e-commerce

The Slowest Start-Up

d'Lëtzebuerger Land vom 20.07.2000

Par un heureux hasard, les deux événements ont eu lieu dans un intervalle de 24 heures. Mercredi 12 juillet, la Chambre des députés a adopté, enfin, la loi relative au commerce électronique. Le lendemain, les partenaires regroupés autour du portail Internet everyday.com ont présenté devant une salle comble le projet jusqu'à présent le plus concret dans la matière au Luxembourg : « everyday.shopping ». La technologie n'a donc pas attendu le législateur.

Le site everyday.com n'est bien sûr pas le premier projet d'e-commerce du Grand-Duché. Surtout les librairies, mais aussi des fleuristes, des bijoutiers, l'Arbed et bien d'autres ont aujourd'hui une présence sur Internet permettant de passer d'une manière ou d'une autre des commandes en-ligne. Il y a aussi achats.lu (Editpress) ou encore le portail luxsite.lu, né d'une collaboration des P[&]T, de l'Imprimerie centrale et de Dexia-Bil. Comme everyday.com, Luxsite se veut être une porte d'entrée aussi bien pour les consommateurs que pour les commerçants au e-business au Luxembourg. Faute de structures propres adéquates et surtout d'un concept clair et cohérent, le portail fait toutefois du sur place depuis son lancement en février.

Les clients potentiels du e-commerce luxembourgeois devront attendre septembre avant de pouvoir juger de la qualité de everyday.shopping. L'of-fre faite maintenant aux commerçants intéressés par une présence interactive sur le Net est en tous les cas du concret. Tecsys, le partenaire de SEC (Tango/Tele2) dans l'aventure, propose la programmation et mise en ligne d'un magasin virtuel avec module de sécurité, un catalogue de vente comprenant jusqu'à 25 000 articles, un support téléphonique et des solutions de paiement en ligne à un prix fixe : 75 000 francs pour l'offre standard, et ce sans frais supplémentaires jusqu'au 1er janvier 2002. Ce n'est certes pas une raison pour ne pas s'informer ailleurs. Le commerce électronique ne devrait pas moins avoir pris une tournure du virtuel vers le concret pour bon nombre de commerçants « brick [&] mortar ».

Quel besoin dès lors pour une loi spécifique, si de telles solutions semblent possibles dès aujourd'hui ? C'est en fait surtout une question de sécurité juridique, à la fois pour le consommateur et le commerçant. Techniquement, il est ainsi possible d'identifier de manière fiable les deux parties grâce à une « signature électronique ». Devant un juge, cel-le-ci n'avait jusqu'à présent cependant aucune valeur légale. Dans le cas d'une transaction internationale, il y a de même la question de la loi applicable. Il n'était pas davantage clair quelles règles le commerçant virtuel devait respecter : aucune, celles de la vente à distance ou encore d'autres ? Une autre question est celle de l'acte de vente et de la commande. Faut-il une ou deux confirmations en ligne par le client ? Le commerçant doit-il accuser la réception de la commande ?

Devant l'ensemble de questions que le commerce électronique pose sur le plan juridique, il fut un temps où le Luxembourg affichait de grandes ambitions : devenir le premier pays de l'Union européenne à offrir une sécurité juridique absolue au commerce électronique grâce à un cadre légal global et complet. En fin de compte, cela aura pris trois ans pour adopter une loi, et ses auteurs ont encore dû déchanter quant aux ambitions initiales. À la fin, il ne restait pas grand-chose de ces légendaires pragmatisme, flexibilité et ouverture du législateur luxembour-geois vis-à-vis des acteurs économiques.

L'initiative pour une loi sur le commerce électronique remonte au printemps 1997 et les réflexions au sein de l'ABBL quant à de nouveaux créneaux à explorer pour la place financière. Commencait alors un ballet d'experts et de consultants qui aura respecté à fond le vieux dicton : « Trop de cuisiniers gâtent la sauce. »  

Un premier projet de loi est finalement présenté en mars 1999 par Robert Goebbels, alors ministre de l'Économie (cf. d'Land du 18 avril 1999). Le texte englobe les trois dimensions de l'approche « glo-bale » prévue : signature électronique, protection des consommateurs et celle des données à caractère personnel. Si les nombreux intervenants dans le dossier ont déjà fait tourner la tête à plus d'un, le projet de loi n'est que le début d'une longue marche à travers les institutions - exit le vote d'une loi avant les élections législatives.

Si le nouveau gouvernement réaffirme l'ambition d'adopter rapidement la loi, Henri Grethen annonce dès l'hiver 1999 qu'il prévoit la séparation des trois grands axes du cadre global en des lois différentes. En cause sont d'un côté les manquements du premier projet de loi et de l'autre sa complexité. La loi n'aurait ainsi même pas donné un cadre clair aux activités bancaires en ligne bien que l'initiative venait de l'ABBL...

En février dernier, le projet de loi 4554 est retiré pour être remplacé par le numéro 4641. Il prend en compte un autre développement venu entre-temps à conclusion au ni-veau européen : l'adoption, en dé-cembre 1999, d'une directive européenne relative à la signature électronique. La principale différence avec le premier projet est toutefois que ce deuxième essai abandonne l'idée d'un cadre global et se limite d'un côté à introduire la signature électronique dans le code civil et d'adapter de l'autre des dispositions minimales pour que des premières activités de commerce et, surtout, de services financiers électroniques puissent être développés au Luxembourg. 

De larges pans des aspects de protection du con-sommateur et des données à caractère personnel sont restés sur la route. Les émetteurs de signatures électroniques sont toutefois, à l'image des banquiers, soumis au secret professionnel. Si cette nouvelle approche du gouvernement lui a permis de faire enfin bouger les choses - et de garder un semblant de crédibilité dans l'affaire - elle n'est pas moins contestable, ce que le Conseil d'État ne s'est d'ailleurs pas privé de rappeler dans ses avis sur le projet de loi. Les sages ont du mal a accepter l'argument de la trop grande complexité d'un projet global et argumentent que la division en trois du projet initial n'est aucunement faite pour y remédier. 

Le Conseil d'État, pourtant d'habitude un solide soutien aux milieux d'affaires, regrette ainsi « l'appro-che par trop 'économique' des au-teurs du projet de loi ». Le coeur du problème est en fait encore bien plus profond et la loi sur le commerce électronique n'en est qu'une illustration. La nouvelle loi transpose ainsi une directive adoptée en décembre 1999 - sans doute un record pour le Grand-Duché. Or, dans le domaine de la protection du consommateur, les directives qui attendent toujours d'être introduites dans la législation luxembourgeoise datent de 1997, de 1995 voire de... 1993 ! La rapidité avec laquelle des lois peuvent être adoptées au Luxembourg vaut donc peut-être pour les banques et assurances, mais tout indique que les consommateurs - et donc les clients de ces mêmes secteurs - en sont les perdants. Et dire que les auteurs du projet de loi sur le commerce électronique osent reprocher à l'Union européenne une inadéquation de la procédure juridique communautaire au rythme d'évolution d'Internet.

La nouvelle loi est donc un premier pas dans la bonne direction. La crainte reste que son renforcement par des textes relatifs à la protection des consommateurs, des données à caractère personnel ou encore des droits d'auteurs tardera, en dépit des promesses professées aujourd'hui. 

Le législateur peut donc certes clamer avoir transposé la directive européenne sur la signature électronique dans un rythme record. Mais il ne peut ni se vanter d'un quelconque « first mover advantage » en matière de commerce électronique ni d'avoir mis en place un cadre global et complet pour ces activités. 

 

Jean-Lou Siweck
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