Maria Stuart

De l'opportunisme en politique

d'Lëtzebuerger Land du 17.10.2002

Quelle pute! Non, mais quelle pute! Vraiment, ce Leicester, on ne lui ferait pas confiance pour trois centimes d'euros! Ancien amant transi de Maria Stuart, reine d'Écosse, qu'il admirait pour sa beauté volatile, il décida par pur opportunisme de réorienter ses intérêts au profit d'Elisabeth, reine d'Angleterre. Et c'est de lui que devrait dépendre la vie de Maria Stuart, emmurée dans une prison de la reine d'Angleterre, qui craint sa concurrence? Mortimer (Tom Leick, excellent), le fanatique catholique et nouvel allié de Maria Stuart, a des doutes lorsque celle-ci lui demande d'aller retrouver Leicester pour implorer son aide.

C'est là que le public du théâtre des Capucins rencontre Leicester pour la première fois, et dès le début, on a du mal à lui trouver une quelconque sympathie, à ce Leicester. Même si Dan Plier sur-joue un peu, s'il en fait un peu trop, il est néanmoins une vraie petite pute, un opportuniste de première qui se vend à qui mieux mieux, n'ayant qu'une seule crainte: celle de miser sur la mauvaise reine.

Car au tribunal, ce même Leicester a voté pour l'exécution de Maria Stuart pour complicité au meurtre de son mari, raison pour laquelle elle a déjà dû quitter l'Écosse et chercher refuge chez sa demi-soeur. Or, celle-là voit en Maria Stuart avant tout une rivale au trône, sa cour ne lui laisse aucun choix, craignant que l'Écossaise veuille aussi rétablir le catholicisme en Angleterre anglicane. Dans une lecture politique, Burleigh (Frédéric Frenay) est probablement le plus droit et le plus conséquent des conseillers d'Elisabeth; le plus brutal aussi, ne laissant guère transparaître de sentiments humains. La metteuse en scène Marion Poppenborg a visiblement été un peu trop impressionnée par la présence et la force de Frédéric Frenay, elle l'a poussé un peu trop à l'excès de violence, alors qu'il est le plus inquiétant quand il doit se retenir au lieu de s'emporter.

Car Burleigh est celui qui sait. Il sait parfaitement l'injustice que la reine d'Angleterre s'apprête à commettre en faisant froidement exécuter Maria Stuart, mais il sait aussi exactement pourquoi: pour le pouvoir, pour la religion et pour la grandeur de son pays. C'est pour cela que le tacticien qu'il est ne se laisse pas impressionner par les frasques de Leicester ou de la cour royale, mais plutôt par son entretien avec Maria Stuart en prison, lorsque cette dernière lui expose clairement son mépris pour ses juges, qui ne sont même pas ses pairs, comme le demanderait pourtant la loi. Et qui n'ont même pas le droit de la juger, elle, qui n'est pas un sujet de Her Majesty the Queen. Tout cela, Shrewsbury (Claude Mangen en grand sage marqué par la vie) l'expose à Elisabeth, en appelant à son humanité, et c'est durant ces passages que la pièce est restée actuelle. 

L'interpellation de Shrewsbury à Elisabeth «l'Angleterre n'est pas le monde», lui interdisant de s'arroger le droit de dominer une reine d'un autre pays ne peut-elle pas être adaptée à George W. Bush actuellement? Maria Stuart est aussi une pièce sur la souveraineté et l'organisation des États - la séparation des pouvoirs par exemple, le droit à l'asile ou un procès équitable.

Même si Marion Poppenborg, dans sa version écourtée, a surtout développé la relation entre deux femmes - Maria Stuart et Elisabeth - et l'affrontement de deux grandes actrices - Myriam Muller et Sascha Ley. Et c'est réussi: leur rencontre (inventée par Schiller) est un grand moment de théâtre, le rapport de force étant dans un équilibre instable. Tantôt Elisabeth domine - Sascha Ley pouvant être si détestablement hautaine - et Maria Stuart se roule à ses pieds en implorant son pardon - Myriam Muller fait alors vraiment pitié et impose le respect dans sa grandeur déchue. Mais quelques minutes plus tard, le tout chavire et soudain, Maria Stuart devient la vraie reine, se relève et, malgré l'assurance de sa mort, se vante de son sang royal plus pur que celui de sa demi-soeur «bâtarde».

Durant ce moment charnière seulement, puis à la fin lorsqu'elle va à l'échafaud, Maria Stuart/Myriam Muller est libre de ses gestes - et heureuse de l'être. Durant tout le reste de la pièce, elle est enterrée vivante dans un grand tas de sable/sciure, en permanence sur scène (décor: Herbert Neubecker). Cet énorme tas poussiéreux, difficile à maîtriser par les acteurs dans leur jeu, est flanqué d'un miroir au cadre doré au moins aussi imposant, symbolisant la cour royale. Or, un décor aussi présent sur une si petite scène, puis des costumes (surtout ceux de Sascha Ley et de Dan Plier) et maquillages pas toujours sensés (pourquoi faut-il ébouriffer autant la chevelure de la reine Elisabeth à la fin, n'est-elle pas assez livide sans cela?), parasitent plus qu'ils ne servent cette belle lecture actualisée d'un grand classique.

 

Maria Stuart de Friedrich Schiller, dans une mise en scène de Marion Poppenborg, assistée de Renée Maerz, costumes: Ulli Kremer, décor: Herbert Neubecker; avec: Frédéric Frenay, Marja-Leena Junker, Sascha Ley, Tom Leick, Claude Mangen et Myriam Muller sera encore joué ce soir 18 octobre, ainsi que les 5 et 6 décembre à 20 heures au théâtre des Capucins. Réservations au téléphone 22 06 45, de 14 heures à 18h30. 

 

 

 

 

josée hansen
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