Se moderniser est une des réponses proposées par les fabriques d’églises à ce qu’elles ressentent comme une agression de la part du ministre de l’Intérieur, Dan Kersch (LSAP)

Guerre de mouvement

d'Lëtzebuerger Land vom 15.01.2016

Une chose est sûre : elles ne se laisseront pas faire ! Mardi soir encore, réunies en assemblée générale, les quelque 260 fabriques d’églises fédérées dans la jeune association Syfel (Syndicat des fabriques d’églises Luxembourg asbl, fondée an avril 2014), ont donné mandat à leur comité à entreprendre toutes actions en justice envisageables et nécessaires pour éviter que leur existence soit mise en danger par les réformes législatives entamées par le gouvernement Bettel/ Schneider/ Braz. « Nous sommes en train de voir avec nos juristes comment procéder », affirme Marc Linden, le vice-président de l’association. Pour cela, il leur faut d’abord clarifier s’ils ont besoin d’un accord de l’autorité religieuse (l’archevêché) pour ester en justice, vu leur double tutelle, et vers quelle juridiction se tourner – « nous n’en excluons aucune, s’il le faut, nous irons jusqu’à Strasbourg », promet Marc Linden.

Dès sa fondation, le Syfel a dû mener plusieurs batailles en parallèle, contre le gouvernement et ce qu’il ressent comme une mise à mort pure et simple de ces structures locales qui existent et fonctionnent tant bien que mal depuis 200 ans d’une part, contre l’archevêché et son processus de réforme de la structure de l’église catholique (réorganisation territoriale de la pastorale), dont les fabriques d’églises se sentent tout aussi exclues, de l’autre. En plus, le Syfel reproche à l’archevêque d’avoir signé, en janvier dernier, la convention avec l’État qui a entamé ce processus d’abolition des fabriques d’églises et promet la création d’un « Fonds de la gestion des édifices religieux du culte catholique » qui reprendrait les principales missions des fabriques locales à partir du 1er janvier 2017, notamment le salaire du personnel et la conservation et l’entretien des édifices religieux (s’ils ne sont pas propriété communale). Les communes ont donc encore un an afin d’établir, en collaboration avec l’archevêché et le ministère de l’Intérieur, les droits de propriété des quelque 600 bâtiments – églises, chapelles, presbytères, croix de chemin... – et de déterminer s’ils sont transférés soit audit Fonds, soit aux communes. Les fabriques d’églises, qui sont souvent propriétaires de ces édifices qu’elles ont fait construire, mais aussi d’un certain nombre d’autres biens immobiliers (terrains, maisons, laissés en legs ou dons), craignent une expropriation pure et simple. Qui serait alors la plus grande intrusion de l’État dans la propriété privée depuis la création du Fonds Kirchberg dans les années 1960. Et ça, les fabriques d’églises ne veulent pas l’accepter.

Symboliques Le gouvernement de Xavier Bettel (DP) sait pourtant qu’il faut aller vite, avant que le CSV ne revienne au pouvoir en 2018. Il a fait de la séparation de l’État et de l’Église un de ses grands chantiers symboliques par lesquels il peut afficher sa modernité et sa volonté de prendre en compte la sécularisation de la vie publique. En plus, les deux ministres en charge, Xavier Bettel pour les Cultes et Dan Kersch (LSAP) pour l’Intérieur, ont des motivations personnelles à réussir cette réforme, le premier pour avoir été constamment agacé, en tant que maire de la capitale, de devoir prendre en charge les déficits des églises et le second qui aime à afficher son athéisme. Ce fut ce même Dan Kersch qui déposa, le 27 mai 2015, le projet de loi n°6824 portant modification du décret du 30 décembre 1809 sur lequel le Conseil d’État vient de rendre son avis en décembre et dont la commission parlementaire de l’Intérieur discute actuellement (une deuxième réunion sur le sujet a eu lieu hier, jeudi). Le président de ladite commission, Claude Haagen (LSAP), se dit optimiste de pouvoir soumettre le projet de loi au vote en séance plénière d’ici fin février, « puisqu’il n’y a pas d’opposition formelle de la part du Conseil d’État ». Il a entretemps reçu une demande du Syfel d’être entendu, mais aimerait le renvoyer vers les fraction politiques, « comme c’est d’usage ».

Pourtant, le Conseil d’État s’interroge sur « la nécessité de cette étape intérimaire, où l’on risque d’exposer à des difficultés financières des établissements créés par le législateur, et dont l’équilibre budgétaire est actuellement assuré par les mécanismes prévus par la loi ». Le projet de loi prévoit en effet d’abolir deux des trois obligations financières des communes par rapport aux fabriques d’églises, à savoir, premièrement, celle de couvrir leurs éventuels déficits et, deuxièmement, celle de pourvoir au logement du curé (le nombre de curés étant en chute libre, beaucoup de presbytères sont de toute façon inoccupés). Par contre, les communes devront, comme par le passé, « fournir aux grosses réparations des édifices consacrés au culte ». En l’absence de la moindre estimation de l’impact financier de cette réforme – le ministère ne fournit ni une évaluation des économies que feraient les communes, ni des frais qui incomberaient aux fabriques d’églises –, le Conseil d’État ne se voit pas en mesure d’apprécier « la portée et les incidences financières » du projet de loi. Mais il comprend toutefois, à la lecture de l’exposé des motifs, « que les modifications projetées sont motivées par des considérations éminemment politiques, qu’il ne lui appartient pas d’apprécier ».

