Fusion ArcelorMittal en question

La quatrième porte

d'Lëtzebuerger Land vom 10.07.2008

La quatrième porteIls ont frappé un premier coup et assuré que la bataille ne fait que commencer à Luxembourg. Il faut donc s’attendre à ce qu’ils fassent l’assaut des tribunaux luxembourgeois, comme ils l’ont déjà fait en France et aux Pays-Bas. Sans succès d’ailleurs, ce qui explique sans doute le déplacement du terrain d’action vers le Luxem­bourg. Deux autres procédures sont pendantes devant les juridictions civiles. Les réjouissances ont toutefois commencé devant le tribunal administratif cette semaine. L’avocat de deux fonds d’investissement basés aux Iles Caïmans, SRM Global Master Fund et Trafalgar Catalyst Fund Limited, a en effet plaidé lundi des recours devant le tribunal administratif dans l’espoir de faire annuler une des dernières étapes de l’OPA qui avait permis à la famille Mittal de prendre le contrôle définitif sur le capital d’Arcelor et détenir, avec la bénédiction du gouvernement Juncker, 44 pour cent du numéro un mondial de l’acier sorti du rapprochement des deux groupes sidérurgiques. 

Un retour en arrière s’impose à ce stade. Le « mariage » en 2006 entre Mittal Steel et Arcelor ne s’est pas fait aussi facilement que prévu en raison des difficultés techniques que posait à l’époque le droit sur les fusions transfrontalières, tant aux Pays-Bas, siège de Mittal, qu’au Luxembourg, patrie du groupe cible, que le gouvernement Juncker et les dirigeants  d’alors d’Arcelor ont imposé comme le domicile de ce qui allait ensuite devenir ArcelorMittal. Il a donc fallu réaliser l’intégration en plusieurs étapes, la première consistant à la fusion en septembre 2006 de Mittal Steel, groupe de droit néerlandais, avec une structure ad hoc de droit luxembourgeois baptisé ArcelorMittal. La seconde étape prit la forme d’un reverse-take-over : ArcelorMittal fut absorbée par Arcelor avec au final, la création d’une nouvelle ArcelorMittal. Fin des opérations le 17 novembre 2006, où la fusion est entérinée par les actionnaires sur la base de 7 actions Arcelor pour 8 actions Arce­lorMittal. Certains minoritaires toutefois, dont Trafalgar et SRM, jugent les conditions de la dernière offre peu attrayante et réclament une amélioration avec un rapport d’échange de 7 actions Arcelor pour 11 actions Arce­lorMittal, comme cela a été initialement prévu. En vain. La direction d’Ar­ce­lor assura sans jamais en démordre que la parité de fusion était « équitable » et qu’elle reflètait « la valeur intrinsèque des deux sociétés ». 

Dans l’intervalle, en juin 2006, les deux entreprises avaient conclu un accord prévoyant que leur fusion ne se ferait qu’à la condition que Mittal soit dispensé, dans ce processus très complexe, de lancer une « sur-OPA », la quatrième du genre, sur les actions Arcelor qui n’auraient pas été apportées par les actionnaires minoritaires. C’est ce qui fait l’objet du litige devant la juridiction administrative. Les fonds d’investissement considèrent que la loi OPA de 2006 imposait cette opération, en raison de la « réorganisation du patrimoine » qui en a découlé entre le premier et le second round. Si au bout du compte, c’est toujours la famille Mittal, directement ou indirectement, qui a eu la main mise sur le capital d’Arcelor dès la fin de la première OPA qui est intervenue entre le 18 mai et le 13 juillet 2007, les structures juridiques utilisées pour y parvenir ont varié au fil des étapes de la fusion, dictées par des contraintes réglementaires et surtout le désert juridique.  

Face à ces fonds spéculatifs, volontiers accusés de faire du chantage dans le seul but de trouver un arrangement financier avec ses adversaires, on trouve en première ligne la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF). Les dirigeants des fonds soupçonnent le gendarme de la place financière de complaisance envers le magnat de l’acier, qui a pu échapper, grâce à une dérogation à la loi OPA du 19 mai 2006, à une « quatrième », voir à une « cinquième OPA », privant ainsi les derniers actionnaires minoritaires d’une porte de sortie du capital du géant sidérurgiste passé à l’ennemi d’hier. La Commission de surveillance n’avait pas le pouvoir d’accorder cette dérogation, selon l’avocat des requérants. Elle n’a fait que « reprendre la loi », une loi d’ailleurs « claire », lui rétorquent ses adversaires.

La défense, elle aussi, a sorti l’artillerie lourde en dépêchant devant le tribunal administratif les ténors du barreau de Luxembourg. Les avocats de la CSSF, de la famille Mittal et d’Arcelor ont fait front commun, plaidant que les trois possibilités, qui furent alors offertes aux minoritaires pour sortir d’Arcelor, étaient suffisantes et jugeant aussi « consternante » qu’« absurde » l’exigence d’une « sur-OPA ». Pour donner un peu plus de substance à leurs arguments, ils n’ont pas hésité à exhiber une lettre de décembre 2007 de la Commission européenne volant au secours de la CSSF. Bruxelles considère en effet qu’une nouvelle OPA n’était pas nécessaire dans ce cas de figure, car si sur le plan formel, il y avait bien eu un changement dans le contrôle d’Arcelor, il est difficile d’en voir un sur le plan matériel. En bout de chaîne, c’était toujours la famille Mittal qui avait la majorité, directement ou indirectement. « Je n’ai pas beaucoup de sympathie pour les requérants », osera à l’au­dience Me Alex Schmitt, l’avocat de la famille Mittal, disant tout le mal qu’il pensait des dirigeants des fonds spéculatifs : « Ces Messieurs, dit-il, ne sont pas ici parce que la CSSF a mal fait son travail, mais parce qu’ils veulent tout faire pour remettre en cause le processus de la fusion ». Aux juges d’apprécier.  

C’est en tout cas la première fois qu’une juridiction luxembourgeoise aura à examiner la loi du 19 mai 2006 sur les OPA et à se prononcer sur l’étendue des pouvoirs de la CSSF. L’enjeu est considérable. Un jugement est attendu pour l’automne.

Véronique Poujol
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