Concept général

Den Avenir läit an der Vergaangenheet

d'Lëtzebuerger Land du 08.06.2000

Il y a une phrase que Michel Wolter défendait aux journalistes venus assister à la présentation de son rapport sur la reconversion des friches industrielles (le 31 mai dernier) : « Je ne veux pas lire dans la presse que le projet de la salle de concert pour jeunes est remis en question ! » Ah ça, non ! On va simplement y réfléchir à nouveau, discuter avec le conseil échevinal d'Esch-sur-Alzette, et puis peut-être aussi avec les musiciens eux-mêmes, qui ne seraient pas tellement enthousiastes de la solution retenue, d'après Michel Wolter. 

Car, si le projet Rockhal - voté à l'arrachée avant la dissolution de la Chambre des députés il y a un an pour le budget modique de 273 millions de francs - était le dada de son prédécesseur à l'aménagement du territoire Alex Bodry (POSL), qui y voyait une sorte de signal de départ pour la reconversion des friches industrielles, Michel Wolter le voit d'un autre oeil. Car, avec un nouveau ministre, il y a aussi un nouveau dada. Il s'intitule pompeusement Cité des sciences, de la recherche et de l'innovation, comporterait aussi bien l'enseignement supérieur, la recherche, la vie étudiante (accueil et logement), une pépinière d'entreprises, des entreprises et de la culture, tout cela sur la terrasse des hauts-fourneaux du site Esch-Belval. Et incorporerait donc également le hall des soufflantes, où devait être implantée la salle de concerts rock. Dommage, plus de place... 

Le projet recule donc dans un avenir très lointain, seule la friche de Belval-Ouest étant considérée comme une « priorité des priorités », son analyse assez avancée, ses structures assez réfléchies pour que l'on puisse songer à un début des travaux plus concrets. Et le projet de cinéma multiplex instigué par la société Utopia s.a. ? Selon Michel Wolter, les négociations sont assez avancées pour qu'un accord puisse être signé « dans les semaines à venir. » Le public traîne, le privé avance.

Michel Wolter peut être fier. Le ministre qui fut un des principaux boucs émissaires du précédent gouvernement pour cause de tutelle sur le ministère de la fonction public, le travail de concertation, de négociation et de recherche du plus large consensus possible qu'il a effectué en tant que ministre de l'Aménagement du territoire dans le domaine des friches industrielles est remarquable. Et récolte des compliments de tout le spectre politique. 

Car en l'espace de sept mois, depuis que le gouvernement PCS/PDL l'a mandaté, en novembre dernier, de coordonner le dossier de la reconversion des sites industriels, il a surtout réussi un grand tour de main : trouver un accord avec le propriétaire des sites, l'Arbed, sur les modalités et les prix de la restitution des terrains. Selon cet accord, l'État et l'Arbed constitueront à parts égales une société de développement de droit privé, dont la mission est « de viabiliser et de développer les friches industrielles (environ 650 hectares) de l'Arbed (...) dans un sens favorable à l'intérêt général (économique, social, écologique, aménagement du territoire et culturel) en respectant les principes de gestion et de valorisation de l'économie privée. » Sur la base des quatre sites prioritaires - Belval, Ehlerange, Lentille Terre-Rouge et Rodange - le capital initial de la société s'élèvera à 1,9 milliards de francs. Les développements futurs des autres sites seront e.a. financés par la vente des terrains. 

L'Arbed s'engage à vendre ses terrains libérés et assainis à la société de développement au prix de 75 000 francs/are, un prix moyen qui se base sur les résultats de l'étude Agiplan (décembre 1997). L'Arbed est donc prête « à contribuer (...) à la démarche esquissée par Agiplan pour le moyen terme » estime le rapport, et Michel Würth, directeur financier du groupe sidérurgiste, de rajouter que l'apport de la société privée se situera aussi dans le domaine de l'analyse de viabilité économique des projets (sur RTL Télé Lëtzebuerg le 4 juin). Le ministre acquiesce et affirme que « nous ne pouvons pas planifier contre le marché ». Blanche Weber par contre enrage : le Mouvement écologique est catégoriquement contre un participation de l'Arbed dans le domaine de la planification et demande que cette compétence revienne aux élus locaux et nationaux, donc aux communes et à l'État, qui ne prendrait de décision qu'après une très large consultation de la population. 

Point de vue avec lequel les élus locaux, au moins les puissants maires socialistes des grandes communes, sont entièrement d'accord. S'étant soudain sentis exclus du processus - alors qu'ils avaient été associés dans le GIE-Ersid1 et e.a. aux ateliers de réflexion lors de la Conférence régionale sud, en décembre dernier à Esch-sur-Alzette -, ils tirèrent la sonnette d'alarme fin avril, menaçant de quitter les travaux de préparation d'un syndicat intercommunal sud. Depuis, les choses se sont quelque peu arrangées, deux représentants des communes seront accueillis dans la société de développement (sur un total de dix personnes) et pour chacun des sites en question, la ou les communes responsables deviendront membres du comité de concertation par site. Cet agencement compliqué de nombreux interfaces doit permettre de contourner les éventuels blocages qui pourraient se situer au niveau des communes, estime le ministre.

