Différences selon le sexe

Le bulletin, côté cœur

d'Lëtzebuerger Land vom 11.06.2009

Le vote des Luxembourgeoises au scrutin législatif de dimanche sera toujours aussi impalpable, tant que les responsables politiques de ce pays ne se décideront pas à enfin mettre en place un système de bulletins de vote différenciés selon le sexe. Du moins pour certains bureaux de vote qui auraient valeur de test pour cerner le comportement électoral féminin. 

Les Allemands, qui s’y sont mis, identifient désormais plus clairement ce qu’attendent les femmes de leurs partis, pour qui elles votent et pourquoi, depuis l’instauration de bulletins de couleur différente en fonction du genre de l’électeur. Au Luxem­bourg, malgré l’insistance du Conseil national des femmes du Luxembourg (Cnpl), qui a fait cette demande par écrit au ministère de l’Intérieur, rien ne permet d’appréhender la spécificité du vote féminin. Les autorités ont refusé de mettre en place un tel système. Il faut donc s’en remettre aux sondages pour le connaître, et à un seul institut, TNS-Ilres, qui a organisé sur Internet, de dimanche 14.30 heures, donc après la fermeture des bureaux de vote, jusqu’à mardi après midi, une enquête auprès d’un échantillon de 2 022 personnes représentatives de l’électorat luxembourgeois. Les sondages ne portaient d’ailleurs pas spécifiquement sur le vote féminin.

Le constat d’un certain désintérêt des femmes luxembourgeoises pour la politique s’est dégagé de ce sondage : « Les femmes, explique Charles Margue, directeur d’études à TNS-Ilres, s’intéressent moitié moins à la politique que les hommes et ont moitié moins que lui envie de s’y en­gager ». Serait-ce donc leur propre faute, et non la volonté délibérée des organes directeurs des partis, généralement à forte dominante masculine, si elles sont autant sous-représentées sur les listes des partis1, et donc forcément au Parlement où elles se retrouveront une petite quinzaine – et peut-être moins – à siéger, dans le gouvernement où elles pourraient être quatre, avec l’entrée de la socialiste Lydia Mutsch, qui n’est pas impossible, et au Parlement européen, qui a vu l’élection de Viviane Reding et d’Astrid Lulling. Dans l’enceinte communautaire, la représentation féminine luxembourgeoise pourrait au final se résumer à une seule femme sur les six sièges réservés au grand-duché, la commissaire européenne sortante Viviane Reding, tête de liste du parti CSV aux européennes, ayant clairement affiché son intention de retourner à la Com­mission, où elle jouiera d’une autre visibilité que si elle devait rester simple eurodéputée. Elle devrait donc céder sa place à un homme. Astrid Lulling, 80 printemps, incarnera ainsi à elle seule le Luxem­bourg au féminin à Stras­bourg et à Bruxelles. 

Malgré les quotas que certains partis se sont imposés (un tiers au CSV, la moitié chez les Verts, sans résultats très convaincants), le résultat en représentativité féminine en politique, reste décevant pour le Conseil national des femmes du Luxembourg, qui dressait mardi un premier bilan du scrutin de dimanche. D’autant plus que le nombre d’élues pourrait baisser après la formation du nouveau gouvernement et l’envoi d’un commissaire à Bruxelles. 

Au goût très modéré que les électrices affichent pour la politique se greffe un vote plus au centre-gauche, car plus émotionnel, que celui des hommes, qui seraient eux plus enclins à se radicaliser soit à l’extrême gauche, soit à l’extrême droite de l’échiquier. Bref, les clichés que l’on sert habituellement sur les femmes. Il serait donc temps de colorer les bulletins de vote pour sortir de ces images d’Épinal de la mènagère qui vote avec son cœur et ses tripes, et de préférence pour les beaux gosses. Le vote de dimanche a montré que les barbus et les hommes un peu corpulents, avaient nettement mieux performé que les play boy. 

Le profil électoral féminin, selon Charles Margue, se caractérise aussi par un plus fort taux d’abstention et de vote blanc que chez les électeurs masculins, les programmes des partis en lice trouvant moins d’adhésion.

Le sondage de TNS-Ilres montre en outre une base chrétienne-sociale plutôt marquée par un électorat masculin. Mais ce sont surtout les communistes du KPL qui gagnent le pompon du vote « macho », suivis par les ADR, qui ont plutôt séduit les mâles. Le résultat à parité dans la circonscription sud – un homme, Gaston Gibé­ryen, et une femme, Tania Gibéryen, élus, malheureusement le papa et sa fille, ce qui a obligé celle-ci à céder son poste au candidat qui est arrivé juste derrière elle, Fernand Kartheiser, président de l’Association des hommes du Luxem­bourg – ne trompe personne.

