Sites commerciaux

Un marché luxembourgeois et mondial

d'Lëtzebuerger Land vom 17.09.1998

Les réponses se ressemblent beaucoup dans le monde du commerce électronique ces jours-ci: «La rentabilité, c'est pas pour tout de suite», «dans deux ou trois ans peut-être», «pour l'instant il s'agit surtout d'occuper le terrain, de faire des premières expériences». Alors que les services commerciaux se multiplient sur les sites Internet luxembourgeois, rares sont ceux qui affichent déjà des résultats commerciaux satisfaisants.

Un premier type de sites commerciaux contient des informations spécifiques avec une valeur ajoutée plus ou moins importante. Parmi ce genre d'offres on trouve, par exemple, des sites avec des offres d'emploi, des petites annonces du marché immobilier et automobile ou encore, moins ambitieux, le programme cinéma. Ces sites sont la plupart du temps mis sur pied par des entreprises déjà actives dans les services liés aux réseaux informatiques. 

Tel est, par exemple, le cas de la société Digital Dynamics, qui propose depuis trois mois à l'adresse «www.auto.lu» des petites annonces de voitures d'occasion, ou encore de Synapse, créateur du site «luxjob.lu». Le Web attire cependant aussi des professionnels d'autres secteurs. Alain Lorang, un artisan du secteur du bâtiment, prépare ainsi le lancement à la mi-octobre de son site «immo-online.lu».

Le fonctionnement de ces sites est similaire. Le principe de base est celui de la gratuité de l'information pour l'internaute. Ce sont donc les annonceurs qui paient pour l'insertion de leurs offres dans les bases de données. Pour les particuliers l'insertion d'une annonce est souvent gratuite. C'est le cas chez «auto.lu» ou encore pour les chercheurs d'emploi chez «luxjob.lu». Le principal défi pour le créateur d'un tel site est d'intéresser les professionnels du secteur à son projet. L'expérience a été en partie décevante pour Alain Scholtes de Digital Dynamics. Surtout du côté des grands garages la réaction à son projet a été peu encourageante. Aujourd'hui «auto.lu» affiche quelques 310 annonces, un tiers de l'objectif initial, alors que quelque trois mille internautes visiteraient chaque mois le site.

Le secteur des services sur le Web au Luxembourg est encore largement animé par l'esprit pionnier. Les activités de commerce électronique ne sont en général qu'accessoires à un autre métier. Il s'agit en premier lieu d'occuper le terrain. Une fois que le marché se sera développé, il y a cependant le risque que d'autres acteurs entrent en scène. Quel sort attendra les sites isolés avec des petites annonces une fois que, par exemple, le Luxemburger Wort se mêlera du jeu ? Chez «auto.lu», Alain Scholtes ne se fait guère d'illusions: «Si jamais une grande boîte offre son propre service, nos chances de survie deviennent très minces.» 

D'autres se donnent plus combatifs. Ils espèrent prendre de court les médias traditionnels. L'avantage de ces derniers est le capital confiance dont ils disposent chez les consommateurs. Les créateur du site «luxjob.lu» misent de leur côté sur la qualité du service offert. La partie n'est pas jouée d'avance, ni pour les uns ni pour les autres. «Les principaux éléments d'un succès commercial, explique Louise Dell du Centre de Recherche Henri Tudor, sont une bonne stratégie commerciale et un produit de qualité, c'est-à-dire une information avec une vraie valeur ajoutée et un interface agréable.» 

 

Financement par la publicité

 

Le nombre de sites luxembourgeois sur le Net devient de plus en plus important. Deux sites spécialisés permettent toutefois de s'y retrouver: Luxweb et Luxpoint. Pour l'instant, seul le deuxième se présente en véritable moteur de recherche, alors que l'autre prévoit de l'introduire fin septembre. AlpaNet, la société à l'origine du site Luxweb, a jusqu'à présent investi un million de francs dans ce projet. Trois heures de travail par jour sont nécessaires pour garder la base de données, qui comprend plus de 1 400 sites, à jour. Pour rester attractifs, les moteurs de recherche luxembourgeois ne peuvent se contenter d'attendre que les nouveaux sites viennent s'inscrire chez eux, mais doivent les rechercher de leur propre initiative. 

Samuel Dickes de Luxweb prévoit la rentabilisation de ses investissements au plus tôt dans trois ou quatre ans. Les revenus de Luxweb viennent d'un côté de la publicité et de l'autre de services spéciaux offerts aux clients. On peut ainsi s'acheter un meilleur positionnement dans les listes de résultats d'une recherche. L'adresse du site peut de même, contre paiement, être affichée avec le logo de la société.

Pour les sites offrant des informations gratuites, la publicité reste souvent la principale voire la seule source de revenu. Chaque visite du site donne ainsi lieu, dans une bande réservée à cette fin, à l'affichage d'une publicité. Celles-ci sont cependant rarement payantes. Pour l'instant, il s'agit surtout de partenariats dans lesquels deux ou plusieurs sites échangent entre-eux leurs bandeaux. D'où le nom anglais de ce genre de services: banner exchange.

