Dem Struwwelpéiter seng Kanner

Appel à l'incivilité

d'Lëtzebuerger Land du 08.07.2004

L'histoire ne nous dit pas combien d'enfants seront rentrés cette semaine d'une représentation de Dem Struwwelpéiter seng Kanner au Festival de Wiltz un peu plus rebelles. Car Mani Muller, jeune dramaturge, et Carole Lorang, metteuse en scène, se sont fait un malin plaisir à changer la révoltante morale du Struwwelpeter de Heinrich Hoffmann (1845), qui prône une éducation ultra-autoritaire, en son contraire. La pièce écrite par Mani Muller pour les enfants d'aujourd'hui les incite à développer leur fantaisie, leurs qualités individuelles et un certain sens critique. Sous le regard de Carole Lorang, le monde de cette fable pour enfants devient un royaume enchanté et enchanteur, où même le kitsch qui rend si souvent les pièces pour enfants insupportables pour adultes, a été évité. Cela est aussi dû à l'encadrement musical joué sur scène par Nima Azarmgin avec un piano à queue un peu «trafiqué», donnant souvent à ses morceaux un air de Satie, ainsi qu'au décor minimaliste et efficace de Lisi Theisen et Rolf Giesler: des cadres en fer sur lesquels sont attachés des rideaux qui tantôt signifient des cloisons, tantôt des arbres. La pièce raconte l'histoire de deux enfants en l'an 2004 : Conrad (Jean-Claude Majerus, génial en grand dadais premier de classe) est un élève modèle, toujours sage, toujours doux, qui obéit au mot à ses parents, passe ses journées à lire et à laver ses dents ; les parents le récompensent par 2,5 euros d'argent de poche et un téléphone portable avec appareil photo intégré. Sa soeur Philippine (Bach-Lan Lebâthi, très bien dans le rôle de l'insolente derrière ses airs d'ange) par contre n'en fait qu'à sa tête, provoque son frère, casse tout, se rebelle contre l'autorité parentale et semble indomptable. Le jour où elle casse la chaise que tante Suzanne avait ramené du Congo, c'en est trop, les parents décident d'agir. Et que font les gens aujourd'hui lorsque quelque chose ne va pas ? Ils vont voir un médecin bien sûr. Qui ausculte la fille mais trouve que son impertinence ne peut même pas être résolue par l'amputation d'une partie du cerveau - comme le propose la mère - mais plutôt par l'expérience en commun d'un internat. Pas n'importe lequel, mais un internat extraordinaire: celui de Struwwelpéiter, de Crasse-Tignasse ou Pierre l'Ébouriffé. gé de plus de 280 ans, l'homme vit dans la forêt et accueille depuis des générations des enfants jugés pas sages par leurs parents. Afin que Philippine ne soit pas trop perdue, les parents demandent à Conrad de l'accompagner. Commence alors pour eux un voyage onirique et initiatique dans cette forêt magique où ils retrouvent toutes sortes d'enfants hauts en couleur. Crasse-Tignasse, qui leur a d'abord fait peur avec ses cheveux explosés et ses longs ongles tout noirs, se révélera vite être un extraordinaire pédagogue, qui découvre les qualités de chaque enfant et les incite à s'accepter eux-mêmes, mais aussi à se respecter mutuellement. C'est donc - forcément et contre l'attente des parents - avec Conrad qu'il travaillera le plus pour qu'il retrouve sa fantaisie sous le carcan de bonnes manières qu'il s'impose. Si on a adoré cette production de Struwwelpéiter, c'est aussi pour la performance de Myriam Muller dans le rôle-titre. Trop longtemps cantonnée dans des rôles de saintes nitouche et de filles fragiles, elle s'en donne à coeur joie dans ce rôle d'éternel garçon rebelle, qui a survécu à toutes les modes avec sa coiffure pleine de noeuds et son refus de s'adapter aux normes de la société. Dans son très beau costume (Solange Botz) - un long et lourd manteau qui le fait souvent ressembler à un arbre -, elle ne tient pas en place, court, danse, gigote sur scène, écarquille les yeux ou pointe le monde de ses longs doigts. Ce Struwwelpéiter est à mille lieues du Back to basics. Au contraire, il est un révélateur des qualités humaines des enfants qui lui sont confiés. Il ne leur impose rien, même pas sa vérité, mais les mène à la découverte en commun de leurs points forts et de leurs faiblesses - les notions de communauté et de tolérance y importent beaucoup. Mais on ne sait pas combien d'enfants auront refusé de manger leur soupe aux légumes le soir. Ni combien de parents auront accepté que leur enfant ait sa propre personnalité, avec ses désirs, ses besoins. Et même des droits.

Dem Struwwelpéiter seng Kanner - Les enfants de Crasse-Tignasse de Mani Muller, mis en scène par Carole Lorang, assistée de Pascale Lorang ; chorégraphie par Karolina Markiewicz, scénographie par Lisi Theisen et Rolf Giesler, costumes : Solange Botz, musique : Nima Azarmgin ; avec : Patricia Breuer, Jean-Marc Calderoni, Gianfranco Celestino, Marcel Heintz, Bach-Lan Lêbathi, Jean-Claude Majerus, Pol Montalto, Magalie Montier, Myriam Muller, Dan Tanson et Milla Trausch. Coproduite par le Théâtre du Centaure et le Festival de Wiltz, la pièce sera programmée en mars 2005 au Théâtre municipal à Esch-sur-Alzette, ainsi qu'à Mersch et au Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg à des dates qui restent à fixer.

 

josée hansen
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