Pédophilie sur Internet

Trafic immonde

d'Lëtzebuerger Land vom 15.08.2002

« Au lieu de protéger leurs enfants, les parents ont transformé leurs foyers en véritables 'chambres des horreurs', » telle l'indignation d'un ancien policier et ancien juge rapportée par l'Agence France Presse la semaine dernière, lorsque fut rendu public le démantèlement d'un réseau international pédophile, où des parents n'avaient pas hésité à mettre sur Internet des photos de leurs enfants violentés. En tout, 45 enfants âgés de deux à quatorze ans avaient été sexuellement agressés par l'intermédiaire du réseau aux États-Unis et en Europe. Vingt personnes ont finalement été arrêtées et quinze inculpées. 

Ce réseau avait été découvert par hasard par l'association internationale de défense des enfants Save the Children. Des membres de la section suédoise avaient trouvé sur Internet une image pornographique d'un homme abusant d'une petite fille. Celui-ci avait ensuite pu être repéré parce qu'il était vêtu d'un gilet portant le logo d'une société danoise. La police a ensuite retrouvé à son domicile une longue liste de noms liés à un réseau pédophile international, ce qui a permis ce coup de filet spectaculaire le week-end dernier, après de longs mois de recherches.

Début août, l'hebdomadaire britannique Sunday Telegraph rapportait que le FBI (la police fédérale américaine) avait piégé plus de sept mille pédophiles britanniques présumés, après que ces derniers aient accédé à des sites payants basés aux États-Unis. Les enquêteurs avaient obtenu leurs coordonnées parce qu'ils avaient utilisé leurs cartes de crédit pour acheter sur le net des photos de jeunes enfants, dont certains étaient âgés de quelques mois à peine. Deux sites Internet ont aussi été saisis par la police.

Au Grand-Duché, la section Protection de la jeunesse de la police judiciaire combat activement la pornographie enfantine depuis deux ans et a poursuivi une dizaine de cas jusqu'ici. En revanche, les dénonciations sont beaucoup plus fréquentes. Comme ces enquêtes sont extrêmement longues, qu'il faut enquêter, perquisitionner, visionner du matériel, c'est-à-dire des tonnes de photos et de vidéos porno parmi lesquelles peuvent se dissimuler des clichés pédophiles, les recherches mettent du temps à aboutir. 

Les démarches de cette section sont basées sur la législation du 31 mai 1999, visant à renforcer les mesures contre la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle des enfants. Celle-ci permet de condamner non seulement les abuseurs et ceux qui font leurs choux gras de ce trafic sordide ; même les consommateurs détenant du matériel pornographique avec des mineurs risquent la prison. Les enquêteurs partent aussi du fait qu'un grand nombre de consommateurs passifs de telles images passent tôt ou à tard eux-mêmes à l'acte.

Comme il s'agit d'une criminalité transgressant les frontières, les enquêtes se font majoritairement et officiellement par le biais d'Interpol et d'Europol. Inofficiellement cependant, les acteurs combattant la pédophilie sur le net se servent eux-mêmes volontiers de cette technologie pour s'organiser en réseau. Ils peuvent ainsi échanger des informations et demander des conseils d'une façon plus directe et plus flexible. 

Les recherches policières se fondent d'une part sur la dénonciation soit par des collègues étrangers retraçant une filière pédophile, soit par des personnes ou associations privées qui sont tombées sur telle sorte de sites en surfant sur le net. D'autre part, ils cherchent eux-mêmes à débroussailler les innombrables sites pornos pour accéder par cette voie à des clichés et films d'abus sexuel commis sur des enfants.

En général, les consommateurs pédophiles laissent des traces, soit parce qu'ils ont payé les services d'un site par carte de crédit, soit par les unités téléphoniques. Ils peuvent aussi se retrouver sur les chat rooms, où ils sont en contact direct avec leurs égaux et où ils échangent du matériel abject. 

L'association Ecpat (End Child Prostitution, Child Pornography and Trafficking of Children for Sexual Purposes) relate dans un récent livret d'information l'exemple du Wonderland Club, un réseau s'étant étendu dans au moins douze pays. Pour devenir membres, les pédophiles devaient passer un examen, posséder une collection d'au moins 10 000 images différentes de celles des collections des autres membres et payer une centaine de dollars par mois. Les policiers ont finalement découvert les sites de rencontres électroniques du club et ont découvert un stock impressionnant de plus d'un million d'images pornographiques de plus de 1 200 enfants, dont certains n'avaient que deux ans. En septembre 2001, la police a arrêté une centaine de personnes membres du club. 

