Fermetures Technicolor et TDK

Fruit mûr

d'Lëtzebuerger Land du 25.01.2007

Rien ne pouvait plus s’opposer à la fermeture de Technicolor à Foetz. Ni les carottes et les mains tendues par le gouvernement pour faire rester le groupe multimédia sur son site industriel – ou du moins au Grand-Duché – ni l’ombre d’un plan social mettant plus de 220 personnes au chômage avec, pour certains travailleurs sans beaucoup de qualifications, peu de chances d’un reclassement. Les « regrets » exprimés par le gouvernement ne changeront rien non plus.

La fermeture du site de Foetz n’a d’ailleurs rien d’une surprise. Tous les signaux étaient au rouge depuis la fin de l’été 2004, présageant peu d’avenir à une usine spécialisée dans la production et l’enregistrement de CD et de DVD, activité « mature » par excellence. Les salariés de TDK à Bascharage firent les frais au printemps dernier de cette satanée « maturité » qui rend si vite obsolètes les produits que l’on croyait les plus avancés sur le plan de la technologie. « Que voulez-vous, le business du DVD a du mal, partout dans le monde où les prix ont chuté de plus de moitié en deux ans, » résume-t-on sobrement au ministère de l’Économie et du Commerce extérieur. 

Jeannot Krecké, son titulaire socialiste, a dû jouer les pompiers de service chez Technicolor, peu de temps après son arrivée au gouvernement CSV/LSAP. En novembre 2004, il se rend en effet au siège de Thomson en France pour y rencontrer son président-directeur général Franck Dangeard. Le message du PDG qui venait d’être nommé à la tête du groupe est clair : Foetz fermera ses portes le 15 janvier 2005. Tout frais dans ses nouvelles fonctions, Jeannot Krecké négocie serré, offrant à Thomson la possibilité de diversifier ses activités de production et Dangeard temporise, mais ne cède pas aux sirènes luxembourgeoises. La fermeture est remise à plus tard. Chacun sait pourtant qu’il s’agit d’un sursis de quelques mois. Il durera un peu plus de deux ans. La délocalisation des activités était déjà en route à cette époque vers la Pologne qui a aujourd’hui poussé sa capacité de production à 1,7 milliards de disques par an, soit sept à huit fois plus que le site luxembourgeois. Deux lignes de productions sous les nouveaux standards de DVD haute définition y ont été installées en 2005. L’outil industriel luxembourgeois ne devrait pas traîner à y être transféré.

À son arrivée en septembre 2004 comme PDG de Thomson, Franck Dangeard a fait le grand ménage. Le plan de restructuration a commencé par les cessions de l’activité TV, tubes et audio vidéo, bref toute sa branche d’électronique grand public. L’entreprises’est focalisée presque exclusivement sur l’image numérique, et encore de façon très sélective. 

Les services pour films, services pour DVD et décodeurs sont donc considérés comme « matures ». Ce qui veut dire dans la langue des patrons des sociétés du CAC 40 que ce n’est pas dans ce domaine que la croissance est attendue. Alors encore moins celui où les investissements devaient se faire. Le rapport annuel 2005 de Thomson Multimédia est limpide sur ce point. « Nous allonscontinuer, écrit ainsi Franck Dangeard, à gérer au plus près nos activités matures, en particulier Services pour films et Services pour DVD (donc sous la marque Technicolor, Ndlr) pour qu’elles optimisent leur génération de trésorerie, nous permettant ainsi d’investir dans nos activités à plus forte croissance ». Et le PDG insiste sur l’amélioration nécessaire de la gestion opérationnelle et des structures de coûts. « Les incertitudes liées au potentiel de croissance de ces activités, précise-t-il encore, nous conduisent à rester prudents ».

Les dernières bonnes nouvelles pour Technicolor Foetz remontaient d’ailleurs au printemps 2003, date de la signature d’un gros contrat avec Microsoft pour la réplication de produits vidéo pour la X-Box en Europe. Contactée par le Land en début de semaine, la direction de Technicolor n’a pas donné suite à une demande d’entretien pour savoir notamment si Foetz a bien produit pour Microsoft à partir d’août 2003, comme un communiqué l’avait annoncé. Quoi qu’il en soit, cette époque sera déjà marquée par la montée en puissance de la production en Pologne à des coûts autrement plus compétitifs que ceux des usines au Grand-Duché et au Pays de Galles (200 personnes licenciées), qui baissent toutes deux le rideau.Le ministre de l’Économie et du Commerce extérieur connaissait donc la fragilité de la situation au Grand-Duché. Le personnel de Technicolor aussi, selon ses affirmations. « Il ne fallait pas se leurrer, les intentions de fermeture de Technicolor étaient connues du personnel depuis septembre ou octobre 2004, » explique-t-il dans un entretien au Land. Jeannot Krecké réfute pour autant un procès d’intention en inactivité ou en indifférence sur le sort des salariésde Technicolor, à 90 pour cent des frontaliers . Non, il n’a pas croisé les bras entre sa visite chez Dangeard à l’automne 2004 et l’annonce par les dirigeants de Thomson de la fermeture de l’usine quelques jours avant que l’information soit communiquée à la délégation mixte du personnel.

