Fonds d’investissement socialement responsable

Plus ou moins rentables ?

d'Lëtzebuerger Land vom 22.11.2013

Même s’ils ne représentent qu’une infime portion, soit de un à deux pour cent, de l’industrie au Luxembourg, les fonds d’investissement socialement responsable, et les fonds verts en particulier, suscitent de plus en plus d’intérêt auprès des investisseurs, privés comme institutionnels. Mais pourquoi un tel engouement ? L’émergence de ces fonds est-elle due à un simple effet de mode ou répond-elle à un réel besoin ? Les fonds verts sont-ils plus ou moins rentables que les fonds traditionnels ? Comment évaluer leur rendement écologique ?

Avant de répondre à toutes ces questions, le mieux serait d’abord de définir ce que l’on entend exactement par fonds d’investissement socialement responsable. Les fonds ISR (ou SRI en anglais) sont des formes de placement qui prennent systématiquement en compte des critères liés à l’environnement, au social et à la gouvernance (on parle aussi de critères ESG) en sus des critères financiers. On distingue plusieurs grands types au sein de cette catégorie. Les premiers suivent une approche « meilleur de classe ». Ces fonds, dont les promoteurs sont en général des banques traditionnelles, sélectionnent les meilleures entreprises toutes catégories confondues qui ont les meilleures pratiques environnementales, sociales ou de gouvernance. Leur portefeuille est en général constitué de plusieurs dizaines, voire de plusieurs centaines d’émetteurs dont des multinationales. D’autres suivent une approche dite d’exclusion : le gérant décide d’exclure de ses choix d’investissement les entreprises qui ne respectent pas les normes ou conventions internationales (exclusion normative) ou des secteurs d’activité entiers tels que le tabac, les armes ou encore la pornographie (exclusion sectorielle). Viennent enfin les fonds thématiques qui, tout en respectant les critères ESG, privilégient un secteur d’activité particulier ou favorisent certaines pratiques. Il s’agit principalement des fonds verts où les investissements sont concentrés dans des entreprises actives dans les domaines du développement durable tels que les énergies renouvelables, l’eau, le traitement des déchets, l’agriculture biologique, etc.

Sur le papier, ces fonds respectent une certaine éthique mais, dans la réalité, ce n’est pas toujours facile à vérifier. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, tous ces véhicules d’investissement ne sont pas transparents, loin s’en faut, comme l’explique Jean-Sébastien Zippert, coordinateur d’Etika, une asbl luxembourgeoise qui a pour objectif de promouvoir les financements alternatifs et de réfléchir au développement de l’argent éthique. « Les promoteurs des fonds ‘meilleurs de classe’ sont parfois très réticents à donner la liste complète de tous les émetteurs et les critères de sélection ne sont pas toujours très clairs. Il existe certes des organismes spécialisés comme le Forum Ethibel, dont Etika fait partie ou, plus près de nous, Lux Flag qui octroient des labels après une rigoureuse analyse, mais il n’existe jusqu’à présent aucune loi qui oblige les promoteurs de fonds à être dotés de tels labels comme c’est le cas, par exemple, pour les produits d’alimentation bio ou du commerce équitable. De même, dans d’autres placements a priori plus facilement contrôlables comme les fonds verts, l’enfer est parfois pavé de bonnes intentions. Vous pouvez très bien avoir un véhicule d’investissement dans l’agriculture durable qui ne tient pas compte des intérêts des paysans locaux et, in fine, entraîne une distorsion des prix, des matériaux et des salaires préjudiciable à la population que le fonds était censé aider. Pour permettre à l’investisseur d’avoir un minimum de garantie et éviter les dérives, l’idéal serait de mettre sur pied une autorité indépendante, un organisme public ou semi-public, auquel le promoteur serait obligé de faire appel avant de lancer son fonds et qui vérifierait si la méthodologie annoncée correspond bien à la réalité. Mais il n’est pas du tout certain qu’il y ait à l’heure actuelle une réelle volonté politique de légiférer en la matière, tant les acteurs de la Place estiment qu’il y a déjà trop de contraintes réglementaires dans l’industrie des fonds pour en rajouter une nouvelle. »

Cela étant, certains fonds ISR offrent une plus grande visibilité que d’autres, notamment ceux qui investissent dans des secteurs d’activité très ciblés et très localisés et que l’on regroupe parfois sous le vocable d’impact investing. Les populations et les régions aidées sont identifiables et l’investisseur reçoit à intervalles réguliers une information claire et précise. « À la limite, les investisseurs peuvent même se rendre sur place pour voir comment travaille leur argent, commente Jean-Sébastien Zippert. C’est le cas chez nous, à Etika, avec notre Compte épargne alternative. Toutes les adresses des projets que nous soutenons dans le cadre de ce compte sont publiées sur notre site Internet. »

Outre la transparence se pose également la question du rendement. Investir dans un fonds ISR est-il plus ou moins rentable que dans un fonds traditionnel ? « Ni plus, ni moins, répond Jean-Sébastien Zippert. Les fonds ISR ne superforment pas, mais ne sous-performent pas non plus. Le ratio risque/rendement est pratiquement identique à celui des fonds traditionnels. Pour un risque faible, vous aurez un rendement faible. Pour un risque plus élevé à tendance spéculative comme, par exemple, un fonds vert qui investirait dans les nouvelles technologies en énergie renouvelable, le rendement sera plus élevé. Par contre, si l’investisseur veut un produit qui répond à de très grandes exigences éthiques, il ne doit pas s’attendre à des rendements mirobolants. »

La réelle plus-value des fonds ISR par rapport aux véhicules d’investissement traditionnels se trouve ailleurs, d’après Jean-Sébastien Zippert. « La crise de 2008 et la perte de crédibilité des institutions financières qui s’en est suivie ont provoqué un changement radical dans les comportements des investisseurs, qu’ils soient privés ou institutionnels. Ceux-ci sont devenus plus exigeants, plus méfiants, plus avertis et ne croient plus du tout aux promesses de rendement élevé avancées par les banques traditionnelles. Aujourd’hui, la plupart des investisseurs qui choisissent les fonds ISR sont loin d’être des militants et ne sont pas spécialement préoccupés par des problèmes éthiques. Simplement, à tout prendre, ils préfèrent un placement au rendement moins élevé mais qui investit dans l’économie réelle et le tissu local. Là, au moins, il n’y aura pas de mauvaises surprises... »

Alors, les fonds ISR, un créneau porteur ? « Oui, à condition qu’il y ait une réelle volonté politique derrière, conclut Jean-Sébastien Zippert. Les pouvoirs publics doivent prendre leur responsabilité et imposer un label comme ce fut le cas pour l’agriculture biologique, ou à tout le moins garantir à l’investisseur lambda un minimum de retour d’information qui soit entièrement neutre. Si on veut donner un tant soit peu de crédibilité à cette industrie, on ne pourra pas faire l’économie de passer par une loi ou une réglementation. »

Stéphane Etienne
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