Exposition

Décillante peinture

Photo: Lucien Kayser
d'Lëtzebuerger Land du 28.04.2017

La galerie du Wandhaff a changé de nom, figurant aujourd’hui sous celui de Ceysson & Bénétière, passant d’une génération à l’autre. Pour le reste, de façon heureuse, on a toujours le même espace, ample, généreux, la même richesse des œuvres, une centaine pour une exposition personnelle qui est proche d’une rétrospective qui ne dit pas son nom, et l’essentiel, peut-être, un accrochage, un aménagement donnant aux œuvres comme aux visiteurs de quoi respirer, souffler.

Une exposition, commençons par là, où l’on aime à se promener, l’espace le permet, à s’arrêter çà et là, et si un parcours est donné, à rebours, dans la cinquantaine d’années d’expérimentation plastique, avec les 33 S.O.S, peintures prises entre deux gyrophares à l’entrée, on peut aller et revenir sur ses pas, à sa guise, faire du zigzag ; et ce n’est pas la plus mauvaise manière de se frayer son chemin dans Noël Dolla, lui-même n’a jamais été un homme de la ligne droite.

Pour le situer, même si c’est grossièrement, il faut relever sa naissance, en 1945, à Nice, d’où la connaissance très tôt de Viallat et de Ben. Cela vous marque, et conduit, après le contact avec le groupe BMPT et sa réflexion sur la fin de la peinture, sur une voie entre Fluxus et Supports/Surfaces dont Noël Dolla a été un des membres fondateurs en 1968. Des années, une décennie de radicale mise en question, de pratique toujours renouvelée, allant dans tous les sens. La peinture, certes, Noël Dolla y reste attaché, mais comme il le dit lui-même, il faut lui faire mal, pour déciller (c’est l’orthographe, étymologiquement justifiée, qu’il a choisie) les yeux, « torture of nature for her secrets », voulait Francis Bacon.

La visite débute donc par un mur de 33 tableaux, de format carré, 60 sur 60 centimètres, sur trois rangées, dans le clignotement rouge et bleu de deux gyrophares. Et l’artiste de demander qu’on fasse de même, en clignant des yeux. Se mêleront alors, comme ils le font d’emblée dans la série, tels éléments du vocabulaire dollien, pour donner des visages, des masques, comme l’aboutissement de quelles pliures, de quels pliages, dans un mouvement pictural plus ou moins léger, des fois plus dense, plus ordonné ou plus enlevé. Il est là, dans la production la plus récente, dans une expression gravement enjouée, ce qui est le fil rouge de l’œuvre, le sera de notre exploration. Jusqu’aux serpillières, jusqu’aux torchons, des années soixante-dix. Et si les S.O.S., c’est de l’acrylique sur toile et tarlatane, cette dernière, matériau de peintre en bâtiment pour masquer les fissures, s’avère rayonnante, glorieuse, dès la fin de l’autre décennie, deux exemples de 1979 en témoignent haut et fort.

Noël Dolla a toujours eu une prédilection dans son travail pour les séries, thèmes et variations, là où il ne manque par ailleurs pas de musicalité. Les séries de la sorte ponctuent l’exposition, peuvent être considérées aussi comme autant de repères chronologiques. Tantôt carrément anecdotiques, telles les Boîtes au leurre, on n’est pas pêcheur pour rien, et on fait tableau de toute mouche de pêche, faite pour attraper ; tantôt richement picturales, tels les Carrés magiques, ou plus intimes, plus poétiques, telles les Jeunes Filles aux œillets, non pas les fleurs, mais les petits trous en forme d’œil et leur bordure en métal, qui servent à fixer une chose, ça ressemble ici à un souvenir laissé par le temps, venu se mettre sur une surface monochrome, dirait-elle la coloration d’une chair, d’un teint (à en croire les titres).

Hors des séries, parmi elles, des tableaux de grande dimension attirent et arrêtent le regard, avec toujours un même va-et-vient, de manière, de style. Réduction, si l’on veut, des Silences de la fumée, profusion des figures ailleurs, de façon monumentale, dans My mother I, triptyque de trois mètres et demi sur plus de six mètres. Et à d’autres endroits, des colonnes, des constructions semblables à un paravent, accentuent la verticalité, alors que des bois et des cordes, par terre, initient au contraire une sculpture ; au mur, plus loin, il arrive qu’une jalousie dans une peinture simule une ouverture, lui donne en tout cas une nouvelle dimension.

Supports/Surfaces, dont la galerie du Wandhaff continue avec Noël Dolla comme un inventaire bienvenu, c’était à l’époque l’explosion du châssis traditionnel, sa déconstruction, concept et pratique étaient dans l’air du temps ; c’était la toile ou son succédané, jusqu’aux torchons, on l’a vu, dans tous ses états ou ébats. Et ça allait de la plus grande réduction, et pourquoi ne pas avouer une préférence pour les Maroufle et sardines, et leur réduction chromatique, réduction non moins du geste, en l’occurrence de couteau à enduire, à l’opulence baroquisante. Par-dessus tout, il y eut une curiosité extrême, qu’il faut également que le visiteur apporte. Où l’expérimentation, sans limite, devient source de plaisir quand les yeux se sont définitivement ouverts.

L’exposition de Noël Dolla, S.O.S. – Supports ou surfaces dure encore jusqu’au 27 mai à la galerie Ceysson & Bénétière, 13-15 rue d’Arlon au Wandhaff ; ouvert du mercredi au samedi de midi à 18 heures ; www.ceyssonbenetiere.com

Lucien Kayser
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