Après l'accord de Feira

Une question d'interprétation et de nuances

d'Lëtzebuerger Land du 29.06.2000

Les opinions continuent à diverger sur la signification et la portée exactes du paquet fiscal ficelé non sans peine entre les Quinze lors du récent Conseil européen de Feira. Pour les uns, une majorité d'États membres aurait eu raison des pays dits à secret bancaire (Luxembourg, Autriche, Portugal, Grèce, Belgique) qui ont dû accepter qu'à terme et selon un échéancier plus ou moins contraignant la culture du secret bancaire disparaisse. Pour les autres, rien n'est moins sûr que tel sera le résultat des courses. En effet, le passage vers un système d'échange d'informations fiscales et sa généralisation est conditionné par toute une série de préalables et surtout par l'inclusion de pays tiers dans ce système.

Afin d'y voir clair, il n'est pas inutile de se reporter aux documents essentiels adoptés à Feira. Il y a d'abord le rapport transmis au Conseil européen par le Conseil Écofin. En effet, les ministres de l'Économie et des Finances siégeaient en parallèle et sans désemparer à Feira en marge du Conseil européen. C'est à l'arraché et après plus de quinze heures de négociations qu'ils parvenaient à transmettre aux chefs d'État et de gouvernement un accord global. Le Luxembourg y était représenté par les ministres Henri Grethen et Luc Frieden, ainsi que par l'administrateur général du ministère des Finances, Reinesch.

Ce document résume parfaitement la marche à suivre. Il rappelle tout d'abord que la future directive sur la fiscalité de l'épargne ne s'applique qu'aux non-résidents. Ensuite, il fixe comme « objectif ultime » l'introduction d'un système d'échange d'informations sur « une base aussi large que possible ». D'ici là, les États membres ont le choix de pratiquer soit l'échange d'informations entre eux, soit une retenue à la source. Au cas où ils choisissent cette dernière option, ils se déclarent d'accord de transférer « une partie appropriée » de leurs revenus à l'État de résidence de l'investisseur. Le Luxembourg et l'Autriche sont donc parvenus à obtenir satisfaction sur le maintien en état pendant une période transitoire du modèle de la coexistence entre les deux systèmes.

Le point 2, paragraphe c) de ce texte est le morceau de résistance et sans doute la principale pierre d'achoppement dans la réalisation de l'objectif ultime. Il dispose « qu'afin de préserver la compétitivité des marchés financiers européens », des discussions soient entamées sans plus tarder avec les États-Unis et des pays tiers clefs (la Suisse, le Liechtenstein, Monaco, l'Andorre et San Marino) afin « de promouvoir l'adoption de mesures équivalentes dans ces pays ». 

En même temps, les pays membres « s'engagent à promouvoir l'adoption des mêmes mesures dans tous les territoires dépendants ou associés (les îles anglo-normandes, l'île de Man et les territoires dépendants ou associés dans les Caraïbes). » Dès qu'une « assurance suffisante en ce qui concerne l'application des mêmes mesures dans les territoires dépendants ou associés et de mesures équivalentes dans les pays nommément cités aura été obtenue, le Conseil décidera à l'unanimité de l'adoption et de la mise en œuvre de la directive au plus tard le 31 décembre 2002. »

Finalement, les pays ayant opté pour la retenue à la source s'engagent à passer à l'échange d'informations « dès que les conditions le permettent et en tout cas pas plus tard que sept ans après l'entrée en vigueur de la directive. » Après avoir surmonté les hésitations autrichiennes, le Conseil européen ne pouvait qu'entériner cet accord politique conditionnel ainsi que les déclarations unilatérales qui renforcent encore la conditionnalité du compromis. 

