Fonds de compensation de la Sécu

Ultra-conservateurs et fiers

d'Lëtzebuerger Land du 19.06.2008

Les turbulences des marchés financiers, déclenchées à l’été 2007 dans le sillage de la crise des subprimes, ont mis tout le monde sur la même ligne conservatrice : les dirigeants du Fonds de compensation de la sécurité sociale, le fonds de pension officiel du Luxembourg, construit sous la forme juridique d’un fonds d’investissement spécialisé (FIS) et chargé de faire fructifier les énormes réserves des cotisations légales de retraites des salariés, ont mis leurs idéaux au placard et se sont retranchés derrière des placements de grand-père. 

La plus grande partie de l’argent des retraites a été investie dans des placements monétaires. Comme au bon vieux temps, celui d’avant la réforme de 2004 sur le patrimoine des caisses de retraites où les trois quarts des réserves allaient dans les liquidités, sans grande considération pour les performances. Les yeux sont désormais rivés sur les rendements, mais pas à n’importe quel prix. Comme la fourmi dans la fable, les gestionnaires du fonds de pension attendent des jours meilleurs et n’ont pris aucun risque inutile, ce qu’il faut saluer.

Il faut dire que les circonstances dans lesquelles le Fonds de compensation de la sécurité sociale a fait ses premiers pas brouillent un peu le débat. Lancé fin août 2007, le fonds n’a pas pu faire de prouesses, comme le montrent les résultats de son premier exercice (22 août au 31 décembre). Un document rugueux, rédigé en anglais à l’exception du rapport de gestion, lui-même confectionné avec une rigidité de légionnaire. Pas un mot n’y est glissé sur les performances, ni sur la justification des investissements, si ce n’est que l’allocation s’est faite dans le contexte tendu de la crise des prêts hypothécaires aux États-Unis.

En pleine déliquescence depuis l’été dernier, le marché des actions n’a attiré que les miettes des réserves des futurs retraités : 310 millions d’euros alors que la réglementation autorisait les gestionnaires du fonds à y placer deux fois plus d’argent, jusqu’à 633 millions d’euros. D’habitude si prompts à dénoncer la gestion jugée « timorée » que les pouvoirs publics ont fait des colossales réserves des pensions (sur-investies en liquidités qui ne rapportaient pas grand-chose), les représentants du patronat, qui siègent au conseil d’administration du fonds aux côtés des syndicats et des représentants de l’État, ont même révélé en eux la fibre « Robin des Bois » : on ne joue pas avec l’argent des retraites et surtout pas quand tout un système se délite. On est encore moins tenté par la fantaisie lorsque l’opinion publique est à cran avec des prix du pétrole et des denrées alimentaires qui s’emballent et que les perspectives de croissance font du tremolo. 

Il ne s’est donc trouvé personne, au sein du conseil d’administration, pour jouer les risque-tout sur les marchés. Tous se sont mis au diapason, et le sont d’ailleurs toujours, pour appuyer à fond les manettes la politique ultra-conservatrice du Fonds de compensation. Lequel a prudemment misé l’année dernière plus de quatre milliards d’euros, sur son pactole total de 5,7 milliards d’euros, dans des compartiments monétaires, peu risqués. 

« Le conseil d’administration du Fonds de compensation a relevé le défi de cette crise », s’auto-félicite-t’il dans le rapport de gestion qui a été publié début juin sans renfort de publicité. Ce rapport, qui ne couvre même pas une demie année d’activité, était toutefois très attendu. On voulait juger sur pièce le résultat de la nouvelle stratégie financière du patrimoine du régime des retraites au Luxembourg. Les résultats sont aussi décevants que les performances des marchés en 2007 : les 5,669 milliards de réserves placées lors de la constitution du fonds ont montré un rendement global de 0,8 pour cent. Fin 2007, le trésor de guerre s’élevait à 5,716 milliards d’euros. Ces faibles performances ne relèvent donc en rien des errements des gestionnaires. Ils ne s’expliquent surtout que par la conjoncture qui a jeté les marchés financiers mondiaux dans la dépression et déboussolé les repères des gérants les plus expérimentés. 

