Réforme administrative

Les exigences du client citoyen

d'Lëtzebuerger Land vom 12.06.2008

Le médiateur ? « Pour nous, il est le porte-parole de beaucoup de citoyens qui ne s’adresseraient jamais de la même façon directement au ministre, » estime Claude Wiseler (CSV), ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative. « Nous lisons tous ses rapports avec intérêt et prenons ses recommandations très au sérieux ». Et pourtant, en quatre ans de travail de l’Ombudsman Marc Fischbach (ex-CSV), il y en eut, des recommandations, qui firent l’effet de camouflets à l’encontre des administrations publiques. 

Ainsi, le numéro 18 de septembre 2005 : se basant sur une enquête au sein d’une population de 700 personnes, le médiateur constata que 40,6 pour cent des interrogés se plaignaient de la qualité de la communication avec les administrations, 35,14 pour cent du manque de serviabilité et de courtoisie des agents publics, et presque la moitié estimait que leurs affaires n’étaient pas traitées avec la diligence et le soin nécessaires dans les administrations. Et de recommander une série de mesures visant à améliorer l’accueil des citoyens, dont l’évaluation du fonctionnement des administrations, au besoin par des audits externes.

Or, s’il y a bien une chose qui provoque de l’urticaire dans les administrations, c’est l’arrivée d’auditeurs externes voulant sonder et remettre en question leurs manières de fonctionner, qui se sont souvent créées au fil du temps, pour le meilleur comme pour le pire. Déjà que les conférences de presse du médiateur mettant les administrations défaillantes à ses yeux publiquement au pilori sont moyennement appréciées – genre : « de quoi il se mêle, celui-là ? ». 

Et l’opposition, voire le refus de coopérer des audités peut faire capoter l’exercice. Alors, le ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative (MFPRA) a trouvé une solution-miracle, qui doit faire accepter l’idée même du contrôle : l’auto-évaluation. Cela s’appelle Caf (Cadre d’auto-évaluation des fonctions publiques) et c’est la pièce maîtresse du Plan d’action en matière de réforme administrative adopté par le conseil de gouvernement le 11 mai 2007, dont un premier bilan a été tiré vendredi dernier au conseil. Les Caf ont été mis en place dès 2005 et fonctionnent par grappes de quatre ou cinq administrations qui travaillent en réseau tous les six mois à peu près. Ils sont encadrés par le ministère, qui offre également les formations pour les chefs de projet. Les méthodes et processus de travail dans les ministères et administrations sont ainsi mis à plat un à un pour, au final, arriver à un diagnostic des difficultés et problèmes existants et élaborer un plan d’action qui serve à améliorer l’administration. « Les raisons des problèmes peuvent être multiples, estime Claude Wiseler, il peut s’agir de faiblesses dans le management, voire structurelles, elles peuvent être liées à l’équipement, à l’informatique, à un manque de personnel ou à une mauvaise définition des missions… » Au final, le plan d’action doit désigner toutes les solutions possibles, le ministère dispose de budgets ponctuels pour aider à les résoudre et peut transmettre les besoins en personnels supplémentaires au ministre, afin qu’ils soient, dans le meilleur des cas, pris en compte lors de l’établissement du prochain budget de l’État.

Ce qui, en théorie, a l’air si abstrait est en fait le lot quotidien du citoyen lambda qui essaye de contacter la Caisse nationale des prestations familiales, de s’inscrire à l’Administration de l’emploi, d’introduire une réclamation sur le montant de la taxe automobile ou de recevoir des aides ou allocations dont il estime qu’elles lui sont dues… Périodiquement, face à l’agacement qui monte dans les salles d’attente bondées, un député de l’opposition politique interpelle le ministre en charge pour connaître les raisons de ce manque de service, souvent, la réponse se réduisait, au moins par le passé, au constat d’un manque de personnel. 

« Il ne faut pas croire que les administrations seraient insensibles d’être ainsi critiquées, souligne Guy Wage­ner, conseiller de direction responsable de la Réforme administrative au MFPRA. De plus en plus souvent, leurs responsables nous contactent alors pour savoir ce qu’ils peuvent changer. » Les premières procédures Caf ont donc été lancées sur base du volontariat des intéressés, trois grappes en tout, d’administrations et services aussi divers que le Commissariat aux affaires maritimes, le service Re­tenue à la source des non-résidents de l’administration des Contributions directes, le Service protection de la jeunesse du Parquet général, la Cellule évaluation et orientation de l’assurance dépendance de l’Inspection générale de la sécurité sociale ou l’Inspection du travail et des mines. Avec, affirme-t-on, à l’arrivée, de très bons résultats, comme celui de la Cellule assurance dépendance, qui aurait rattrapé l’essentiel de ses retards dans le traitement des dossiers.