Au Luxembourg, la société Click 2 View s'est spécialisée depuis un an dans la gestion de ces espaces publicitaires. L'astuce de Guy Sandt est de se limiter au marché luxembourgeois et d'offrir donc une clientèle très ciblée aux annonceurs. Click 2 View compte trois types de clients. Il y a d'abord les «membres», qui ne font qu'échanger leurs bandeaux entre-eux. Chaque deuxième affichage reste, en tant que paiement, à la disposition de Click 2. Les «partenaires», surtout des sites avec une certaine valeur ajoutée, affichent de la publicité contre paiement. Les «sponsors» enfin, qui se font encore prier, paient pour afficher leurs publicités sur les sites de leur choix. 

Au total, les bandeaux gérés par Guy Sandt sont affichés quelque 4 000 fois par jour. Pour l'instant, Click 2 View reste néanmoins une activité secondaire de son créateur. La mise en marche définitive du système accompagnée d'une démarche commerciale poussée est annoncée pour l'année prochaine. 

Parmi tous ces services en ligne offerts au Luxembourg, il ne semble y avoir qu'un seul à clamer déjà aujourd'hui sa réussite commerciale: Editus. La société éditrice de l'annuaire téléphonique et des pages jaunes comptabiliserait quelque 400 000 visites de son site par mois. Le Net représenterait ainsi trois pour cent du chiffre d'affaires de la société. Editus offre différents services, facturés entre 1 500 et 60 000 par an, aux entreprises répertoriées dans ses annuaires. Les services sur le Web se sont d'ailleurs entre-temps émancipés des annuaires en papier et sont commercialisés en tant que produit à part entière. 

 

Du vin et des livres

 

Une autre forme de commerce électronique est la vente de produits à travers le Net. Commander une bouteille de vin, un bouquet de fleurs ou encore un livre à partir d'un ordinateur connecté au Web est aujourd'hui possible. Et puis il y a aussi les premières banques qui offrent leurs services en ligne sur Internet et non plus par un réseau séparé. 

Parmi les premiers à vendre des produits luxembourgeois sur le Web était en avril 1996 la société Vinsmoselle. Au début on ne reprenait que les textes des dépliants publicitaires. Entre-temps, le site s'est développé et permet des commandes en ligne. En ce qui concerne les nouveaux clients à l'étranger, le succès reste assez limité. Le site s'est cependant révélé être un outil de marketing redoutable. D'abord en ce qui concerne l'image de marque de la société coopérative mais aussi pour les contacts avec les grossistes. Si ceux-ci ne commandent pas à travers le Web, c'est néanmoins ainsi que les premiers contacts se nouent. L'expérience est en tous les cas suffisamment positive pour que Vinsmoselle continue à investir dans son site. Il sera réactualisé fin du mois.

Un autre secteur très présent sur le Web sont les librairies. Ici encore, le succès commercial n'est pas attendu pour tout de suite. La librairie Ernster reçoit grâce à son catalogue de livres luxembourgeois certes l'une ou l'autre commande de l'étranger, la demande reste cependant limitée. Ce sont surtout certains clients fidèles qui commandent à travers le site Web. Avec une moyenne de deux commandes par jour, le résultat dépasse déjà les attentes initiales. Les catalogues en ligne connaissent d'ailleurs aussi bien chez Ernster qu'à la Messagerie du Livre un important succès en tant qu'outil de recherche.

Un frein important au développement du commerce électronique reste l'absence de moyens de paiement appropriés. Alors qu'aux États-Unis le paiement sur le Web par carte de crédit est généralement accepté, cela reste l'exception au Luxembourg. La Cetrel, qui gère l'aspect technique de ces cartes, n'a pas encore retenu de solution définitive à ce sujet. Seuls les règlements pour des marchandises qui doivent être expédiées, comme c'est le cas chez Ernster, sont possibles. Les transactions immédiates et en ligne posent encore problème. Le cryptage permet aujourd'hui, en principe, de faire transiter sur le Web les informations relatives aux cartes de crédit. Si la sécurité n'est pas absolue, un paiement par carte n'est pas plus risqué sur le Net qu'au restaurant. Faute de signature et de présentation physique de la carte, il est cependant plus difficile de prouver que l'utilisateur d'un service était effectivement le détenteur de la carte de crédit.

Une solution différente est proposée par la Banque internationale. BIL-Online existe depuis juillet 1997 et plusieurs milliers de clients l'utilisent de manière régulière. La banque essaie d'ailleurs avec plusieurs partenaires du monde informatique de le rendre encore plus populaire. Après avoir ciblé dans un premier temps la clientèle luxembourgeoise, la BIL offre maintenant des services distincts aux particuliers, aux entreprises et à ses clients de private banking. 

La banque offre dans le cadre de BIL-Online la possibilité aux commerçants de payer les produits commandés sur leurs sites par un virement électronique. L'avantage vis-à-vis des cartes de crédits est qu'il n'y a ni de commissions supplémentaires ni de limites vers le haut ou le bas du montant de la facture. En utilisant ce service gratuit, l'internaute passe par le site de la BIL, qui assure la sécurité de la transaction. La banque espère compter bientôt une vingtaine de partenaires luxembourgeois pour ce genre de paiements. 

Ces différents développements ne seront pas du goût de tout le monde. Pendant la préhistoire du réseau mondial, donc il y a trois ans, ses utilisateurs percevaient le Net encore comme un espace de liberté dans lequel les règles du marché n'avaient pas droit de cité. La gratuité était d'ailleurs un de ses principaux points d'attraits. Les internautes de la première heure ne sont cependant pas venu au bout de leur peine. Le commerce électronique n'est, au Luxembour comme ailleurs, qu'au début de son développement.

 

Jean-Lou Siweck
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