il. An der kurz- und mittelfristigen Prioritätensetzung wird sich nicht sehr viel ändern. » Si la guerre intestine n’a pas dégénéré en shitstorm médiatique, c’est grâce à l’intervention de l’ancien président Josy Konz. Fin juin, il invite Thümmel et Gilbertz à un déjeuner et en appelle à leur sens de loyauté envers le syndicat : « Je leur ai dit : ‘Baut elo kee Schäiss ! Ne faites pas de tam-tam !’ En fin de compte, ils n’auront pas fait de déclarations, ce qui était positif et a permis au congrès de se dérouler calmement. » Jean-Claude Thümmel n’y participera pas, et le congrès anticipé se tenait sans heurts, finissant même avant l’heure.

Purge Il y a plusieurs niveaux d’interprétation de ce « Knaatsch ». La Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek y voyait un « putsch » du LSAP dirigé contre Déi Lénk. Déjà dans leur papier stratégique de 2014, Fayot père et fils, Marc Limpach et Christophe Schiltz regrettaient que des « Linke » seraient « tonangebend » dans le Landesverband. Le triumvirat Thümmel-Gilbertz-Jacques est en effet proche de Déi Lénk ; tandis que Wennmacher-Greivelding-Schreiner sont des piliers du LSAP. Durant leur longue traversée du désert, les trotskistes avaient trouvé un oasis dans le Landesverband. François Bausch, Jean-Claude Thümmel, Justin Turpel et d’autres militants de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) rencontraient chez les cheminots un terrain accueillant, ou du moins moins hostile que dans un OGBL au fonctionnement bureaucratique et centralisé. « J’ai toujours pensé qu’un bon LCR pouvait devenir un bon socialiste ; l’histoire l’a montré », dit ainsi Josy Konz. Vu de l’extérieur, le limogeage de Thümmel ressemble donc beaucoup à une Reconquista socialiste.

Mais c’est peut-être un peu court. Le cas Landesverband illustre la lente érosion du LSAP, et du rôle qu’y jouent les syndicats. Ainsi, Albert Bousser, le cinquième président du Verband, fut nommé ministre des Transports en 1964 et son successeur, Fons Hildgen, président de la fraction du LSAP en 1976. Josy Konz, le président n°8, réussira en 1982 à se faire élire maire de Mamer. Par contraste, Guy Greivelding (n°10), candidat socialiste à Steinsel aux dernières communales, n’aura pas réussi son entrée au conseil. Le président n°9, Nico Wennmacher, marginalisé au sein du LSAP, où il joue le rôle de la (mauvaise) conscience de gauche, n’était même plus candidat.

Le nerf de la guerre Le trésor du Landesverband ne fera pas l’objet des négociations avec l’OGBL. Dans l’hypothèse d’une fusion, la Coopérative Casino syndical Luxembourg, qui gère le patrimoine, essentiellement immobilier, du syndicat restera autonome. Greivelding (président du CA) et Wennmacher (vice-président) garderont donc le contrôle sur les finances. La coopérative fut refondée en 2014 en tant qu’entité juridique séparée du Landesverband – pour réduire le risque d’une condamnation pour dommages et intérêts en cas de grève ou de manifestation. En 2016, son bénéfice se chiffrait à 300 519 euros pour un total du bilan de 11,94 millions d’euros. La coopérative loue quelques appartements à des particuliers, son ancien supermarché à Bonnevoie (1 200 mètres carrés) à Cactus, ainsi qu’un hall de stockage à Hamm (2 000 mètres carrés) à un exploitant d’une aire de jeux indoor. La Coopérative détient également 17 pour cent des parts d’Editpress. Ce qui assure au trio Wennmacher-Greivelding-Schreiner des sièges au conseil d’administration du groupe de presse.

Bernard Thomas
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