Dans les conclusions de la présidence portugaise, le dénouement est évoqué comme suit : « Le Conseil européen approuve le rapport sur le paquet fiscal établi par le Conseil Écofin, les déclarations inscrites au procès-verbal du Conseil ainsi que l'accord dégagé sur les principes et orientations de ce paquet fiscal. Il approuve le calendrier convenu, qui prévoit un cheminement progressif vers l'échange d'informations en tant que fondement de l'imposition des revenus de l'épargne des non résidents. Le Conseil européen demande au Conseil Écofin de poursuivre avec détermination les travaux sur tous les volets du paquet fiscal de manière à ce que, dès que possible et au plus tard à la fin de 2002, un accord intégral puisse être dégagé sur l'adoption des directives et la mise en œuvre de l'ensemble du paquet fiscal. »

Pour se faire une idée un tant soit peu précise de la portée exacte de cet accord politique, il est utile de se reporter aux déclarations des uns et des autres inscrites au procès-verbal du Conseil Écofin. Elles sont d'ailleurs reprises dans les conclusions de la présidence. Tout d'abord, il y a une pétition de principe qui souligne le caractère conditionnel de l'arrangement : « Tous les États membres escomptent que les questions encore en suspens indiquées ci-dessous seront résolues avant que le Conseil adopte la directive. »

Il y a tout d'abord une référence au principe de l'unanimité, qui doit rassurer le Luxembourg : « Le Conseil déclare que la référence à l'unanimité figurant au point 2, sous c), est faite sans préjudice de l'issue des travaux de la CIG. » Ensuite, le Conseil et la Commission s'engagent à chercher un accord sur le contenu essentiel de la directive, « y compris sur le taux de la retenue à la source », avant la fin de l'an 2000. Ceci peut paraître un vœu pieux, car depuis des années il y a des divergences de vues considérable sur le contenu de la directive en ce qui concerne la retenue à la source. Les divergence portent à la fois sur le taux de celle-ci, son champ d'application (faut-il y inclure ou non les fonds d'investissement et les euro-obligations notamment ?) et le caractère libératoire ou non. 

Les déclarations reflètent d'ailleurs parfaitement le gouffre qui divise les États membres, tant pour ce qui est de l'agencement de la retenue à la source que pour la durée de la période transitoire. À en juger d'après la déclaration unilatérale de dix pays membres, l'on va assister à une belle foire d'empoigne autour de ces questions. L'Allemagne, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, la France, l'Irlande, l'Italie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède « prévoient » en effet « que le taux de la retenue à la source sera d'au moins 20 à 25 pour cent et estiment que l'échange d'informations devrait être introduit dans les cinq années qui suivent l'adoption de la directive ». L'on sait que le Luxembourg plaide pour une période de transition de sept ans et un taux libératoire de dix pour cent. Il a obtenu partiellement satisfaction car le rapport du Conseil Écofin au Conseil européen prévoit le passage au système d'échange d'informations pas plus tard que sept ans après l'entrée en vigueur de la directive.

Mais c'est surtout l'application extraterritoriale du système d'échange d'informations, donc les arrangements à conclure avec des pays tiers et les territoires associés ou dépendants, qui donne au Luxembourg une marge de manœuvre et une capacité réelles d'empêcher une adoption trop hâtive de la directive. Notre pays, qui a bataillé ferme pour exiger que ces arrangements prévoient des mesures « identiques » et non pas seulement « équivalentes », a fait acter sa position exigeante dans les termes suivants : « Le Luxembourg considère que les 'mesures équivalentes' et les 'mêmes mesures' visées sous c) couvrent également la mise en œuvre de l'échange d'informations. » 

En d'autres mots, il se réserve le droit de porter le moment venu son propre jugement sur la question de savoir si effectivement « des assurances suffisantes concernant l'application de ces mesures auront été données. » Cette appréciation, qui doit recueillir l'unanimité et qui sera faite avant la fin de l'an 2002, conditionnera la suite des évènements et notamment l'adoption à l'unanimité de la directive. À en juger d'après les premières réactions hostiles devant la perspective de devoir sacrifier le secret bancaire, le Luxembourg peut compter sur la Suisse notamment pour faire durer le plaisir et repousser les échéances.

 

Mario Hirsch
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