Le Syfel, lui, ne décolère pas. Dans un avis sur cet avis du Conseil d’État, publié la semaine dernière, et qui complète une première réaction sur le projet de loi écrite dès le dépôt du texte, l’association en vient aux grands mots, parlant de « discrimination des catholiques », de « cathophobie » et de « totalitarisme intellectuel du gouvernement à l’encontre du religieux ». Dans le détail, il accuse le gouvernement de s’immiscer unilatéralement dans un domaine qui a une double tutelle, soit aussi celle de l’Église elle-même, et de dépasser ses compétences, voire d’enfreindre une liberté fondamentale, celle de religion et de culte. Son courroux toutefois, est aussi adressé contre l’archevêque, dont les fabriques d’églises, relais locaux de la grande machine qu’est l’Église catholique, et qui réunissent plus d’un millier de bénévoles, se sentent trahies.

Cette bataille interne sur les droits de propriété du parc immobilier, comme celle sur l’abolition des cours de religion à l’école, auraient fini par fatiguer l’archevêque Jean-Claude Hollerich, qu’on dit malade, à tel point qu’il a soumis sa démission au Vatican, comme l’a annoncé RTL Radio Lëtzebuerg vendredi dernier. Le Vatican a refusé, mais lui a proposé de se faire assister par un évêque auxiliaire. L’archevêché ne communique pas sur la matière.

L’idée du futur Fonds, entend-on, n’émanait pas du ministre de l’Intérieur, mais du vicaire général de l’époque, Erny Gillen (il avait de l’expérience dans l’optimisation des biens immobiliers en tant que président e.a. de Saint-Paul Luxembourg). Un projet publié sur le site cathol.lu et présenté en octobre dans les régions pastorales montre la structure de ce Fonds des édifices religieux, implanté localement à travers 105 commissions de gestion, qui remplaceraient les fabriques.

Que la modernisation soit nécessaire, personne n’en doute. Dès décembre 2013, le gouvernement a inscrit dans son accord de coalition que « la législation relative aux fabriques d’église sera remplacée par une réglementation qui garantira la transparence au niveau du patrimoine et des ressources des Églises ». S’il y a un tel agacement politique face aux fabriques d’églises, c’est aussi parce que beaucoup de ces « clubs » – qui, depuis un arrêt du comité du contentieux du Conseil d’État remontant à 1869, ont le statut d’établissements publics, souligne le CE – furent mal gérés, presque sur le coin d’un nappe de cuisine, et peu transparents. Lorsque les conseils communaux se retrouvèrent alors à combler les déficits laissés par une gestion hasardeuse, ils furent souvent bien embêtés. D’autant plus que certaines de ces fabriques d’églises sont carrément riches grâce à des dons et legs laissés par les paroissiens croyants.

Conscient que cette gestion en amateur ne correspond plus à l’entrepreneuriat du XXIe siècle, le Syfel a soumis, en novembre 2015, des propositions de modernisation à l’archevêque, des propositions qui prévoient notamment l’introduction d’une comptabilité moderne avec réviseur de bilan, qui définit les missions des fabriques (conservation, promotion et décoration des bâtiments sacrés, conseil du curé, soutien financier de l’administration paroissiale...), leur financement (notamment grâce aux ressources propres comme les dons et legs et leur exploitation) et qui clarifie les relations avec l’autorité communale ou étatique. En outre, ces propositions prévoient la création d’un « Fonds de mutualité » qui jouerait un rôle de soutien solidaire des fabriques plus pauvres par celles qui sont plus riches (il leur est souvent reproché aujourd’hui que sur un même territoire, une fabrique puisse déposer un déficit auprès de la commune alors que sa voisine est éminemment riche).

Toujours pas de relevé Dans cette guerre de tranchées où s’opposent deux modèles de société, celui de l’État laïc face à celui de l’État catholique, on ne sait pourtant toujours pas de quelle envergure on parle. Ni le ministère de l’Intérieur, ni le Syfel n’ont encore dressé d’état des lieux pour savoir de quelles structures et de quelles valeurs matérielles il s’agit. Quel est ce parc immobilier en question ? Quel est le patrimoine réel de ces fabriques d’églises ? « Nous travaillons d’arrache-pied, croyez-moi », affirme Marc Linden, interrogé sur cette promesse. Mais le Syfel se bat aussi avec l’archevêché sur un autre dossier, celui de la réforme territoriale de ses paroisses, que l’autorité épiscopale déciderait sans consulter les fabriques d’églises. « Pourtant, nous dépendons directement des paroisses, si leur nombre est réduit, les fabriques d’églises doivent suivre », explique le vice-président du Syfel. Un avis a été envoyé en ville, sans réponse jusqu’à ce jour. L’avis demande aussi à l’archevêque de décélérer le processus de réforme afin d’inclure démocratiquement la base de l’Église.

josée hansen
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