Pour faciliter le repérage de telles images, les policiers disposent de programmes permettant de retracer l'origine des adresses Internet. D'autres, comme le programme Perkeo ­ régulièrement mis à jour ­ leur permet de sélectionner certaines images pédophiles stockées sur un logiciel lors d'une perquisition. Ce programme compare ses quelque 30 000 photos collectionnées dans le répertoire « classique » de pédophiles, avec le matériel stocké dans l'ordinateur du suspect. S'il en reconnaît au moins une, c'est qu'il y en a certainement d'autres et les enquêteurs peuvent confisquer. 

Dans ce contexte, l'association Ecpat cite Interpol : « les pédophiles en (des collections pornographiques, ndlr.) conservent très souvent des fichiers détaillés et méthodiques, et ne se débarrassent que très rarement d'une partie de leur collection ».

« Une autre possibilité d'enquête est l'infiltration dans les réseaux, faire croire que l'on est de la bande, qu'on est intéressé au matériel pédophile, explique le commissaire en chef Camille Weydert, pour frapper une fois que les preuves sont là, que la 'marchandise' est livrée. Cette tactique est souvent utilisée aux États-Unis, mais la législation ne nous le permet pas ici. Cette méthode tient de la provocation policière, que nous préférons éviter, c'est une incitation à commettre un crime que nous ne voulons pas. Mais nous avons encore d'autres méthodes d'enquête, dont nous ne voulons pas dévoiler les détails sinon nous risquons de ne plus être efficaces. Les gens se croient à l'abri dans le net, mais l'anonymat n'est jamais à cent pour cent. » 

Reste que les habitués du réseau connaissent bien toutes les nouveautés informatiques leur permettant de masquer leur identité ou la nature du matériel envoyé sur la toile. Il est possible par exemple de dissimuler une photo sous l'aspect d'un texte banal, difficilement décelable par les enquêteurs. C'est bien au niveau de l'informatique que le combat est mené, nécessitant d'importants moyens matériels et humains.

Pour combattre la pédophilie sur le net, des négociations sont aussi menées avec les prestataires de services sur Internet. Certains pays ont élaboré des codes de conduite déterminant la responsabilité des intermédiaires techniques par rapport aux contenus illégaux des sites qu'ils hébergent. Certaines législations les forcent à stocker les données pour que la police puisse par exemple retracer les adresses des visiteurs de certains sites. Au Grand-Duché, cette matière est réglée par les lois sur le commerce électronique et sur les médias électroniques. 

En Allemagne par exemple, les négociations sont menées pour que les fournisseurs d'accès adoptent une autodiscipline sous la forme d'incorporation de filtres permettant de déceler le matériel prohibé et son origine pour en informer ensuite la police. 

Dès que de nouvelles images apparaissent, les enquêteurs tentent d'identifier la victime. Comme il est rare de trouver des détails sur l'abuseur (les indices précieux comme le logo d'une entreprise sur un vêtement sont plutôt clairsemés), il s'agit de répertorier les images selon l'entourage, le lieu du crime, la qualité du cliché etc., pour finalement localiser le pays, l'endroit et l'abuseur lui-même. Une enquête de longue haleine.

Un autre débat tourne autour de la technique du morphing facilement réalisable avec les nouvelles technologies en informatique. Il s'agit de fusionner quelques images ou de les déformer pour en créer de nouvelles. Cette technique ne nécessite pas forcément un acte de pédophilie à la base. Certains soutiennent par conséquent la thèse que le morphing n'est pas un crime, car ce n'est pas une image réelle. D'autres, comme l'association Ecpat, sont au contraire d'avis qu'il y a « un lien évident entre la pornographie impliquant des enfants ­ virtuels ou réels ­ et les abus sexuels dans le monde réel ».

Au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, les images « morphées » de pornographie enfantine sont interdites. Au Grand-Duché, le ministre de la Justice, Luc Frieden, vient de répondre à une question parlementaire de la députée socialiste Lydia Mutsch : avant de changer la loi, « il y a lieu d'attendre la conclusion prochaine des négociations au sein de l'Union européenne sur une décision-cadre en matière de pédopornographie où les questions évoquées sont débattues ». Patientons donc !

 

 

anne heniqui
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