Weemseesdet, la première sitcom luxembourgeoise, est pionnière dans tous les sens du terme. Et intéresse surtout pour les symboliques qu’elle invoque – pas toutes positives

Mythologies

d'Lëtzebuerger Land vom 18.11.2011

J’avoue, j’ai ri. C’est venu comme ça, je ne m’y attendais plus, après six épisodes un peu trop ennuyeux, soudain un éclat de rire : Georgette, la mère, raconte à sa voisine Francine que la veille, elle a rencontré un ancien collègue de lycée qui aurait réussi. Et de mettre Francine au défi de deviner ce qu’il est devenu. « Directeur de l’Enregistrement ?, s’enthousiasme Francine avec ce regard naïf que Désirée Nosbusch sait si bien jouer. Non, directeur au Cactus ? Euh, non, non, je sais, il travaille pour le grand-duc ! » Tous les hypothétiques rêves professionnels du Luxembourgeois moyen y sont, dans ce choix : l’État, la consommation et la cour grand-ducale – et l’horizon si borné de ces rêves. Le septième épisode de Weemseesdet, diffusé vendredi 11 novembre, était soudain comme une lueur d’espoir dans une sitcom trop sage et très maladroite jusqu’à présent.

Cet épisode intitulé Konveniat – Fréier war d’Zukunft nach besser a été écrit par Guy Helminger, qui maîtrise les ressorts de l’humour populaire et la dramaturgie de la tension, il développe ses pointes et des structures elliptiques des blagues à répétition. La présence de l’acteur allemand Herbert Knaup en tant qu’ancien ami de Rom, qui vient manger chez les Wampach parce qu’il est de passage au Luxembourg pour donner une conférence au Centre national de littérature, est un réel saut quantique aussi côté interprétation : complètement désinhibé vis-à-vis de la caméra et de sa propre image, il crève l’écran face à une famille luxembourgeoise beaucoup trop statique (surtout Nicole Max, qui joue très mal la femme pompette en bout de soirée). Donc, c’est possible de faire de la télévision avec trois fois rien, à condition que le texte et les auteurs soient bons.

They did it Weemseesdet est un produit bizarre, une association PPP hybride pour encourager la création télévisuelle là où les recettes du marché publicitaire ne suffisent visiblement pas pour motiver RTL Tele Lëtzebuerg à prendre un engagement financier de cette envergure, alors même que les séries télévisées, les soap operas et les sitcoms sont nés du désir des chaînes, d’abord américaines, d’attirer un maximum de spectateurs devant les écrans de télévision afin de pouvoir vendre leurs espaces plus chers aux annonceurs de lessives. Or, parce que les producteurs et, surtout, les réalisateurs se plaignent depuis longtemps du désavantage substantiel que constitue pour eux l’absence d’un marché privé local pour leurs films – et du rôle de cofinancier important que jouent les télévisions coproductrices de films pour leurs pairs à l’étranger –, parce que les acteurs et techniciens locaux demandent à travailler aussi, le Film Fund national a donc décidé l’année dernière de donner un coup de pouce à cette expérience pilote.

Un « appel d’offres » a été lancé en direction de producteurs potentiels en septembre dernier, concours pour lequel dix projets ont été déposés par sept sociétés de production différentes. Le jury, constitué de représentants des deux côtés, Film Fund et RTL, a décidé de produire deux des projets : Weemseesdet par Deal Productions cette année et Comeback par Lucil, qui sera montré à la rentrée 20121. Pour Désirée Nosbusch et Alexandra Hoesdorff, deux Luxembourgeoises ayant fait carrière aux États-Unis, la première en tant qu’actrice et réalisatrice, la deuxième en tant que productrice, et qui veulent se lancer dans la production au Luxembourg avec leur nouvelle société Deal Productions, c’est le défi rêvé pour se faire tout de suite une réputation grand public. Mais défi est vraiment le mot : en moins de sept mois, il faut écrire et produire 24 épisodes à une vingtaine de minutes chacun avec un budget riquiqui de 1,75 million d’euros seulement2 – la folie. Mais elles y vont. Et elles y vont avec enthousiasme, motivant toute une équipe de pionniers.

Car tout le monde est novice sur ce projet, personne n’a jamais fait de sitcom, ni les principaux auteurs Marc Limpach et Claude Lahr (qui assume en outre le rôle de réalisateur superviseur), ni les productrices donc, ni la chaîne, ni les réalisateurs, et encore moins les acteurs, les équipes techniques et de production. Les médias se déchaînent autour du tournage, sur le plateau à Dommeldange, la tension est palpable, il faut faire plus vite, plus vite, fignoler moins, ne pas faire exploser les frais. Le président de la Chambre des députés Laurent Mosar y fait une visite officielle durant l’été, les sponsors font la queue pour avoir une séance dédicace avec l’équipe du film, surtout avec Désirée Nosbusch, dans leurs magasins de mode, de cuisine ou autre, une avant-première pour un public trié sur le volet est organisée au cinéma... On a conscience d’assister à l’histoire audiovisuelle en train de s’écrire.

