À la recherche de fonds de mécènes privés

Quand les attitudes deviennent forme

d'Lëtzebuerger Land vom 14.06.2001

Plop. Une fenêtre apparaît sur l'écran sans que personne ne l'ait demandé. Partenaires est-elle intitulée, et : « Le site internet mudam est réalisé avec le soutien de la [logo] Banque générale du Luxembourg. » Merci la banque ! Mudam est le nouvel acronyme du Musée d'art moderne grand-duc Jean, anciennement MamGDJ. C'est Mudam qu'il faut donc désormais retenir. Il est vrai que ça se prononce plus facilement et que c'est plus neutre - dire qu'on expose dans un musée dédié à un grand-duc au début du XXIe siècle, cela ferait probablement sourire.

« La Fondation Musée d'art moderne grand-duc Jean est une organisation privée dont le mécène principal est l'État luxembourgeois, » explique un texte introductif sur les structures du musée sur www.mudam.lu. Le budget accordé en 2001 par ce mécène principal est de 1,6 millions d'euros, soit quelque 65 millions de francs. Durant la phase de préfiguration, cette somme devrait suffire à la fois pour les acquisitions, le fonctionnement de l'administration et l'organisation des activités du musée - comme les projets ArtFiles ou le site Internet. Un budget néanmoins modeste, surtout une fois la part acquisitions soustraite. 

La directrice du musée, Marie-Claude Beaud, consacre donc une partie importante de son temps à la recherche de fonds de mécènes privés. « Ce que je voudrais essayer de proposer, avec l'accord du Conseil d'administration, c'est la création d'un fonds financier privé, tels les endowments américains, qui permettent à la fois d'abonder le budget de l'État, mais surtout qui impliquent les acteurs privés dans l'ensemble du projet du musée, » expliquait-elle en mars dans une interview accordée au Land (à consulter dans le dossier Musées sur notre site www.land.lu). Ainsi, le projet ArtFiles est soutenu par la Banque de Luxembourg. Et le site Internet donc par sa consoeur du Kirchberg. 

Au moins, les sponsors ne peuvent pas se plaindre d'un manque de visibilité. La fenêtre pop-up avec le nom du sponsor apparaît régulièrement, qu'on le veuille ou non. Tout comme les autres fenêtres d'ailleurs. Pour la création du site, le musée a eu recours à des artistes, dont le maître d'oeuvre est Claude Closky. D'ailleurs on reconnaît indéniablement sa signature : fond en couleurs criardes qui changent régulièrement, boucle de fenêtres qui se suivent et se superposent à un rythme plus ou moins aléatoire, recyclage d'images et de codes issus de la publicité, humour décalé - la présentation des contributeurs ressemble à un catalogue de l'agence Élite, les CV étant décorés de photos de top-modèles. 

Toutefois, l'internaute est singulièrement impuissant dans ce ballet qui plop ! et qui clique comme par magie. Au lieu d'adapter les formes convenues - le texte et l'image - à l'Internet, Claude Closky recherche en permanence de nouvelles formes,  un langage propre qui serait spécifiques à ce nouveau média et à son utilisation optimale. Si, pour le zapping à la télévision, l'utilisateur est encore acteur, il peut ici se laisser emporter par le flux d'images et de textes prédéfinis.

Peter Kogler, artiste invité à réaliser une oeuvre online, réduit le spectateur en souris blanche de laboratoire : avec les quelques traits d'un plan du bâtiment, il a imaginé les volumes de quatre salles du Mudam qu'il a ornées d'un motif psychédélique en noir et blanc et dans lesquelles une souris blanche cherche son chemin. L'Internaute peut ainsi une première fois visiter les espaces du musée, au moins virtuellement. 

Car c'est bien dans son absence, son immatérialité que le Musée d'art moderne est actuellement difficile à gérer. Si l'hostilité des dîners en ville envers ce projet est loin de diminuer, bien au contraire - les collectionneurs de l'École de Paris et compagnie préféreraient une instance qui cautionne et valorise leurs acquisitions privées -, si le public reste dubitatif, il est difficile de prouver le contraire, de montrer que les choses se mettent en place. La proposition du ministère de la Culture de nommer Marie-Claude Beaud commissaire de la participation luxembourgeoise à la biennale de Venise 2001 était donc une occasion rêvée de s'exposer, de tâter le terrain, aussi à l'international, dans le grand cirque des Men in Black de l'art contemporain. La fondation contribue non seulement financièrement mais aussi avec toute sa structure, organisationnelle et personnelle, à la réalisation de ce pavillon dans la Ca' del Duca, les moyens mis à contribution ayant augmenté substantiellement par rapport aux années précédentes. 

