Chacun son graal

d'Lëtzebuerger Land du 16.11.2012

« Toi, tu viens pour voir s’il y a encore quelque chose qui t’appartient ! ». En italien dans le texte, c’est une jeune cousine qui lui dit ça, un soir d’été, sur un banc d’un petit village de plus en plus désert. Lui, c’est Donato Rotunno, réalisateur et producteur établi au Luxembourg. Nous sommes à la fin des années 90 et il revient dans son village natal pour deux raisons intrinsèques : le mariage de son cousin Gino et la réalisation d’un documentaire, Terra mia. Plus d’une décennie plus tard, le film, qui avait circulé en festival uniquement, s’est rajouté une suite, Terra nostra, une moitié qui revient sur les parcours des personnages rencontrés, pour la plupart des proches du réalisateur.
On y voit d’abord beaucoup Montemilone, ce village perdu dans le sud de l’Italie, au milieu de plaines arides, un désert qui apparaît en plan de coupe de plus en plus fréquemment au fur et à mesure que l’on comprend l’enjeu du questionnement. Ce fil rouge du mariage du cousin Gino révèle des personnages aussi imposants que disparates. Certains vivent encore ici et ne s’imaginent pas ailleurs. D’autres ont quitté le village il y a des années et ne pensent pas vraiment à revenir. Et puis il y a les jeunes, qu’on éduque en italien mais qui se sentent plus Luxembourgeois, parce que nés trop loin de cette terre qu’ils ne revoient que pour les vacances. Un peu plus tard, à la sortie d’un match de foot retransmis dans un bar d’Esch-sur-Alzette, ce sont les mêmes paroles. Mais dans ces témoignages, rien de tranché, ni la question des racines, qui en laisse plus d’un perplexe, ni dans la question de l’appartenance à une culture. Donato Rotunno, qui interroge ses interlocuteurs sur sa propre appartenance à cette communauté, ne semble pas pouvoir, ni devoir, d’ailleurs, trancher entre ces deux cultures. Car ni la nationalité, ni la langue ne semblent poser les marques de l’appartenance à une patrie : on prend ça et là ce dont on a besoin pour se forger une personnalité. Le ressenti ne s’explique pas, semble nous dire le propre frère de Donato Rotunno, sur le quai de la gare de Luxembourg, à l’occasion d’un plan qui sera le plus émouvant du film.
Alors que la première partie était un peu brouillonne, avec un foisonnement un peu trop intense de personnages, Terra nostra, la seconde partie, clairement identifiée, se penche davantage sur l’histoire des parents de Donato Rotunno, un exemple assez symptomatique de l’immigration et dont l’histoire est en partie la raison de ce second volet. Ils se partageaient entre l’Italie et le Luxembourg, ils n’en bougent désormais plus, comme le craignait le père, entravé désormais par un fauteuil roulant. Quand il parle à son petit-fils, l’enfant du réalisateur, c’est en français. Et si Donato Rotunno fait le voyage en Italie pour le mariage de la cousine présentée au début, ce n’est pas le cas de toute la famille, au grand dam de la mariée, qui vit elle-même à Rome, loin de Montemilone. Serait-ce alors une simple question de distance ? La piste est écartée au profit des questions récurrentes, et du coup, redondantes, de l’identité. Même si la création de la double nationalité au Luxembourg a officialisé et institutionnalisé cette double culture, la question se pose encore, à l’heure où l’immigration se fait à l’échelle mondiale. Intéressant de par l’implication personnelle du réalisateur, qui ne cherche ni la vérité, ni la bonne réponse mais un ressenti plus intime, Terra mia, Terra nostra est un film sincère, forcément touchant de par sa démarche. Mais cette implication n’évite pas une certaine maladresse formelle, qui empêche pas d’aller plus loin que la seule fonction de reportage-témoignage.

Marylène Andrin
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