Art contemporain

Trame orthogonale

d'Lëtzebuerger Land du 03.07.2020

Faut-il toujours qualifier Eric Schumacher de sculpteur ? Cela dit, on peut prendre le qualificatif dans le sens le plus large, sachant ce qu’il est advenu de la sculpture au vingtième siècle et après. Il y eut la taille directe et le modelage, puis vinrent le collage, le montage, l’assemblage, et du côté des matériaux, les changements ne furent pas moins abrupts. Dernière étape, en gros dans la deuxième moitié du XXe, l’installation, cet agencement d’objets, d’éléments, appelés à former un tout, mais ce tout s’étend, se disperse, va occuper un espace, qu’il soit intérieur ou extérieur. Pas de dénomination spécifique pour son auteur, on continuera donc à le nommer sculpteur, voire plus largement encore artiste plasticien (ce qui englobe toutes sortes de pratiques).

Deux salles dans la partie « Projects » de la galerie NosbaumReding, c’est là que se déploient jusqu’à la fin du mois d’août les installations d’Eric Schumacher, mais le verbe, là encore, est mal choisi ; elles en occupent le sol, les murs, avec trop de rigueur pour ce verbe tant soit peu flottant. Ce qui dicte la manière d’Eric Schumacher, c’est la trame orthogonale, de ce point de vue un classicisme structurel, un quadrillage à la façon romaine. Et nous voici de suite amenés à élargir plus encore, de la sculpture, de l’installation à l’architecture, à l’urbanisme.

Pour commencer, considérons donc cet artiste comme l’auteur d’un discours critique mis en forme, plastique justement. Et viennent à l’esprit, devant ses ensembles géométriques, tels centres de villes, de Mannheim par exemple, « Quadratestadt », où ça remonte quand même au XVIIe siècle, ou Le Havre, avec sa reconstruction en béton par Auguste Perret, après les bombardements de 1944. C’est net, c’est strict, sévère même, pour d’aucuns trop. Et quand le béton intervient, dans cet après-guerre, il est volontiers question de brutalisme, style architectural porté vers une esthétique de la structure, du matériau brut.

« Je rêve d’une sculpture dans laquelle le paysage, l’architecture et la ville se fondraient dans une même unité. » Le rêve est de l’architecte autrichien Fritz Wotruba, dont l’église de la Sainte-trinité, dans le 23e arrondissement viennois, avec ses 152 blocs de béton, dans sa force ne manque pas d’élégance, et dans ses sculptures, Wotruba, toujours attaché à la figure humaine, atteint par le dépouillement à une abstraction presque radicale. La trame orthogonale justement, jusque dans la morphologie humaine, cette réduction, cette imbrication, qu’on retrouve de nos jours dans le design, dans les signes, symboles des gares, des aéroports.

Aux murs de la galerie, Eric Schumacher a fixé des sculptures en jesmonite, comme un ersatz de béton ; elles ont cette allure d’articulation, il en est d’autres qui se dressent à tel croisement d’installation. Dans leur partie supérieure, elles sont ouvertes, et des bouts de cigarettes les font de la sorte servir de cendriers. De façon plus complexe, plus ludique, il arrive qu’il s’élève des bouts de métal recourbés, on peut imaginer (en toute liberté) des simulacres de palmier ou de fontaine.

On voit à l’opposé de la réduction des moyens mis en œuvre toute la profusion rêveuse à laquelle invite le travail d’Eric Schumacher. À côté de son aspect critique, de son impulsion à l’interrogation, à la réflexion et au jugement. Et dans l’un et l’autre cas, c’est bien de notre cadre de vie qu’il s’agit. C’est un défaut de ce texte, d’avoir négligé jusqu’à maintenant cette autre caractéristique, qui rejoint je parti pris de l’installation contemporaine. Celle-ci est faite de matériaux communs, trouvés par hasard souvent, on est loin du prestige de jadis, de même d’une volonté de stabilité, et dans le temps de quasi-éternité. Dans l’exposition, des lattes reposent sur des boîtes, fragile équilibre, accentué encore quand l’artiste y superpose une des sculptures décrites plus haut. Un des nombreux jeux, avec l’opposition des matériaux, de leur consistance, de leur surface, de leur couleur, un des nombreux attraits de pLzZ zA, je vous laisse le charme et le soin d’éclaircir le mystère de ce titre.

L’exposition pLzZ zA d’Eric Schumacher dure encore jusqu’au 29 août à la galerie Nosbaum-Reding Projects ; nosbaumreding.lu

Lucien Kayser
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