C'est Doris Drescher qui fut élue pour « représenter le Luxembourg » - car c'est ainsi, un peu comme l'Eurovision de la chanson que la biennale de Venise fut conçue il y a cent ans, une pratique d'« impérialisme culturel » qui lui colle toujours à la peau. Le travail fragile et intimiste de l'artiste, à l'extrême opposé du gigantisme du garçon de Ron Mueck ou des sculptures de Richard Serra à l'Arsenale, semblait se faire encore plus discret lors du vernissage, vendredi dernier. Car qui veut l'attention du public vénitien aura aussi les pertes et fracas. Pour attirer l'intérêt des visiteurs blasés des journées professionnelles de pré-vernissage - artistes, institutionnels, curateurs indépendants, critiques et journalistes, qui sont tous là pour le bizness - il faut mettre le paquet. À l'entrée des Giardini déjà furent distribués les invitations au vernissage sous forme de lingettes rafraîchissantes, une idée originale que beaucoup trouvaient même pratique dans la chaleur de juin.

Mais il y eut aussi une bonne presse d'avance : lors d'une première exposition personnelle en galerie du travail de Doris Drescher (à l'agence d'art Stéphane Ackermann en février), la presse luxembourgeoise et même française (ArtPress) avait amplement présenté son travail. En annonce de la biennale, Beaux Arts Magazine (numéro 205 de ce mois) cite même le pavillon luxembourgeois parmi les six qu'il juge « incontournables », ce qui est extraordinaire, considérant la concurrence de plusieurs centaines d'artistes, dont plusieurs très grandes pointures, durant les cinq mois que dure l'exposition. 

Or, il ne faut pas se leurrer. Cette attention, le Luxembourg l'a surtout grâce à Marie-Claude Beaud et les bonnes relations qu'elle entretient sur le plan international, surtout en France. Et ce non seulement avec les artistes, les institutions ou la presse, mais aussi avec les collectionneurs et le capital : si François Pinault, un des deux hommes les plus riches de France, l'appelle en tant qu'« experte reconnue » (Le Monde, 27 mai 2001) pour constituer son « musée-phare en Europe pour l'art contemporain » (ouverture prévue sur l'île Séguin en 2004, comme le Mudam), cela n'est pas uniquement la reconnaissance d'une compétence, mais aussi une clé qui ouvre de nombreuses portes. 

Aussi pour le Mudam. Car dans un environnement de plus en plus concurrentiel dans lequel les musées, privés ou publics, poussent comme des champignons, le petit luxembourgeois doit essayer de multiplier les arguments. Par exemple pour qu'un artiste choisisse de travailler avec lui plutôt qu'avec un autre, peut-être plus riche ou plus connu, ou pour qu'un propriétaire prête une oeuvre, pour qu'un curateur accepte de monter une exposition et ainsi de suite. Pour exister tout simplement.

Outre le bâtiment, présenté sous toutes les coutures, avec plans, textes de présentation et photos du chantier, la collection est le meilleur indicateur de l'intérêt et de la ligne que va adopter le musée. Sur le site Internet, on apprend pour la première fois les noms des artistes dont Marie-Claude Beaud a acquis des oeuvres, en collaboration avec un comité scientifique. Ainsi, après la période Ceysson qui laissa un héritage d'oeuvres de créateurs des années 1980, explique le texte introductif au chapitre Collection : « récemment, cependant, les choix se sont orientés vers des productions de plus jeunes générations réunies autour de certaines thématiques comme 'Abondance et pénurie', 'Pertinence et insolence', 'Poésie et folie'. » La collection va clairement dans le sens d'oeuvres transversales, touchant plusieurs disciplines. 

Si tous les noms d'artistes sont online, pour le lancement entièrement dédié à Venise, seuls quelques oeuvres sont plus explicitement évoquées, à savoir celles qui ont trait à la biennale. Ainsi, on trouvera par exemple confirmation de l'acquisition du World Airport / Flugplatz Welt de Thomas Hirschhorn, créé pour la dernière biennale de Venise en 1999 - plutôt une bonne nouvelle. 

Le site sera actualisé au fur et à mesure, « nourri régulièrement de contributions scientifiques, poétiques, ludiques » nous promet le communiqué de presse, « pour qu'il devienne un lieu où sont posées des questions sur le monde actuel et sur le rôle de l'art et de l'artiste (d'un point de vue social, politique...) ». Un magazine en-ligne sera édité par l'équipe autour de Claude Closky, un comité de rédaction constitué de Simon Lamunière, Jean-Charles Masséra et Benjamin Weil. 

En face de ceux qui distribuaient les invitations pour le vernissage luxembourgeois à Venise, des concurrents faisaient la publicité pour le futur musée d'art contemporain français, le Palais de Tokyo à Paris, dirigé par Jérôme Sans et Nicolas Bourriaud, également en phase de préfiguration. Eux aussi ont lancé un site web, www.palaisdetokyo.com, un dotcom, alors que le Mudam n'est qu'un  pointlu.

La biennale de Venise dure jusqu'au 4 novembre. Pour plus d'informations : www.labiennale.org

L'adresse du pavillon luxembourgeois : Ca' del Duca, Corte del Duca Sforza, San Marco, 3052, Venezia ; tél. : 0039 041 520 75 34. Le catalogue de Doris Drescher, Casa Mia est édité par la Fondation musée d'art moderne Grand-Duc Jean ; ISBN 2-91 99 23-24-2

josée hansen
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