L’impact investing

Une nouvelle façon d’investir…

d'Lëtzebuerger Land du 22.11.2012

L’impact investing peut être défini comme une stratégie d’investissement combinant la poursuite duale d’un retour financier et d’un impact sociétal positif. Il constitue donc une option séduisante pour l’investisseur recherchant un placement à la fois rentable et générateur de développement durable. Ce n’est donc ni de la philanthropie, ni de la spéculation financière, mais une réconciliation positive de ces deux approches.

L’impact investing s’inscrit dans l’ère du temps. Sur fond de crise de confiance, dans les marchés et dans un capitalisme débridé générant crises économiques, sociales et environnementales, il permet à l’investisseur de contribuer à une croissance plus qualitative et plus responsable. Il rend simultané deux mouvements traditionnellement dissociés, production puis redistribution des richesses, et appréhende la société dans ses diverses dimensions, ne relayant pas les effets sociaux et environnementaux à la marge au rang d’externalités. Il se caractérise généralement par des temps d’investissement plus long, s’opposant au court-termisme de plus en plus décrié des marchés. On parle ainsi de « capital patient ».

L’objectif premier de l’impact investing est d’engendrer une façon radicalement nouvelle d’investir. Ce nouveau paradigme en rupture avec les pratiques actuelles se caractérise par les trois P, people, planet, profit, le retour financier coexiste alors en synergie avec un retour social et/ou environnemental. Il ne les domine, ni ne s’y oppose, mais en est plutôt un vecteur. Marquant un changement progressif des mentalités et l’amorce probable d’une mutation sociale en profondeur, l’impact investing s’inscrit dans une évolution de la dynamique des politiques d’investissement, répondant à une aspiration de plus en plus pressante de la part des opinions publiques, des gouvernements et, par ricochet, des investisseurs traditionnels de muer vers des comportements plus éthiques et plus socialement responsables. De fait, il constitue également un moyen de pression efficace pour accélérer cette mutation et peser sur l’environnement économique des entreprises pour les contraindre à embrasser des comportements plus vertueux.

Trois thèmes sont généralement associés à l’impact investing : environnement, social et gouvernance (ESG). Ces investissements ont en général pour vocation soit :

- un impact environnemental positif : énergie propre et renouvelable, amélioration des performances énergétique, agriculture biologique ;

- un impact social positif : entreprises sociales, éducation, santé, microfinance, réduction de la fracture digitale, solidarité internationale ;

- une bonne gouvernance : activisme actionnarial, bien-être des employés.

Ces univers ne sont pas exclusifs. On peut imaginer placer son épargne dans un fond investissant dans la construction de logements sociaux, énergétiquement performants, mettant un fort accent sur la sécurité dans les conditions de travail.

L’impact investing se distingue d’autres types d’investissements et de concepts existants. Il emprunte aux concepts de développement durable et de responsabilité sociale ou sociétale d’entreprise. Il se distingue cependant de l’Investissement socialement responsable (ISR), déclinaison financière large de ces concepts, en ciblant le financement d’activités ayant un impact activement positif. Il ne se contentera pas d’appliquer un filtre excluant certains secteurs (armement, jeux, alcool), ou d’investir dans des organisations réduisant leur impact négatif sur la société (émissions de CO2 réduites, respect du droit des travailleurs, etc.), mais se veut une démarche volontairement proactive, en allouant ses fonds à des entités ayant pour missions, clairement annoncées, de remédier à un problème sociétal. Par exemple, investir dans une institution de microfinance pourra satisfaire aux critères d’impact investing seulement dans la mesure où l’objectif annoncé sera de promouvoir l’accès au financement à des classes défavorisées ou de réduire la pauvreté, et non pas simplement de générer du profit avec des clients pauvres. En conséquence, en plus des critères de rentabilité financière classique, les notions de transparence et de mesure de la performance extra-financière auront une importance cruciale dans la crédibilité des entreprises ayant pour ambition de s’afficher dans cette mouvance.