Si le rapport intermédiaire du plan d’action a été discuté en conseil de gouvernement vendredi dernier, l’intention du ministre était non seulement de rendre compte du travail effectué en trois ans, mais premièrement de sensibiliser ses collègues afin qu’ils encouragent leurs services à se soumettre à une telle auto-évaluation et deuxièmement d’avoir le feu vert pour passer à la vitesse supérieure, c’est-à-dire d’attaquer aussi des services plus importants qui, en outre, ne sont pas forcément demandeurs d’une évaluation. « Nous avons quitté la phase du projet-pilote, estime Guy Wagener, le ministère dispose désormais du savoir-faire nécessaire pour accompagner tous les projets de Caf ».

En fait, cette Réforme administrative, sorte de monstre du Loch Ness, qui apparaît sporadiquement depuis plusieurs législatures selon l’engagement du responsable politique, est devenue une nécessité impérieuse avec le changement de paradigme politique qui veut que le citoyen, désormais, doit être traité comme un client par les administrations, avec des exigences de rapidité, de serviabilité et de transparence courantes dans le moindre petit commerce. Donc le fonctionnaire doit être poli, à l’écoute, communicatif et efficace, son service impeccable et sa moralité au-deçu de tout soupçon. Au-delà du statut assez contraignant du fonctionaire, les projets de ce plan d’action doivent contribuer à mieux répondre à ces exigences : un sondage d’opinion a été effectué auprès des utilisateurs des administrations, ses résultats doivent être présentés avant les vacances ; des enquêtes de satisfaction sont en cours. Ces deux instruments vont mener à la mise en place d’une charte d’accueil qui fixe les règles et le service que le public est en droit d’exiger des administrations. 

Le premier contact avec une administration passant souvent par le téléphone, le ministère est en train de mettre en place, avec le ministère de l’Éducation nationale et un consultant externe, des formations pour améliorer l’accueil téléphonique. En parallèle, l’Institut national d’administration publique (Inap) adapte ses formations afin d’organiser des sessions de groupes à la demande et selon les besoins de chaque administration. Plusieurs ministères ont commencé des projets-pilotes d’entretiens de développement professionnels (Mitarbeitergespräche), qui, une fois par an, permettent un échange réel entre le fonctionnaire ou l’employé et son chef direct, afin d’améliorer la qualité de leur collaboration. Le télétravail, dont les premiers projets-pilotes viendront à échéance cet automne, sera soumis à une évaluation pour, le cas échéant, être offert de manière généralisée. 

Enfin, le sixième et dernier point de ce plan d’action est la mise en place d’un code de déontologie pour les fonctionnaires et employés publics, qui complète le statut existant. Ce document, demandé notamment par les Verts pour empêcher tout risque de conflit d’intérêts après le « cas Pesch » – l’ancien administrateur général du ministère des Travaux publics travaille, depuis sa retraite, pour le privé, dans le secteur de la construction (d’Land, 25.01.08) – doit notamment régler la perméabilité ou non entre le secteur privé et le secteur public. Calqué sur des modèles existant dans d’autres États européens, une première ébauche d’un tel document doit être soumise au conseil de gouvernement dans les prochaines semaines, affirme le ministre. Le plus dur, aussi du point de vue juridique, étant de régler les cas des fonctionnaires partant à la retraite ou de ceux qui quitteraient la fonction publique pour rejoindre une entreprise privée. Car trop de limitations iraient à l’encontre des libertés fondamentales. Après les ministres, les partenaires sociaux seront associés à l’élaboration d’un tel code.

Avec des équipes souvent minuscules, les administrations luxembourgeoises doivent accomplir des tâches qui vont croissantes, notamment avec de nouvelles exigences sur le plan européen. La panacée à tous les problèmes de manque de moyens ou de personnel semble désormais s’appeler eGovernment ou gouvernance électronique : « L’intro­duction d’une nouvelle technologie nous permet d’introduire de nouvelles procédures dans une administration, juge Claude Wiseler. Le lancement d’un site Internet interactif nous oblige à revoir tout le ‘back-office engineering’ ». En 2007, vingt nouveaux sites ont ainsi été mis en ligne, des portails thématiques comme celui de la Justice ou de la Santé sont prévus pour cette année. De plus en plus de formalités pourront être traitées directement en ligne, comme les demandes d’allocations à la naissance d’un enfant, projet qui vient d’être lancé, ou celles de bourses d’études, qui le seront pour la rentrée académique. Chaque mise à plat d’un processus permet de le modéliser et donc de l’améliorer, voire de l’accélérer. 

Peut-être qu’à moyen terme, les premiers à avoir un réel intérêt à ce que cette étape de la Réforme administrative, qui s’inscrit dans le grand projet de la « modernisation de l’État », réussisse, sont au moins autant que le gouvernement ou les citoyens, les fonctionnaires et employés de l’État eux-mêmes. Car non seulement toute formation est-elle bonne à prendre, mais en plus, la CGFP (Confédération générale de la Fonction publique) ne manquera pas de souligner ces efforts dans ses revendications pour une révision générale des salaires auprès de l’État. 

josée hansen
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