Patrimoine immobilier des particuliers

Déclassés de la pierre

d'Lëtzebuerger Land du 18.09.2008

Jusqu’où un patrimoine immobilier des particuliers peut-il aller avant de basculer dans l’activité commerciale ? La question a été tranchée la semaine dernière par le tribunal administratif à la demande d’un couple de Luxembourgeois qui a investi une grosse partie de ses économies dans la pierre.

Il est médecin, ce qui, de facto, ne le range pas dans la catégorie la plus miséreuse des ménages résidents. Son épouse n’a pas décliné son curriculum vitae au cours de la procédure qui a amené le couple devant le tribunal administratif pour contester une décision de juin 2007 du directeur de l’Administration des contributions directes (ACD), qui a reclassé fiscalement leurs revenus tirés de leurs biens immobiliers, non comme revenus de biens locatifs, mais comme des bénéfices commerciaux. Il faut dire que le portefeuille des époux est plutôt important. Le tribunal administratif en a dressé l’inventaire, sans toutefois mentionner d’indication de leur valeur.

Le volume de la lettre  du directeur de l’ACD et le soin qu’il apporta à son argumentation juridique confirmant la position du bureau d’imposition 8 (celui qui est en charge des opérateurs immobiliers) relève à lui seul l’importance que l’administration fiscale accorde au cas des époux X. De leur côté, les requérants ont plutôt bien ficelé leur dossier, sans l’aide – officielle en tout cas – d’un avocat dans la procédure. Ils contestent leur bulletin d’impôt 2001 dans lequel l’ACD opéra une requalification comme bénéfice commercial, donc soumis à l’impôt, ce qui aux yeux de ces contribuables pas tout à fait ordinaires s’impose comme une « gestion normale d’un patrimoine privé » d’immeubles déclarés.   

Pourtant leur patrimoine dans la pierre ne manque pas d’envergure. D’abord « modestement » limité à sept immeubles, il va surtout prospérer à partir de 2001 suite à la plus-value tirée de la vente d’une SCI. Au point d’ailleurs d’amener ses propriétaires à constituer une société de construction – et d’en être les actionnaires ultra-majoritaires ) – active dans les travaux d’électricité, de chauffage et d’entretien, afin de faciliter le développement et la mise en valeur de leurs immeubles, détenus soit directement, soit via des sociétés. Comme l’a remarqué le directeur de l’ACD, le couple figure comme associé de sept sociétés civiles immobilières, sans oublier quatre co-propriétés en indivision. De plus, le mari médecin apparaît comme actionnaire et administrateur d’une société anonyme œuvrant dans l’achat, la vente, la gestion et la gérance d’immeubles, ainsi que la promotion immobilière. À cela s’ajoutent les 99 pour cent du capital de la S.A. spécialisée dans les travaux en tout genre, mentionnée plus haut. 

Du point de vue du fisc, cette suractivité peut difficilement  être assimilée à « une jouissance à long terme de fruits par la perception de revenus locatifs », autrement dit une « possession patrimoniale », comme le soutiennent pourtant les contribuables. Il s’agit « manifestement » pour l’ACD d’un « négoce tant de promotion, que d’achat et vente, parallèle à une entreprise de construction générale ». Le directeur du fisc souligne d’ailleurs dans sa lettre du 14 juin 2007 « le faisceau global des activités immobilières des réclamants, par leurs interventions personnelles, en nom propre comme au niveau des sociétés tant civiles que commerciales, s’identifie exactement aux façons typiques de l’organisation des exploitations des agents immobiliers et promoteurs professionnels du bâtiment ». Du même coup, le dossier du médecin, traité auparavant par le bureau d’imposition 1, qui a compétence spéciale pour les médecins de la ville, sera transféré au bureau 8, spécialement chargé des entrepreneurs et promoteurs immobiliers. Belle victoire. Elle a en revanche un goût amer pour le fisc qui peut toujours faire appel de cette décision devant la Cour administrative.    

Évidemment, le reclassement fiscal du couple n’a pas été à son goût. Saisi, le tribunal administratif a porté un sévère camouflet à l’Administration des contributions directes en demandant à son directeur un réexamen du dossier des deux contribuables et leur reclassement au bureau d’imposition 1 des médecins. Les juges ont considéré que le couple n’avait pas dépassé les bornes de la gestion de leur patrimoine privé, notion qui d’ailleurs ne fait l’objet d’aucune définition légale. Citant abondamment la littérature fiscale qui pose comme préalable qu’il y a « administration du patrimoine privé aussi longtemps que les activités d’achat et vente s’analysent en de simples accessoires d’une jouissance des fruits d’un patrimoine immobilier privé dont la substance est conservée », les magistrats ont jugé qu’il manquait à l’activité du couple un des critères qui aurait pu les faire basculer dans le champ de l’activité commerciale : celui du caractère permanent de leur activité. « Le simple fait que les demandeurs détenaient certains de ces immeubles par le biais d’une société civile immobilière ne permet pas d’affirmer que ces opérations aient été accomplies de manière réitérée ou systématique  ». Du coup, l’acquisition du portefeuille immobilier relève donc bien, pour le tribunal administratif, de la gestion du patrimoine privé, avec toutes les conséquences que cela entraîne pour les contribuables et notamment les généreux bonus fiscaux traitant les revenus provenant de la location de biens. 

Le médecin en revanche n’a pas réussi à tirer le pompon : il réclamait la prise en compte du forfait spécial prévu par la loi sur l’impôt sur le revenu qui accorde aux médecins un forfait de 500 à 1 250 euros en sus des déplacements entre leur domicile et leur lieu de travail. Il n’y a pas de petites économies. Mais sur ce point, il n’a pas eu gain de cause. 

Véronique Poujol
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