La reconversion des friches industrielles constitue une chance de développement inouïe, aussi bien pour les communes que pour la région Sud et le pays entier. Issue de la tripartite sidérurgie du 24 avril 1996, l'idée a fait son chemin : réutiliser les terrains abandonnés d'une surface de 650 hectares, dans une région à forte population où les villes sont géographiquement limitées dans leur développement et où les emplois émigrent vers le centre... un défi. Voilà pourquoi le document ministériel plaide pour une approche régionale, qui englobe toutes les friches et essaie d'éviter le saucissonnage en intérêts locaux et/ou économiques souvent contradictoires. 

Contrairement au Kirchberg (360 ha), le terrain des friches n'est pas vierge, mais sera reconverti, réutilisé. Le bassin minier pourra donc se développer, les villes s'agrandir sans toucher aux terrains vierges. Pour les urbanistes, les friches sont doublement intéressantes, puisqu'elles permettront d'allier lieux culturels et de mémoire - comme les hauts-fourneaux et autres bâtiments industriels symboliques - et recherche d'une nouvelle forme d'urbanisme. Les ambitions vont dans le sens d'une mixité des fonctions - habitations, activités économiques, loisirs... 

Le masterplan (groupe Blase-Böll) proposé pour la friche de Belval-Ouest ne sera donc pas uniquement prioritaire, mais en plus fortement symbolique car comptant pour être exemplaire : vers le nord et s'étendant à l'Ouest jusqu'au centre de Belvaux (commune de Sanem), une zone réservée à l'habitat et aux services, délimitée par une bretelle de jardins et verdures de la zone économique et administrative à proprement parler, qui, elle, s'engouffre à l'Est dans la terrasse des hauts-fourneaux censée accueillir la Cité des sciences, de la recherche et de l'innovation. Michel Wolter estime que ce projet d'une véritable Cité a une valeur primordiale, l'État prouvant par là que ses ambitions sont sérieuses et qu'il tient réellement à ce que le plan de développement des friches réussisse. En plus, la dite Cité devrait fonctionner en tant qu'aimant et attirer de petites et moyennes entreprises vitales au développement économique du Sud.

Les entreprises recherchées ? Dans le domaine de la nouvelle économie bien sûr ! Depuis le conseil européen de Lisbonne, en mars dernier, tout se passe comme si le mot magique Internet était une sorte de panacée à tous les problèmes, l'avenir de l'économie luxembourgeoise. Après l'industrie lourde, la place financière et les médias (CLT et SES), à nous les arrobaces ! « Le site de Belval était synonyme de dynamisme et d'innovation à l'époque du plein essor de l'industrie sidérurgique. L'idée principale est de lui redonner aujourd'hui une dimension d'avenir et d'avant-garde » nous dit le projet ministériel (page 34). Et aussi, un peu plus loin, que « la force principale du Grand-Duché de Luxembourg a toujours résidé dans le fait que les décideurs ont su orienter le développement du pays au bon moment dans la bonne direction. » Donc, les entreprises dont l'implantation sera favorisée à Belval viendront des domaines des nouvelles technologies de l'information ou encore de celles « de l'environnement ou de la gestion de l'eau ». 

La fameuse Cité, quant à elle, serait comme une sorte de campus universitaire mais sans université, avec quelques troisièmes cycles peut-être, privés probablement au vu du Livre blanc du ministère de l'Enseignement supérieur (voir nos articles sur www.land.lu), des laboratoires de recherches, des logements d'étudiants, des start-ups de la nouvelle économie - à l'image du succès de Schlassgoart. 

Les logements par contre iraient dans le sens d'une densification du tissu urbain, préconisant aussi l'emploi de volumes plus importants. La réussite ou l'échec dépendra pour beaucoup du fait si oui ou non la société de développement optera pour une approche originale du site ou si l'on commettra l'erreur de simplement copier/ coller une idée qui a déjà été appliquée ailleurs, dans la Ruhr allemande ou dans le Nord-Pas-de-Calais français, qui manque de toute originalité et ne s'adapterait pas forcément aux besoins de la Minette.

 

1 GIE-Ersid = Groupement d'intérêt économique pour l'étude et la reconversion des sites sidérurgiques, fondé en septembre 1996 entre l'État et l'Arbed, élargi en 1998 aux communes concernées.

 

Durant tout le mois de juin, le ministre de l'Intérieur se propose de présenter son rapport avec les projets de développement des friches aux élus locaux et aux habitants des villes concernées. Outre deux visites sur le site de Belval, les 13 et 19 juin, il organisera une première réunion du comité de concertation Belval-Ouest (le 21 juin) et deux réunions d'informations publiques, le 26 juin à 20 heures dans la commune de Sanem et le 3 juillet à 20 heures dans la commune d'Esch.

 

josée hansen
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