Sur les marchés des actions, les rendements du portefeuille extrêmement diversifié et ouvert sur le monde du fonds ont même viré au rouge : la modeste mise de 310 millions de départ a fondu à un peu moins de 303 millions à la fin 2007. Sur le segment obligataire, où un montant de 1,2 milliard d’euros fut initialement placé, les performances sont moins mauvaises : les compartiments en euros ont gardé l’équilibre, mais des pertes assez légères ont été essuyées sur les obligations libellées dans d’autres devises que la monnaie unique. Les montants les plus importants investis sur les marchés monétaires (4,159 milliards d’euros) et quelques arbitrages sur les instruments dérivés ont arraché des performances légèrement positives. 

Cette allocation des actifs, sur-pondérant les placements monétaires, devrait rester inchangée aussi longtemps que le bout du tunnel de la crise financière n’est pas en vue. Réuni la semaine dernière, le comité d’investissement du fonds, qui décide de la stratégie à suivre, ne veut pas bouger d’un iota de ses positions de repli.  

Les médiocres résultats de 2007 n’émeuvent pas les dirigeants du Fonds de compensation. « Le fonds poursuit une stratégie à long terme », rappellent-ils, sans rougir le moins du monde de la politique d’investissement qu’ils conduisent depuis l’année dernière. Ils sont d’ailleurs restés insensibles aux appels du pied des milieux bancaires locaux, qui, il y a quelques semaines encore, critiquaient les rigidités de la réglementation luxembourgeoise fixant l’allocation des réserves du fonds (d'Land, 09.05.08) et notamment un plafond maximal de 18 pour cent pour les investissements dans les marchés en actions. 

Car les milieux financiers, à travers son porte-voix à la Chambre de commerce, continuent de revendiquer un arbitrage plus favorable aux actions qui ferait ressembler le Fonds de compensation de la sécurité sociale au National Pension Fund suédois, qui dispose d’actifs de plus de 136 milliards de dollars dont 53 pour cent étaient placés en actions en 2006.

Il faudra attendre 2009 pour voir évoluer la stratégie du fonds de pension luxembourgeois. Il n’est pas improbable d’ailleurs, si la conjoncture financière s’améliore d’ici-là, qu’une part des réserves ira s’aventurer dans les placements alternatifs. Le Fonds de compensation n’a pas seulement pour mission la gestion du FIS. Son patrimoine est également immobilier. Là aussi, il s’impose un fonctionnement selon des règles de bonne gouvernance « dans l’intérêt social des affiliés », ce qui n’était peut-être pas la conduite suivie par ceux qui en avaient les rênes dans le passé. Mais le temps des baronnies est révolu comme le montre le différend qui oppose actuellement le fonds aux dirigeants du Fonds d’urbanisation et d’aménagement du plateau du Kirch­berg (FUAK). 

L’affaire a trait au sort qui sera réservé au terrain qui abrite encore le Bâtiment Wagner, en passe d’être démoli. Le terrain tout comme le bâtiment actuel est la propriété du Fonds de compensation qui projette d’y construire un immeuble de plus de 20 000 m2, destiné à héberger des services de la Commission européenne. Le FUAK revendique toutefois un quart du terrain pour y construire lui-même un bâtiment de 4 000 m2. Il s’agirait d’une mesure de compensation pour les travaux d’aménagements qu’il compte réaliser dans ce périmètre. En échange de ce quart de terrain, le fonds du Kirchberg serait prêt à réexaminer ses exigences sur le volume des bâtiments à construire, calculé selon un coefficient maximum d’uti­li­sation (CMU). Initialement prévu à 2,5, le CMU passerait à 3,03. Refus catégorique des dirigeants du Fonds de compensation qui n’entendent pas laisser les fonds de leurs affiliés se faire « piller » et qui considèrent que le financement des aménagements autour du futur bâtiment doit être chargé sur l’utilisateur futur, c’est-à-dire la Commission européenne. « Le Fonds du Kirchberg nous fait du chantage », explique-t-on au Fonds de compensation. « S’il y a rétrocession du quart du terrain, le CMU passe à 3,03, sinon, il reste à 2,5 », ajoute-t-on. Contactés par le Land, les dirigeants du FUAK n’ont pas souhaité commenter l’affaire.

Véronique Poujol
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