« Nous leur avons offert plusieurs possibilités pour diversifier leur production et même leurs activités, » explique le ministre. Certes, les discussions se sont faites ensuite au niveau « technique », ce qui veut dire que les politiques ne s’en sont plus mêlés. Rien de « probant » ne sort pourtant de ces négociations (le groupe français a décliné l’offre pour des activités de logistiques notamment), si ce ne sont des collaborations dans la recherche et le développement entre le groupe Thomson et le CRP Henri Tudor ainsi que l’Université du Luxembourg.

Les discussions ont repris un peu de souffle depuis lors et sont repassées dans le camp du politique avec l’annonce, la semaine dernière, de la fermeture définitive de l’usine. Personne toutefois n’est en mesure de dire où les négociations vont aboutir ni quand. Le député LSAP Roland Schreiner, qui a interrogé cette semaine Jeannot Krecké, mais aussi François Biltgen, ministre du Travail (CSV), sur les démarches accomplies par le gouvernement pour sauver Technicolor ainsi que le sort du site industriel, devrait donc rester sur sa faim. « Nous sommes toujoursen négociations avec Thomson, mais pour l’implantation d’activités d’un tout autre profil, » souligne le ministre de l’Économie. 

Il y aura donc une place à prendre sur le site désormais à l’abandon, ou presque. La zone industrielle de Schifflange-Foetz appartient à l’État, les bâtiments sont la propriété de Technicolor qui va forcément chercher à les vendre. Ce fut le cas du site de TDK à Bascharage dont les locaux viennent d’être rachetés par un industriel luxembourgeois. Ce dernier prévoit de le saucissonner en plusieurs lots pour y attirer des entreprises de taille plus modeste que le fabricant japonais.

Les 224 ouvriers et employés de Technicolor, « parfaitement conscients » de la précarité de leur entreprise, auraient donc beau jeu de se montrer surpris par la fermeture. C’est sans doute plus l’art et la manière dont ils ont été invités à rester chez eux pour y prester leur préavis qui a choqué le personnel, les syndicats et même le grand public. Toutefois, le « précédent » TDK à Bascharage avec la destruction d’une partie de l’outil industriel, avant son transfert dans des pays à main-d’oeuvre low cost, a incité les dirigeants de Thomson à « libérer » ses salariés plutôt que de les obliger à pointer à l’usine pendant encore quelques semaines. Le fait de payer les gens à rester chez eux offre également l’avantage, côté patronal s’entend, de freiner la mobilisation de salariés. Un bureau d’outplacementa même été recruté pour tenter de recaser le personnel.

Les premiers contacts entre les syndicats et les dirigeants de Thomson laissent d’ailleurs présager un plan social réduit au strict minimum légal. On ne voit pas d’ailleurs en quoi l’intervention du gouvernement pourrait faire fléchir les dirigeants et les inciter à se montrer plus généreux. 

« Le gouvernement suivra avec attention ces discussions, » annoncait un communiqué commun de Jeannot Krecké et de François Biltgen le jour de l’annonce de la fermeture. Comme pour Monopol, le ministère du Travail et de l’Emploi et l’Administrationde l’emploi seront « associés aux efforts afin d’aider à reclasser dans la mesure du possible les salariés vers d’autres entreprises et activités ».

Côté syndical, les méthodes de Technicolor surprennent. Marcel Goerend du LCGB n’en revient d’ailleurs toujours pas d’avoir eu comme interlocuteur, lors de la première rencontre cette semaine des partenaires sociaux, deux avocats flanqués aux côtés du directeur de Technicolor. « C’est du jamais vu dans l’industrie où jusqu’à present les syndicats négociaient directement avec les patrons sans l’intermédiaire des avocats, » explique le syndicaliste. Les standards importées du secteur bancaire s’imposent donc désormais aussi dans l’industrie luxembourgeoise.

Les cabinets d’avocats risquent d’ailleurs de ne pas chômer au cours des prochaines semaines. Car outre le sort des « Technicolor », qui devraient en savoir un peu plus le 30 janvier prochain lors de la prochaine rencontre entre la délégation du personnel et la direction, d’autres brèches se sont ouvertes dans le secteur industriel, notamment chez Luxguard et Kronospan, où les négociationspour le renouvellement de la convention collective coince chez les ouvriers.

Il ne fait pas bon vivre au pays de « Lululand », sobriquet dont les frontaliers affublent volontiers le Grand-Duché qui les fait vivre, lorsqu’on fait partie de la classe ouvrière. Et l’aide du « 5611 », nom d’une loi censée donner aux autorités de nouveaux instruments au « maintien de l’emploi », ne devrait pas améliorer le climat. 

 

Véronique Poujol
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