Administration des contributions directes

On passe la balayette

d'Lëtzebuerger Land du 08.05.2008

Soulagée. La direction de l’Administration des contributions directes (ACD) peut reprendre son souffle après des décisions récentes de la justice administrative qui ont confirmé la légalité des procédures disciplinaires engagées contre deux de ses agents pour avoir eu, en marge de leurs fonctions, des activités accessoires, mais plutôt lucratives. Agent immobilier doublé d’un domiciliataire pour l’un, conseiller fiscal pour l’autre. Leurs cas n’avaient pas contribué à la considérer très favorablement auprès du public. Les difficultés qu’a rencontrées l’administration fiscale à faire sanctionner les indélicats avaient laissé planer le doute sur les moyens mis à la disposition de l’appareil du pouvoir, malgré les discours bourrés de bonnes intentions et la volonté affichée des dirigeants politiques à mener à terme l’assainissement de l’administration. Leurs capacités à enrayer les pratiques peu orthodoxes de certains fonctionnaires, adeptes du toujours plus, l’ambiguité de la réglementation qu’ils s’entêtent parfois à maintenir, étaient aussi en cause. Le doute semble désormais balayé.

Le premier cas a été tranché par la Cour administrative, ce qui rend cette décision plus symbolique, puisqu’elle est devenue définitive. L’État luxembourgeois pouvait difficilement d’ailleurs se résigner à accepter comme de l’argent comptant un premier verdict de la juridiction administrative qui pouvait être interprété comme un encouragement lancé aux fonctionnaires à s’investir dans des activités accessoires et s’improviser, au mépris des règles sur le conflit d’intérêt, prestataires en tout genre. Pourvu que ça arrondisse les fins de mois. 

Un jugement du tribunal administratif de l’automne dernier, à la faveur du premier agent incriminé pour violation de son statut, avait contribué à entretenir un certain flou dans la gestion de leur patrimoine privé et de leurs activités annexes par ceux qui sont censés servir l’État (d'Land, 02.11.2007). La Cour administrative a eu le mérite de clarifier ce qui leur est possible de faire et les limites à désormais ne pas dépasser, au risque sinon de tomber dans la violation du statut du fonctionnaire. 

La première affaire était partie du bureau 1 d’imposition sur les personnes physiques : un inspecteur fit l’objet, en avril 2006, d’une procédure disciplinaire. Il fut suspendu de ses fonctions en mai de la même année par le ministre des Finances, après que sa hiérarchie eut constaté que deux des sociétés civiles immobilières (il en avait quatre à l’époque, puis six peu après son limogeage) dans laquelle il détenait des parts, exerçaient une activité commerciale évidente. Les reproches ne portèrent d’ailleurs pas sur le principe de la détention de sociétés civiles immobilières, ce que la loi tolère pour les fonctionnaires pour autant qu’ils agissent dans le cadre de la gestion de leur patrimoine privé. Le conseil de discipline estima que l’agent des impôts avait dépassé le cadre de la gestion de ses biens propres ; la création des SCI ayant été faite « dans un esprit de lucre ».

L’argumentation fut toutefois difficile à prouver tant, rompus à toutes les combines de l’ingénierie patrimoniale qui font leur pain quotidien au travail, certains agents du fisc se font parfois plus ingénieux que les contribuables les plus avisés. Les censeurs de l’agent du bureau 1 de l’ACD prirent pour preuve de la « commercialité » de ses activités les plus-values réalisées en peu d’intervalle sur la vente de deux biens immobiliers. Circonstance aggravante : l’inspecteur du fisc, alors qu’il était encore sous le coup de la procédure disciplinaire, avait constitué sans l’autorisation de sa hiérarchie une société commerciale pour effectuer des activités de fiduciaire. Il lui fallait bien continuer à travailler après avoir été provisoirement écarté de l’administration. Pour corser son cas, l’agent incriminé avait fait sauter, peu avant son passage devant le conseil de discipline, une astreinte de 800 euros infligée à son associé dans le business immobilier. Un médecin de la capitale dont il contrôlait aussi les fiches d’impôts ; le bureau 1 traitant entre autres les dossiers des médecins. Une erreur de manipulation informatique, avait alors plaidé l’inspecteur. 

Dans un premier temps, le tribunal administratif, saisi par le fonctionnaire qui contestait la validité de son limogeage, trancha en faveur de ce dernier. Une SCI, avaient alors soutenu les premiers juges, n’a pas d’existence sur le plan du droit fiscal. Ces structures n’ont pas non plus de nature commerciale, argumentèrent-ils encore. Aussi, le fonctionnaire des contributions était-il resté, selon l’interprétation que fit la juridiction de première instance, droit dans ses bottes et dans son statut en gérant « en propre » son patrimoine immobilier, une activité jugée « annexe » par rapport à ses fonctions à l’Administration des contributions directes. Du coup, la sanction du conseil disciplinaire, validée des deux mains par le ministre des Finances, tombait. « Si l’activité de négoce d’immeuble est certes soumise, en tant qu’activité accessoire, à autorisation ministérielle préalable, elle ne saurait pas pour autant être confondue avec des actes d’achat et de vente d’immeubles isolés et limités en nombre, s’inscrivant dans le cadre d’une gestion normale du patrimoine privé », avait conclu le tribunal d’administratif en octobre 2007.Réhabilité, le fonctionnaire était jugé à nouveau bon pour le service, mais avec un changement d’affectation. Inadmissible pour le ministère des Finances, qui prenait ainsi un camouflet terrible.

