Paris se lance dans le « Budget participatif ». Cette initiative se prête-t-elle comme référence pour les villes du Luxembourg ? 

Plus qu’un gadget exotique

d'Lëtzebuerger Land du 28.11.2014

Depuis le 1er octobre, sous l’impulsion de sa nouvelle maire socialiste, Anne Hidalgo, Paris est devenue la seconde capitale européenne après Lisbonne à avoir réalisé le budget participatif pour l’ensemble des habitants de la ville. En suivant l’exemple brésilien se trouvant à l’origine du budget participatif vers la fin des années 1980, ainsi que celui bien plus récent de villes comme New York, Cologne, Berlin ou Chengdu en Chine, Paris devient une nouvelle référence de taille pour les villes qui cherchent à renforcer leur légitimité démocratique et accroître l’inclusion des citoyens.

À la différence d’autres budgets participatifs, son fonctionnement est particulièrement simple. Pendant une semaine (du 24 septembre au 1er octobre), tous les habitants – sans limitation d’âge ou de nationalité – ont eu la possibilité de se prononcer de manière décisionnelle sur quinze projets proposés par la Ville de Paris. Ces derniers portent sur cinq pour cent du budget d’investissement, soit un montant total de 426 millions d’euros entre 2014 et 2020. Pour la première année budgétaire (2014-2015), vingt millions d’euros étaient mis en jeu, une somme conséquente qui va s’accroître dans les années à venir.

La participation s’est voulue aussi inclusive que possible. Les Parisiens pouvaient voter pour cinq projets qu’ils souhaitaient voir se réaliser, soit en ligne soit dans l’un des 200 points de vote « physique » installés dans les équipements municipaux. Différentes personnalités, issues du monde du spectacle, du sport et de la société civile, ont été mises à contribution pour promouvoir l’initiative à travers des mini spots. Ainsi Thierry Marx, le fameux chef cuisinier de l’émission Top Chef, a insisté sur l’importance d’être « acteurs du renouveau de Paris », et Nicolas Hulot, l’inoubliable explorateur d’Ushuaia, a souligné que le projet « donne la possibilité d’avoir quelques clefs du trousseau de clefs du budget de la ville de Paris ».

Parmi les quinze projets soumis au vote des Parisiens, dix – d’un coût allant d’un à 3,7 millions d’euros – ont été retenus. Il y a des propositions à vocation écologique, comme celle visant à faire disparaître une quarantaine de murs aveugles, en les végétalisant. Mesure qui selon ses promoteurs permettra d’embellir les quartiers concernés, d’améliorer la qualité de l’environnement en créant un microclimat, et de renforcer la biodiversité en offrant un abri aux oiseaux et aux petits mammifères.

Dans le même esprit, un autre projet vise à étendre les jardins pédagogiques dans l’ensemble des écoles maternelles et primaires de la capitale. Les enfants pourront ainsi se rapprocher de la nature, en travaillant dans des vergers et potagers adaptés à cet usage. Pour reprendre les termes de Nicolas Hulot, il s’agit d’un moyen de ramener la campagne dans la ville.

Mais il y a aussi des projets à vocation professionnelle, comme celui introduisant des espaces de co-working entièrement équipés (wi-fi haut débit, logiciels avec applications spécialisées, etcetera) pour les jeunes entrepreneurs et les étudiants, afin de favoriser l’insertion professionnelle des étudiants et accompagner le développement des entreprises. Enfin, la culture est aussi mise en avant, avec la rénovation et l’ouverture de 33 kiosques parisiens qui seront dédiés à de multiples activités gratuites : musique, danse, théâtre, marionnettes, jeux, démonstrations et pratiques sportives...