Les outils d’investissement empruntés par les fonds d’impact investing sont similaires aux placements traditionnels : dettes, actions, capital risque et même épargne solidaire, et sont, par conséquent, soumis aux même risques. De par la nature des valeurs qu’ils prônent, plus encore que dans n’importe quel autre type de fonds, la robustesse et la fiabilité des systèmes de contrôle interne et d’appréciation des risques est fondamental pour maintenir leur crédibilité.

L’impact investing est un secteur encore en recherche de repères pour asseoir sa réputation et maintenir sa respectabilité. De nombreuses initiatives existent pour chercher à standardiser les usages avec un enjeu majeur : celui d’éviter que ces concepts soient détournés et gangrénés par des pratiques déviantes au risque de décrédibiliser, voire d’anéantir, tous les efforts fournis pour développer ce secteur.

En France par exemple, le label Finansol est attribué aux produits de placement d’épargne solidaire. À l’image de l’épargne solidaire française, il est important de pouvoir distinguer ce qui constitue un placement impact investing d’un autre. Dans cette veine, des organismes de certification peuvent aider à guider l’investisseur. Ainsi, au Luxembourg, le label Luxflag sanctionne les fonds « impact » investissant dans la microfinance ou l’environnement. D’autres outils existent ou sont en cours d’élaboration. Le reporting « impact » en est un. Face à la multiplicité de systèmes de reporting extra-financier, l’heure est à l’harmonisation, pour permettre un changement d’échelle et une consolidation du secteur. Citons par exemple l’initiative IRIS (Impact reporting and investment standards), qui s’attelle à constituer une base d’indicateurs de performance « impact » pour permettre une totale comparabilité entre les différents investissements impact.

Ainsi, le concept d’impact est encore en phase de construction. Le régulateur apporte progressivement sa pierre à l’édifice. Au niveau européen, le Parlement européen légifère actuellement sur un nouveau régime de fond européen d’investissement, accessible à l’investisseur privé, dédié à l’économie sociale et solidaire (ESS : plus de onze millions d’emplois dans l’Union européenne, d’après une étude de 20071). En Angleterre, le gouvernement a lancé en début d’année Big Society Capital, institution financière indépendante qui apporte capital et conseil aux intermédiaires financiers investissant dans le secteur de l’ESS. Ces quelques tendances attestent d’une tendance de fond, au niveau européen, mais aussi mondial, dans la mise en place de cadres réglementaires et d’une infrastructure pour faciliter l’accès au financement, public et privé, de l’ESS.

L’impact investing est un secteur certes jeune et en développement, mais très prometteur, pour peu qu’il sache se consolider et s’affranchir des risques de dérive. Estimé à 50 milliards de dollars en avril 20102, une étude de 2009 prévoit que ce type de placement pourrait atteindre 500 milliards de dollars d’ici 2014, soit un pour cent de l’intégralité des actifs sous gestion3. Selon un sondage de J.P. Morgan4 auprès d’investisseurs impacts (institutionnels et privés) fin 2011, ceux-ci prévoyaient de placer 3,8 milliards de dollars dans le secteur sur l’année 2012, et estimaient qu’à un horizon de dix ans, le thème impact constituerait cinq à dix pour cent des portefeuilles d’investissements. Cependant, malgré cet optimisme, les sondés soulignent le manque de recul par rapport à ce type d’investissement.

L’impact investing s’inscrit dans une volonté de bousculer les consciences et promouvoir une nouvelle façon d’investir plus responsable et plus respectueuse. Faire le choix d’un placement dans un fond d’impact investing, c’est non seulement rechercher une rentabilité financière, mais c’est également s’inscrire dans une démarche citoyenne à long-terme de peser sur les stratégies d’investissement et de promouvoir des comportements plus socialement responsables. L’ impact investing peut être la nouvelle voie pour réconcilier et faire converger les marchés financiers avec l’intérêt général, pour peu qu’il sache relever les défis et éviter les dérives.

Laurent Capolaghi, José Aubourg, Alain Kinsch
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