L’État interjeta aussitôt appel de la décision. Il maintiendra jusqu’au bout, et fit bien, son argumentation juridique initiale selon laquelle les ventes des appartements opérées par les deux SCI en 2003 et 2004, avec de belles plus-values à la clef, revêtaient un caractère répétitif et habituel de l’activité d’achat et de revente et tombaient du même coup dans l’activité à caractère commercial proscrite par le statut général des agents publics. 

Changement de cap six mois plus tard. La Cour administrative a jugé que le cas de l’inspecteur était suffisamment lourd pour mériter la sanction disciplinaire maximale de la révocation, et ce malgré l’absence d’antécédents disciplinaires de l’agent et l’appréciation positive qu’en fit son supérieur hiérarchique. La désinvolture du fonctionnaire, en s’offrant notamment une fiduciaire alors qu’il était fraîchement suspendu, n’a pas plaidé en faveur de sa réhabilitation dans le service public. L’intérêt de l’arrêt de la juridiction administrative dépasse d’ailleurs l’anecdote et devrait servir de guide de conduite à l’égard des fonctionnaires publics qui ont la chance de détenir un portefeuille immobilier. Et surtout qui n’hésitent pas à le structurer et à le faire fructifier par l’entremise de sociétés en cascade pour en optimiser le rendement et la valeur.

Les juges ont refait toute la procédure, remis les compteurs à zéro en partant du constat, non contesté par l’intéressé lui-même, que l’inspecteur avait qualité d’associé et d’administrateur de plusieurs SCI et qu’il les hébergeait à son domicile privé. Les magistrats ont pris l’option assez courageuse d’une approche au grand angle des choses en considérant que le fonctionnaire, avec les six sociétés (et autant d’immeubles dans son portefeuille) dans lesquelles il avait un intérêt avéré, effectuait à travers leur globalité la gestion de son patrimoine privé. « Force est de constater, ont-ils souligné dans leur arrêt du 22 avril, que la structuration de la détention et de la gestion d’un patrimoine immobilier à travers une multitude de sociétés civiles et commerciales ne peut pas être considéré comme relevant d’une organisation normale de simple gestion d’un patrimoine privé et constitue un indice du caractère commercial des activités globalement considérées de l’intimé. » 

Voilà pour le premier cas qui va conforter le combat que mène depuis son arrivée à la tête des contributions directes il y a deux ans, Guy Heintz pour moraliser les pratiques au sein de sa maison. Le directeur a toutefois d’autres cadavres dans le placard. La seconde affaire, plus mineure, mais non moins symbolique, qui devrait lui mettre du baume au cœur, s’inscrit dans le prolongement du dossier de corruption présumée au sein de l’ACD qui coûta fin 2006 son job à un préposé adjoint, sa promotion à un préposé du bureau 2 d’imposition (sociétés) – il fut muté dans un autre service des contributions directes – et son entreprise au patron de Fidufrance, qui fut pendant longtemps présentée comme l’une des fiduciaires de domiciliation les plus prospères du Luxembourg, avec sa belle clientèle de célébrités françaises et gens du show-biz.  

L’agent incriminé mettait en cause, dans sa procédure engagée devant le tribunal administratif, une (première) sanction disciplinaire plutôt légère qui lui fut imposée en mai 2007 : une amende d’une mensualité brute du traitement de base pour avoir « séché » son travail et pris un congé de maladie à rallonge sans en avoir averti sa hiérarchie selon les usages prescrits par les statuts. Se disant dépressif et submergé par des difficultés conjugales et familiales, l’homme avait besoin de changer d’environnement. Il partit donc en Autriche flirter avec les sommets enneigés des Alpes accompagné d’un couple d’amis et de leurs enfants, sur les prétendus conseils de son médecin, armé d’un certificat d’arrêt de travail antidaté qui avait un jour d’avance sur la date de sa visite médicale.  

Le tribunal administratif est resté sourd aux arguments du préposé en considérant la sanction correspondant à un mois de salaire d’une « relative clémence » par rapport à la gravité de ses manquements. Cette décision est toutefois frappée d’appel. 

Restera encore à juger le fonctionnaire, aujourd’hui limogé de l’ACD tout en conservant sa rémunération, sur des fautes présumées autrement plus lourdes. Mais ici l’accusé se fait accusateur. Il attaque son employeur devant la juridiction administrative pour l’avoir taxé à hauteur de 175 000 euros, sans lui ménager de délais de grâce ni d’aménagements de paiement, pour des revenus engrangés dans le cadre de ses activités annexes de conseil fiscal. Via société commerciale là encore. La taxation ne s’appuierait sur rien d’autre qu’un rapport de police, aussi approximatif dans son contenu que léger sur le plan du droit et de la procédure. 

Le ministre des Finances pourra diffi­cilement s’offrir l’humiliation de per­dre cette affaire. D’abord parce qu’elle fut une des premières de l’opération mani pulite version grand-ducale initiée en 2006 au sein de l’administration fiscale gangrenée par des agents multicartes. Ensuite parce que l’appareil ne peut pas passer pour laxiste à quelques mois d’un scrutin législatif. 

Véronique Poujol
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