Partage de fichiers

Le p2p aide l’industrie cinématographique

d'Lëtzebuerger Land du 30.11.2012

Lorsqu’on discute l’impact du partage de fichiers en ligne sur la création artistique, notamment sur l’industrie cinématographique, il est habituel d’entendre l’argument selon lequel la généralisation du piratage finira par avoir pour corollaire
l’assèchement des ressources des studios et avec lui la disparition pure et simple de l’activité créatrice. Intuitive, cette assertion semble frappée au coin du bon sens. Les majors la mettent régulièrement en avant, l’accompagnant de statistiques sur l’effondrement supposé de leurs recettes, criant au loup et réclamant à hue et à dia des législations anti-téléchargement, en se souciant comme d’une guigne de leur caractère presque systématiquement liberticide.
Mais autant elle semble tomber sous le sens, l’affirmation comme quoi le p2p met à mal les ventes cinématographiques est peut-être tout simplement fausse. Une étude menée par des chercheurs de l’université Ludwig Maximilian à Munich et de la Copenhagen Business School arrive même à la conclusion inverse. S’appuyant sur la situation avant-après créée par la fermeture brutale en janvier de cette année du service de stockage de fichiers Megaupload, qui était largement utilisé par les adeptes du p2p, les chercheurs Christian Peukert et Jörg Claussen estiment que les recettes de nombreux films ont sensiblement baissé suite à la mise hors ligne de cette plateforme. Leur étude a porté sur 1 344 films dans 49 pays sur une période de cinq
ans : autant dire que le corpus de l’étude est appréciable. Les données ont été obtenues de Boxofficemojo.com, un distributeur commercial de statistiques de l’industrie cinématographique. L’importance de Megaupload sur la scène mondiale du téléchargement – la plateforme était à son apogée le treizième site le plus visité du web – et sa disparition
du jour au lendemain ont grandement aidé les auteurs, cette dernière ayant influencé les chiffres de l’industrie cinématographique de manière statistiquement pertinente.
Pour les moyennes et petites productions, qui souvent s’adressent à des publics pointus, la fin de Megaupload a signifié la perte d’un canal de propagation qui contribuait en définitive à la notoriété des films par le bouche à oreille et in fine à l’achat de places de cinéma. Les blockbusters en revanche, servis par de puissantes campagnes de marketing frontal, ne semblent pas avoir besoin de ce bouche à oreille pour trouver leur public : ils n’ont pas été affectés par la fermeture de Megaupload.
Cette étude force donc à abandonner la vision unidimensionnelle défendue par Hollywood qui voudrait que chaque film illégalement téléchargé représente une entrée en salle ou une vente ou  location de DVD en moins. Elle propose une approche plus dynamique et sociologiquement bien plus pertinente, dans laquelle différents publics, aux pouvoirs d’achat différents, s’influencent les uns les autres. L’explication de ce phénomène réside, selon Peukert et Claussen, dans le fait que des consommateurs peu enclins à dépenser leur argent pour des biens culturels transmettent des informations sur ces biens, visionnés grâce au p2p, à des publics prêts à mettre la main à la poche pour les acquérir de manière légitime. Les chercheurs estiment même pouvoir affirmer que « l’effet de la transmission de l’information grâce à des téléchargements illégaux semble particulièrement important pour des films avec un public-cible plus réduit ».
On soupçonnait l’existence de ce phénomène, mais c’est probablement la première fois qu’il est mis en évidence de façon aussi claire. Sans que cela soit étayé par cette étude, on peut aussi supposer que souvent, les téléchargeurs et acquéreurs ne font qu’un : nombreux sont en tout cas les défenseurs et adeptes du p2p qui affirment sur les forums en ligne qu’ils finissent presque toujours par acheter des copies légitimes des films, albums ou jeux qu’ils ont adoptés après les avoir dans un premier temps illégalement téléchargés.

Jean Lasar
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