Centre informatique de l'État

Réformette

d'Lëtzebuerger Land du 07.08.2008

Claude Wiseler, le discret ministre CSV de la Fonction publique et de la Réforme administrative, a-t-il trouvé la formule magique en remettant au goût du jour le concept de la « recentralisation respectueuse », pompeusement inventé par un des big four au début des années 2000 ? Il devrait en tout cas présenter sous cet angle, la semaine prochaine, « sa » réforme du Centre informatique de l’État (CIE), qui sera rebaptisé pour la circonstance en Centre des technologies de l’information de l’État (CTIE). Peu d’informations ont filtré jusqu’à présent sur les intentions de modernisation du ministre CSV, si ce n’est la quasi-certitude que le projet de loi, adopté le 25 juillet dernier par le gouvernement,  ne va pas changer fondamentalement le fonctionnement de ce département et que la réforme peut être interprétée comme une reprise en main d’une administration un peu trop émancipée au goût des gouvernants. Il s’agit d’abord de la modernisation d’une loi vieille de 34 ans. Le CIE fonctionnera à l’avenir avec une direction collégiale : un directeur général (encore à nommer par le gouvernement, puisque l’actuel responsable, Victor Kremmer fera valoir prochainement ses droits à la retraite), flanqué de deux adjoints, selon un modèle déjà éprouvé avec l’Administration de l’enregistrement et des domaines, par exemple.

Cette dispersion du pouvoir va de pair avec une redéfinition des missions du CIE – seize en tout – qui va récupérer au passage les attributions des services e-luxembourg et e-government (SEL), chargés de gérer « la gouvernance électronique » du gouvernement. La vingtaine d’agents recrutés pour mettre en place une administration en ligne avec des guichets uniques (notamment pour les passeports électroniques et les cartes d’identité, ressort non plus des communes mais de l’État central) sera donc intégrée au CTIE, qui fonctionnera alors avec quelque 180 agents, si l’on tient compte des postes vacants. Cette  incorporation du SEL n’est d’ailleurs que logique. Ce faisant, Claude Wiseler espère muscler la puissance de coordination d’une administration dotée d’un budget d’environ 60 millions d’euros, dont plus de quinze correspondent à des dépenses de consultants ; l’absence de ressources humaines suffisantes (aux yeux de ses responsables) obligeant le CIE à faire appel très généreusement à des experts extérieurs. 

À la fin des années 1990, le centre informatique a fait les frais de son affranchissement tout relatif en ayant été écarté de la Commission nationale de la société de l’information, l’organe de décision des programmes e-luxembourg et e-government. C’était à l’époque de Félix Schu­macher, qui n’avait pas sa langue dans la poche et fut limogé de la direction du CIE après avoir crié sur la place publique son désaccord avec le gouvernement sur la manière dont l’informatisation des administrations était menée.  

Ni son successeur, ni les experts du centre n’auront été davantage écoutés par des responsables politiques, jaloux de leurs prérogatives. Désor­mais, la plupart des grands chantiers informatiques du secteur public sont lancés sans le support opérationnel du Centre informatique, avec plus ou moins de réussite. Si l’informatisation de la Justice se fait sans écueils majeurs, celle qui est menée aux Finances, notamment au sein de l’Administration de l’enregistrement et des domaines et de l’Administration des douanes et accises n’est pas un modèle de réussite, ni de gouvernance. Les errements du programme e-douanes/PLDA, par exemple, dont la réalisation a pris du retard et dont le budget a explosé (de moins de 7,5 millions d’euros à plus de 25 millions aujourd’hui, et probablement cinquante demain) par rapport au devis initial, sont une illustration du peu de poids que revêt l’opinion des techniciens du CIE dans la conduite de certains grands projets informatiques. Il faut dire que la moitié des programmes des administrations zappent totalement les experts du Centre, au nom de l’autonomie des ministères, qui gèrent leurs crédits informatiques comme ils le souhaitent, sans l’ingérence de personne. Pour le meilleur et, le plus souvent, pour le pire. La nouvelle dénomination qui sera donnée au CIE ne va sûrement pas changer la donne. Elle fera tout au plus davantage « moderne ».

Si la commission interministérielle de modernisation de l’État, chargée de mettre un peu de coordination et de contrôle dans les dépenses et les choix informatiques de l’État, fera place à une autre commission au nom plus branché que la précédente, ça n’en reste pas moins du ravalement de boîtes-aux-lettres, ou tout comme « Toutes les décisions stratégiques en matière informatique sont prépa­rées au sein du Comité interministériel des technologies de l’information, qui soumettra périodiquement une version révisée du plan directeur de l’informatique et du plan d’action y relatif au gouvernement », a fait savoir le Service information et presse le 25 juillet dernier à l’issue du Conseil de gouvernement où fut adopté le projet de loi créant le CTIE. La loi du 29 mars 1974, qui a créé le Centre informatique de l’État, ne pré­voit pas autre chose. 

La réforme manque donc d’ambition, alors qu’elle était déjà à l’ordre du jour du gouvernement CSV/DP (1999-2004), qui avait inscrit dans son programme du 12 août 1999 la redéfinition de l’organisation de l’informatique dans le secteur public afin, assurait-on alors, de mieux répondre aux besoins des bénéficiaires, de garantir des niveaux de qualité et de sécurité adéquats et de disposer des moyens de coordination, de planification et de révision appropriés. On attribue d’ailleurs l’origine de la réforme à Mady Delvaux, ministre de la coalition CSV/LSAP entre 1994 et 1999, qui avait promis un audit du CIE, dont elle n’était pas satisfaite des décisions. Il fut réalisé par KPMG, pour toute l’informatique centrale, et fut présenté dans le rapport annuel 2002 du ministère de la Fonc­tion publique, sans d’ailleurs qu’il n’inspire les autorités en 2003, lorsqu’un dépoussiérage de la loi de 1974 sur le CIE intervint pour faciliter le parachutage d’un nouveau directeur. 

Le bilan de la situation de l’informatique de l’État dressé par le consultant avait alors été sévère et mettait en exergue l’absence de coordination des ressources informatiques. Le tableau s’est empiré depuis six ans. Puisant dans les exemples à l’étranger, KPMG plaidait à l’époque pour une « recentralisation respectueuse ». « Ce qui veut dire en clair, commentait diplomatiquement le rapport annuel 2002 du ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative, que la tendance à la centralisation de processus critiques (financement, personnel, décisions, arbitrages) ne se fera pas de manière unilatérale, mais devra intégrer sinon préserver les niveaux d’indépendance conquis par les administrations ». 

Les suggestions de KPMG n’ont pas eu non plus une grande influence sur le texte qui sera présenté la semaine prochaine par Claude Wiseler. Le nom du consultant y serait, dit-on, à peine effleuré. Pourtant, les recettes proposées par le cabinet-conseil ne manquent pas d’à propos. Elles sont toutefois politiquement  peu acceptables pour les membres d’un gouvernement en fin de parcours. Pour autant, s’ils avaient, en matière informatique, à présenter des comptes en fin de mandat comme les entreprises du secteur privé publient des bilans et les élèves passent des examens pour aller dans les classes supérieures, certains ministres, à commencer par celui qui détient le portefeuille des Finances, avec le coûteux projet e-douanes, mériteraient un zéro de conduite.   

Véronique Poujol
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