Urbanisme sur les friches

Utopia 2006

d'Lëtzebuerger Land vom 13.04.2000

« Bienvenu à Esch, ville défavorisée » affirmait récemment une grande affiche posée le long des principales artères et croisements d'Esch-sur-Alzette, signée Déi Lénk. Elle n'est restée que quelques jours, puis fut remplacée par celles, plus classiques, de tous les partis, portant les photos des candidats aux élections communales du 30 avril et des slogans bien plus banals. Or, il demeure que tout se passe comme si Esch avait perdu sa fierté d'antan, d'il y a 25 ans, avant le déclin de la sidérurgie, lorsque la « métropole du fer » pouvait encore affirmer fièrement qu'elle était, depuis le début du siècle, le berceau de la richesse du pays.

« Je me rappelle, raconte Alvin Sold, qu'à mes débuts ici, il y a 23 ou 24 ans, le soir, quand je rentrais chez moi à Luxembourg, j'étais le seul à quitter Esch, alors que dans l'autre sens, cela bouchonnait sur l'autoroute, les gens affluaient de tout le pays pour venir travailler à l'Arbed, à l'heure de la relève des équipes. » Aujourd'hui, les bouchons matinaux se situent en direction de Luxembourg, lorsque les Eschois et les frontaliers vont travailler, la plupart dans le secteur tertiaire. Alvin Sold est aujourd'hui directeur d'Editpress, donc e.a. éditeur du tageblatt, et, depuis juillet 1999, président du Comité Esch 2000 asbl. Une association libre qui s'est créée à l'initiative des associations de commerçants afin de réfléchir à la revalorisation de la ville. « Nous n'avons aucune filiation politique, » affirme son président. Et de le prouver par la composition du Conseil d'administration de 18 membres, dont des représentants de tous les partis politiques. 

L'objectif de l'association est de réfléchir aux déficits de la ville et aux moyens de les résorber, de faire du lobbying auprès des instances communales et nationales afin de voir se réaliser leurs revendications, et, troisièmement, d'organiser des actions en tant que comité. Le récent sondage, réalisé en février par l'ILReS (échantillon : 1 222 personnes, dont 512 Eschois), est une de ces initiatives du Comité Esch 2000. La satisfaction d'Alvin Sold fut d'y constater que 89 pour cent des sondés étaient d'accord de désigner Esch comme la capitale du bassin minier, et que 80 pour cent l'estimaient attrayante pour y vivre. 

Les six ateliers de réflexion, quant à eux, ont élaboré chacun des recommandations succinctes, qui pourraient mener à une amélioration de l'attractivité de la ville pour les habitants, les visiteurs, les touristes, les consommateurs et les commerçants - mise en place d'un City Manager ou d'un bureau d'information au centre de la ville, création d'un agenda culturel ou d'un festival culturel eschois, amélioration de l'image de la ville, organisation d'un « forum sur l'avenir de la ville »... Ce cahier de doléances a été envoyé aux partis politiques en lice pour les élections ; tous ont répondu plutôt positivement (sauf le PCS, qui n'a pas encore répondu, probablement à cause du différend Jung/ Sold) et assuré leur soutien, au moins partiel. 

Difficile de ne pas parler politique quand il s'agit de développement urbain. Car, comme l'affirme Thierry Paquot, « l'architecture et l'urbanisme ne sont pas des activités économiques comme les autres, mais des pratiques éminemment politiques. Elles participent au cadre de vie des citadins, tout comme elles expriment un moment culturel de la civilisation dans laquelle elles se manifestent. » 1 Et de regretter qu'en urbanisme aussi, le discours de l'« urgence » s'impose, alors que « l'urgence, là comme ailleurs, est une commode invention des décideurs pour légitimer l'à-peu-près, le vite-fait, le 'on verra plus tard', la non-concertation (...) et, finalement, l'arbitraire » alors qu'il faut du temps pour qu'une ville se constitue.

Esch fut négligée bien trop longtemps, le « plan général d'extension Stübben » (selon l'urbaniste éponyme allemand) date de 1924, depuis lors, la Ville n'a plus vraiment réfléchi si profondément à son développement. Il est vrai qu'Esch n'a plus guère de place pour s'épanouir et s'élargir, encerclée qu'elle est par les sites industriels de l'Arbed notamment (nord-est : Arbed Schifflange et la cimenterie ; sud-ouest : Terres Rouges ; sud : ligne de chemin de fer Luxembourg-Pétange ; nord-ouest : Arbed-Belval ). Toutefois, la reconversion des friches industrielles lui procure désormais de nouvelles perspectives d'expansion et de précieux terrains pour son développement, notamment à Belval. 

En plus, comme le nota l'historien Denis Scuto en 1989 déjà : « Face aux mutations profondes du monde du travail, la Ville semble décidée à délaisser ce souci majeur que fut un siècle durant celui de créer un cadre où le travail puisse s'épanouir le mieux possible. Désormais le nouveau défi consiste à améliorer le cadre de la vie, avec l'harmonie entre îlots, rues, places, espaces verts, passages, ruelles, placettes... »2 La réhabilitation du quartier Al Esch fut un premier pas dans cette direction.

