Chronique Internet

Uber-filou

d'Lëtzebuerger Land vom 28.04.2017

Uber s’est distingué jusqu’ici par son recours d’une grande brutalité au lobbying et aux actions en justice pour faire passer en force son modèle d’affaires. Ces derniers temps, on a découvert, à travers trois exemples, le pan technique de ce manque de scrupules. Même s’il s’agit pour partie d’allégations sur lesquelles des tribunaux sont appelés à statuer, on peut affirmer qu’une certaine cohérence s’en dégage.

Une première affaire concerne les chauffeurs de Lyft, le principal service concurrent d’Uber. Selon une plainte déposée par un ancien chauffeur d’Uber, un logiciel secret baptisé « Hell », mis au point par Uber et utilisant une faille des logiciels de Lyft, permettait à Uber d’espionnier les chauffeurs de son rival évoluant à proximité. Il faut savoir qu’un certain nombre de chauffeurs travaillent pour les deux services. Uber récoltait ainsi des informations sur les opérations de Lyft, mais parvenait aussi à identifier ceux de ses chauffeurs travaillant pour son rival. Une information qui lui permettait ensuite de tenter de les séduire par des offres taillées sur mesures pour les convaincre de lui rester fidèles. L’ex-chauffeur de Lyft, Michael Gonzales, accuse Uber de violer les lois fédérales et de l’État de Californie sur la protection de la sphère privée et de pratiques commerciales déloyales.

La seconde révélation, faite par le New York Times dimanche dernier, concerne un dispositif plus ancien, mais dont l’existence n’a été révélée qu’aujourd’hui, caché dans l’application d’Uber pour iPhone. Ayant découvert que certains de ses chauffeurs utilisaient des iPhones anciens, récupérés sur les marchés d’occasion, pour simuler des courses et ainsi se faire rémunérer de manière indue, Uber avait ajouté, dans le plus grand secret et piétinant allègrement les règles de l’App Store en matière de confidentialité, des lignes de code qui récoltaient les numéros d’identification des iPhones utilisés pour simuler ces courses. Les appareils ainsi identifiés étaient ensuite bloqués à l’égard d’Uber, même si leurs propriétaires les réinitialisaient. Craignant que les ingénieurs d’Apple ne s’aperçoivent de la supercherie, les programmeurs de Uber étaient allés jusqu’à faire en sorte que le dispositif ne soit pas installé sur les apps téléchargées par les employés d’Apple. Le quotidien new-yorkais raconte comment un jour de 2015, le CEO de Uber a passé un très mauvais quart d’heure dans le bureau de son homologue d’Apple Tim Cook, qui l’a menacé de l’éjecter de l’App Store s’il ne se mettait pas en règle avec les statuts de la boutique d’applications.

Une troisième affaire récente concerne encore davantage que les deux précédentes le cœur du modèle d’affaires de Uber. Lorsqu’on utilise ses services, le prix de la course est annoncé au moment de la prise en charge du passager, une mesure que le service présente comme contribuant à la transparence de ses prestations. Or, selon une plainte de type class-suit introduite contre le groupe de San Francisco, l’application Uber présente à ce moment-là des prix différents au passager et au chauffeur. Le premier voit s’afficher sur son téléphone un prix calculé en fonction d’un parcours long et passant par des zones embouteillées, le second une rémunération correspondant à un trajet plus court et moins encombré. Tout bénéfice pour Uber, qui gruge ainsi à la fois le passager et le chauffeur. Les avocats du plaignant, Sophano Van, un chauffeur de Uber à Los Angeles, ont qualifé la pratique de Uber de « choquante », de « méthodique » et d’« étendue ». Ils plaident la violation de contrat, l’enrichissement illicite, la fraude et la concurrence déloyale.

Tout cela est tellement gratiné qu’on en arrive à se demander si Uber, champion de l’économie de partage valorisé à 70 milliards de dollars, finira par succomber aux instincts démoniques de son CEO.

Jean Lasar
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