Les femmes sur les affiches du parti populiste ressemblaient davantage à des potiches qu’à des tueuses, ce qu’il faut être à bonne dose si l’on veut réusir en politique. Tania Gibéryen fait en tout cas peu honneur à la classe féminine, ni à ceux et celles qui l’ont portée à la victoire dans la circonscription du sud, sans doute plus en raison de son patronyme et de sa filiation que pour ses qualités propres. Fort d’un électorat plutôt cultivé, Dei Lénk, qui va envoyer l’un des siens à la Chambre des députés, après une éclipse de cinq ans, se caractérise, lui aussi par une base électorale très masculine, selon Charles Margue. 

Le CSV, grand vainqueur de ce scrutin législatif du 7 juin, devrait lui aussi beaucoup son score au vote mâle, tandis que le LSAP serait davantage dominé par un électorat féminin. Le DP, qui a mis en avant dans la circonscription du centre une génération de grandes bourgeoises n’incarnant plus vraiment la ligne du parti qui est justement de rénover son équipe dirigeante, serait aussi marquée par une plus forte dominante d’électeurs que d’électrices. Lesquels, tous confondus, n’ont plus accordé leur confiance à la députée sortante Colette Flesch. Une page se tourne pour celle qui a longtemps incarné dans le paysage luxembourgeois, les femmes politiques à poigne, capables de s’imposer aux hommes et de dicter leurs idées plutôt que de se les faire souffler sur l’oreiller. 

Le parti des Verts a remporté la plus forte adhésion auprès de l’électorat féminin, selon le sondage de TNS-Ilres. « De tous les partis en lice, il a le profil le plus féminin avec un électorat aux deux tiers composé de femmes », indique Charles Margue. Cela dit, les femmes écolo n’ont pas vraiment plébiscité leurs homologues vertes, alors que les listes des Verts comportaient une presque absolue parité entre les hommes et les femmes. Une seule d’entre elles, Viviane Loschetter, a obtenu un mandat de cinq ans à la Chambre des députés. On est donc loin de la parité avec une verte pour six verts au Parlement.

Les électeurs luxembourgeois n’ont pas fait preuve de beaucoup d’audace, non seulement en donnant une confortable avance au CSV et en redemandant implicitement la même équipe orange-rouge au gouvernement, mais en reconduisant, à une exception près, les mêmes têtes féminines à la Chambre des députés.

Du côté des gagnantes, le CSV affiche sept élues directement2, dont plusieurs devraient être reconduites au gouvernement, ce qui laisserait la voie libre pour une seule nouvelle tête, l’éco­nomiste Diane Adehm, 38 ans, arrivée douzième dans la circonscription du centre, devant la sporttive Tessy Scholtes et la députée sortante Fabienne Gaul, reléguée elle à la dix-neuvième place. On voit mal le nouveau gouvernement sans les Frie­den, Wiseler et Schiltz. Aussi, Diane Adehm, qui est, comme Fabienne Gaul d’ail­leurs, conseillère communale de Hesperange, une des localités les plus peu­plées du Luxembourg, qui permet souvent aux candidats et candidates de se qualifier à la Cham­bre des députés, a-t-elle toutes les chances de s’y retrouver à l’automne prochain.  

Le portrait que la jeune femme livre d’elle-même dans une vidéo du CSV, ne laisse planer aucun doute sur sa volonté de briguer une position au sein d’une commission financière. C’est d’ailleurs aussi ce qu’elle souhaitait en 2005 au niveau communal, bien qu’elle ait dû se contenter de l’égalité des chances à Hespe­range, selon les déclarations qu’elle fit en mars dernier lors d’une table ronde sur la représentation politique des femmes.  

C’est malheureusement dans ce genre de commission ghetto où les femmes sont souvent reléguées, à quelques rares exceptions près. La députée CSV sortante Christine Doerner, réélue haut la main au centre, relevant de l’exception.

1 Selon les chiffres présentés mardi par le Conseil national des femmes du Luxembourg, la part des élues aux législatives s’affiche globalement à 25 pour cent, avec des différences notables selon les partis (26,9 p.c. au CSV, 30,8 au LSAP, 22,2 au DP, 14,3 chez les Verts, 25 à l’ADR – qui va se transformer en zéro avec la démission annoncée de Tania Gibéryen).

2 Il s’agit de Martine Stein-Mergen, Marie-Josée Frank, Françoise Hetto-Gaasch, Octavie Modert, Marie-Josée Jacobs, Nancy Kemp-Arendt et Christine Doerner. Les électeurs luxembourgeois ont plébiscité quinze élues en direct. Outre les femmes du CSV, on retrouve, côté LSAP, la ministre sortante Mady Delvaux-Stehres et les députés sortantes Lydie Err, Lydia Mutsch et Claudia Dall’Agnoll ; les DP Lydie Polfer et Anne Brasseur et la verte Viviane Loschetter, toutes trois députées sortantes.  

Véronique Poujol
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