Les non-dits de la réforme fiscale II : Fraude fiscale

Impunité

d'Lëtzebuerger Land du 12.02.2016

La poursuite des fraudeurs fiscaux a la forme d’un entonnoir bouché : En 2014, les douze fonctionnaires du Service de révision chargés de la lutte contre la fraude fiscale ont procédé à 87 contrôles – ce qui donne une moyenne de sept dossiers par fonctionnaire. Sur ces 87 dossiers, huit furent transmis au Parquet. Dans son analyse des données fiscales (d’Land du 1er janvier 2015), le Conseil économique et social (CES) se fait l’écho des administrations fiscales et déplore que les dossiers transmis au Parquet « ne sont pas traités avec l’acuité nécessaire, au pire, qu’ils ne sont pas poursuivis. » « Consterné », le CES dénonce « ce manque de suivi [qui], couplé à une législation fiscale complexe, permet aux fraudeurs, non seulement de profiter des failles du système, mais aussi de ne pas être jugés et condamnés pour leur infraction. » Le phénomène que le CES décrit a un nom : impunité.

Le Luxembourg ne connaît ni de Guardia di Finanza ni de Steuerfahndung disposant de pouvoirs quasi-policiers. Sauf pour les astreintes – « de montants assez dérisoires », note le CES – contre un contribuable en retard ou refusant de fournir des pièces demandées, l’ACD n’est pas en droit de prononcer des sanctions administratives. Le CES dit soutenir « la proposition des administrations fiscales, à savoir […] de les outiller de manière à ce qu’elles puissent infliger aux fraudeurs une amende sur le montant des impôts fraudés. » Or, pour l’instant, cela reste un vœu pieux.

Le secret bancaire vit toujours. Il continue à s’appliquer pour les résidents, ce qui, concrètement, veut dire que l’administration fiscale n’a pas le droit de s’enquérir auprès d’une banque luxembourgeoise sur les avoirs d’un résident luxembourgeois. (Alors qu’elle recevra automatiquement des informations concernant un compte à l’étranger.) Tant que le rempart entre banques et administration tiendra bon, le contribuable ne déclarant pas ses revenus sur ses plus-values et dividendes aura peu à craindre. L’État devra se fier à la bonne moralité de ses contribuables. Or, à l’heure de la « transparence », le secret bancaire pour résidents commence à paraître étrangement déphasé et anachronique. Sa fin ne sera qu’une question de temps. Aujourd’hui, et ceci jusque dans les milieux libéraux, cette perspective est envisagée sans sentimentalité. (En Autriche, le secret bancaire pour résidents fut aboli sans tam-tam en juillet 2015, le fisc s’y attend à une hausse des recettes de 700 millions d’euros.)

Comme toujours, la forteresse tombera sous la pression internationale. Et, comme souvent, ce sera la législation anti-blanchiment qui, tôt ou tard, finira par porter le coup fatal. La quatrième directive anti-blanchiment, qui devrait être transposée d’ici la fin de l’année, prévoit ainsi un registre centralisé des bénéficiaires économiques des sociétés, de l’épicerie à la Soparfi. Un cadastre qui devrait percer les sociétés-écrans. Présenté mardi dernier, le plan d’action de lutte contre le financement du terrorisme va un pas plus loin. La Commission européenne réclame la mise en place de « registres nationaux centralisés des comptes bancaires ». Elle dit « étudier la possibilité » que ces registres puissent être consultés « à d’autres fins » (dont « les infractions fiscales ») » et par « d’autres autorités » (dont les autorités fiscales). La lutte anti-terroriste signera-t-elle l’acte de décès du secret bancaire luxembourgeois ?

Bernard Thomas
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