Ces exemples, qui seront réalisés dans le courant de l’année 2015, montrent que le budget participatif permet la mise en place de projets concrets, visibles et utiles pour l’ensemble d’une communauté urbaine. Les passants et automobilistes seront sensibles à l’amélioration de leur environnement grâce aux façades végétales. Les écoliers parisiens seront initiés aux joies et peines du travail dans les potagers. Les artistes pourront se consacrer à leurs passions dès les premiers jours du printemps, grâce aux kiosques qui auront retrouvé une seconde jeunesse. Enfin, des étudiants seront initiés au monde du travail grâce aux espaces de co-working avec les entreprises. Autrement dit, il ne s’agit pas d’un simple exercice de marketing politique, car les choix des citoyens sont pris en compte, les projets sont sérieux, et un montant conséquent est mis en jeu.

Certes, des améliorations devraient être apportées à cette première expérience parisienne. En premier lieu, il serait souhaitable que les projets mis au vote ne résultent pas uniquement d’un choix imposé par l’administration de la Ville, mais d’une forme de consultation impliquant également la société civile, les représentants des quartiers et les simples citoyens. Des efforts devraient être aussi entrepris pour tenter d’impliquer plus de citoyens : la plupart des Parisiens n’étant en effet pas au courant de cette initiative, seulement cinq pour cent de la population ont voté.

Mais il est probable qu’avec la répétition annuelle du vote, la popularité du budget participatif ne cessera de s’accroître. Enfin, les projets devraient être davantage débattus avec les citoyens des quartiers, afin que ceux-ci puissent s’en faire une opinion plus approfondie. Toute forme de souveraineté directe – comme le Budget participatif, mais aussi les référendums ou les pétitions en ligne – doit s’accompagner par des efforts redoublés d’information et de débat, pour sauvegarder les électeurs des dangers du populisme et de la désinformation.

Quid du Luxembourg ? En dépit de la publicité et d’un site plus lisible et informatif (https://budget.vdl.lu/), peu nombreux sont les citoyens qui ont remarqué que, pour la deuxième année consécutive, la Ville de Luxembourg tente d’introduire le budget participatif. Comme l’année dernière, les citoyens peuvent s’inscrire et débattre pendant un mois – du 10 novembre au 8 décembre – dans un forum consacré au budget de la Ville sur base de thématiques qui leur sont imposées. Étant donné l’absence de pouvoir décisionnel de cette consultation, et le fait qu’un projet de loi sur le budget, même simplifié, est difficilement compréhensible pour le commun des mortels, il n’est pas étonnant qu’une nouvelle fois, presque personne n’ait activement contribué au forum. À force de proposer des budgets participatifs qui comptent pour du beurre, la réaction naturelle ne peut être que l’indifférence ou le cynisme.

L’exemple de Paris, relativement simple dans son fonctionnement, pourrait servir de référence non seulement pour améliorer le budget participatif de la Ville de Luxembourg, mais aussi en vue de l’introduire dans d’autres agglomérations du grand-duché. À ceux qui craignent que le budget participatif soit un instrument susceptible de mettre en danger le fonctionnement de la démocratie représentative, les multiples expériences montrent qu’au contraire, grâce à celui-ci, le travail des représentants politiques locaux est mieux reconnu, car les citoyens sont encouragés à se familiariser avec le fonctionnement de la politique locale et l’élaboration de son budget. Par ailleurs, son introduction permettrait de mieux intégrer les nombreux étrangers qui résident dans nos villes et contribuent au bien-être de notre pays. Enfin, en garantissant l’écoute des opinions des citoyens sur des projets attentivement sélectionnés, il ne peut qu’accroître le sentiment de légitimité démocratique.

Le cas de Paris ne fait que renforcer le constat que le budget participatif n’est pas un simple gadget exotique pour les « pays en voie de développement », mais une réalité bien établie dans un nombre croissant de villes d’Europe, des États-Unis et d’Asie. Il est révélateur d’une modernité qui dépasse les clivages politiques, fondée sur la reconnaissance de l’inévitable complexité d’une souveraineté démocratique.

Raphaël Kies
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