Puis vint la déception Le premier épisode Führerschain, diffusé le 30 septembre, est un pétard mouillé. Le deuxième, Besuch, une semaine plus tard, une catastrophe. Les commentaires méchants sur les réseaux sociaux s’emballent à tel point que, contre toute attente, le journal par ailleurs satirique Den Neie Feierkrop prend même la défense de la sitcom. Pourtant, devant son poste de télévision ou son écran on ne rit pas, même pas un petit sourire, les blagues, pour autant qu’elle existent, sont téléphonées, l’humour trop policé, les visées didactiques trop ostentatoires (il ne faut pas être raciste, non, non, et nos enfants ne sont-ils pas tous pourris-gâtés ?) Chaque personnage, chaque situation symbolise une attitude, une posture dans la société, on peut aisément les noter tellement les ficelles sont grosses. Car les Wampach sont censés incarner la famille typique des classes moyennes autochtones, lui prof de français et militant pour les droits de l’homme, elle psycho[-]logue de formation qui a quitté son métier pour élever leurs deux enfants aujourd’hui adolescents et sages comme des images.

Le principal problème dans cette famille est le rôle des sexes, cliché d’un autre âge. Lui, Rom (Germain Wagner), est un être de lumière qui non seulement gagne la vie du ménage, mais en plus est très présent à la maison, accroche les tableaux de sa femme et aide dans l’éducation des enfants. Érudit et modeste, il fait la cuisine en citant Molière et boit un whisky seul dans son salon pour attendre sa femme, de sortie, en citant Pessoa (« souvent cité, jamais compris ! »). Il se soucie du bien-être de la femme de ménage et fait preuve de la plus grande compréhension pour tous les petits problèmes de son clan au quotidien. Elle, par contre, Georgette Rinaldetti (Nicole Max), est l’opposé : nunuche hystérique et sexuellement frustrée, elle n’a qu’un seul souci, c’est le qu’en dira-t-on (qui est d’ailleurs le thème de la chanson-titre écrite et interprétée par Serge Tonnar) et ne sait absolument rien faire, ni conduire, ni cuisiner, ni élever ou comprendre ses enfants, ses peintures sont des croûtes, elle jalouse tout le monde, elle pousse même un cri quand un black lui ouvre la porte (fallait le faire) et elle ne tient même pas l’alcool. Cette Georgette-là est pathétique, le jeu rigide de Nicole Max n’arrange rien.

Cette caricature à l’excès pourrait marcher si l’homme avait quelque travers aussi, il pourrait au moins se gratter en regardant la télé, raconter des blagues salaces ou avoir un vice plus grave que son manque de condition physique (il se claque le dos en sortant un carton de bougies Amnesty de son coffre, que c’est poilant !). Mais comme ça, c’est juste pénible à regarder. Et le pire, c’est que ce schéma est reproduit sur tous les autres couples : les enfants, où les filles sont naïves et cruches, juste intéressées à être jolies et plaire aux garçons. Elles regardent Desperate housewifes, alors que les garçons, dont au moins Max (Max Thommes) a des talents multiples, veulent plutôt regarder le football et se moquer des filles. Même schéma chez les voisins : Francine (Désirée Nosbusch herself), ex-reine du vin, est désœuvrée et pas très futée et son mari Jang, qui a une chaîne de studios de fitness, symbolise l’homme d’affaires libéral.

Signifiants / signifiés Une sitcom n’est pas Tchekhov, Rom Wampach n’est pas Hamlet et Georgette n’est pas Mademoiselle Julie (bien que...) Pas besoin de chercher à incarner toutes les finesses psychologiques d’un personnage ici, il s’agit d’avoir du rythme, de la consistance et de la répartie. Si le texte des six premiers épisodes était vraiment faible, manquant aussi bien de rythme que de tension ou de simple histoire, le septième a prouvé dans quelle direction ça pourrait aller – pourrait, si tous les épisodes n’étaient pas déjà dans la boîte. Une sitcom, comme « situation comedy » est faite pour divertir et faire rire, or ces occasions-là manquent cruellement. Lors du repas avec les voisins par exemple, ou lorsque le grand-père vient leur rendre visite pour la Toussaint, ces hôtes ne sont que des messagers, venus inculquer l’une ou l’autre sagesse aux Wampach – et, subsidiairement, aux téléspectateurs.

Rien ne semble innocent, ou plutôt : gratuit. Certains personnages sont écrits sur mesure pour les acteurs qui les incarnent, avec tout leur signifié symbolique : Fernand Fox pour son statut d’acteur historique de la télévision autochtone, André Jung ou Herbert Knaup pour leur aura internationale, et même Jupp Gudenburg ou Christian Kmiotek dans la figuration sont censés apporter leurs mondes respectifs. Les garçons ont des affiches de Thierry van Wervecke dans leur studio de musique et le Jeudi traîne là pour citer une vanne vieille de dix ans...

Certes, c’est le format qui veut cela, mais on aurait aimé un peu plus de chair sur ce squelette de bonnes intentions, des acteurs qui se lâchent dans l’excès, la méchanceté, qui arrêtent de vouloir juste être beaux. On aurait aimé des blagues qui n’aient pas peur de la transgression, un peu plus de sex, drugs and rock’n roll.

1 Comeback sera diffusé entre août 2012 et mars 2013 ; la rédaction des épisodes est en cours et le producteur Lucil Film (Bernard Michaux) vient de lancer un casting avec RTL : les intéressés peuvent envoyer un mail à casting@lucil.lu ou consulter www.comeback.lu.
josée hansen
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