En automne dernier, la Ville a lancé une large concertation sur l'avenir d'Esch-sur-Alzette. Paul Weidig, directeur des travaux municipaux, explique que la réflexion se décline en trois piliers : d'une part le travail avec des écoles supérieures et des universités en urbanisme ou en architecture allemandes, françaises et belges ; deuxièmement la sensibilisation et l'appel à la participation de la population et des « forces vives » de la ville et, troisièmement, la synthèse et la concrétisation de ces nombreux inputs par l'administration, en collaboration avec des « consultants externes » que sont les bureaux d'architecture Clemes et Beng et le bureau d'urbanisme Zeyen [&] Baumann. Objectif : un nouveau plan de développement et une nouvelle orientation, une re-dynamisation de la ville pour son centième anniversaire en 2006. 

En ce moment toutefois, Paul Weidig s'exprime avec beaucoup de circonspection, ne veut pas trop s'avancer dans ses explications sur le processus de réflexion entamé, vu la délicate situation politique qui perdure. En juin ou juillet aura lieu un grand « atelier du futur » (Zukunftswerkstatt), une large concertation avec les habitants - un appel public à participants fut lancé en février par voie de presse. 

« Visionen tun not, » estime Robert Kaltenbrunner. « Umso wichtiger ist es, sich einen Urbanismus, der sich aus dem utopischen Denken entwickelt hat, erneut ins Gedächtnis zu rufen. (...) Deswegen brauchen wir heute wieder eine Vision, die über den utilitaristischen und allenfalls angehübschten ‚Standort' für den global player hinausgeht. Aber, resultierend aus den Zweifeln, ob die bekannten Utopien auch die tauglichen sind, ist hier eine Zusammenführung der Sphären gefragt, gleichsam eine Synthese aus Gesellschaftskritik, Fortschrittsglauben und nüchterner Operationalisierung. »3

De telles visions, les étudiants en architecture, en urbanisme ou même en beaux-arts associés au workshop Urban Vision, Esch 2006,  peuvent actuellement en développer. En novembre dernier, ils sont venus une première fois pour connaître la ville, son histoire, son architecture, son contexte socio-économique. « La ville leur plaît, parce qu'ils peuvent la comprendre, la dominer grâce à ses dimensions humaines, » estime Claudine Kaell, architecte au bureau Jim Clemes, qui est en charge du workshop. Elle raconte aussi qu'après qu'ils eurent pris l'initiative de contacter plusieurs universités et écoles supérieures, ils furent submergés de demandes de participation spontanées d'autant d'autres écoles, forcément intéressées par une telle opportunité de penser pour de vrai le futur urbanistique d'une ville. En ce moment une douzaine de classes travaillent sur le projet, dont celles d'enseignants connus comme D.-W. Dreysse (urbanisme, Strasbourg), Peter Zlonicky (urbanisme, Dortmund) ou Peter Latz, qu'on connaît e.a. pour son travail au Kirchberg (urbanisme, architecture et art, Munich). 

En février de cette année, lors de la deuxième rencontre du workshop, à la Kulturfabrik à Esch, les étudiants des facultés de Dortmund et de Strasbourg ont présenté leurs analyses et des ébauches de développement possible pour la ville entière, une ébauche macro pour ainsi dire. À la mi-mai, du 9 au 12 pour être exacte, lors du troisième rendez-vous international, les quelques 90 étudiants travailleront sur place, en petits groupes, chacun sur un endroit ou un quartier, définis par l'administration. Fin prévue des travaux de réflexion : septembre prochain, par une réunion de synthèse. 

Ces travaux, pour passionnants qu'ils soient - ne serait-ce que pour suivre l'approche de ceux qui portent un regard externe, intellectuel voire académique sur Esch - restent malheureusement quasi secrets. Dans la tourmente des guéguerres de politique politicienne et d'incompatibilités personnelles, l'administration n'ose plus guère faire trop de bruit autour de cette réflexion. Les plans des premières ébauches d'analyse sont bien exposés à l'Hôtel de Ville, mais au dernier étage, donc pas vraiment accessibles au public. 

Or, il est difficile, voire impossible de ne pas parler politique quand on parle de développement de la ville : les interrelations, les causalités sont omniprésentes. Car si une part croissant d'Eschois travaillent dans le secteur tertiaire, cela expliquerait en partie la régression du vote socialiste, de la traditionnelle idéologie ouvrière. Et si aujourd'hui, les migrations quotidiennes du trafic professionnel vont dans le sens inverse, de Esch vers la capitale, cela indique aussi qu'il faudrait une politique volontariste, pro-active pour le développement économique de la ville. Pourquoi pas en direction des nouvelles technologies, en se basant sur le Technoport Schlassgoart ? Une grande partie de la mythologie de la cité ne se base-t-elle pas sur la fierté d'avoir toujours eu «l'esprit pionnier»? 

1 Thierry Paquot: «Habiter la ville plutôt que d'y résider: l'architecte, l'urbaniste et le citoyen», in Le Monde diplomatique, novembre 1999.

2 Denis Scuto in Esch-sur-Alzette, du village à la ville industrielle, catalogue édité par la Ville à l'occasion de l'exposition du même nom ; 1989. 

3 Robert Kaltenbrunner: «Gratwanderung : Visionen tun not - Die Stadt, der Wunsch und die Un-möglichkeit» in Freitag n°39, 24 septembre 1999.

Les personnes qui souhaitent collaborer à la suite des travaux de Urban Vision, Esch 2006, peuvent s'inscrire, respectivement demander des détails supplémentaires à Paul Weidig, téléphone 54 73 83-320 ou à Guy Assa, téléphone 54 73 83 - 427 ; e-mail : guy.assa@villeesch.lu

josée hansen
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