Situation du film luxembourgeois

It’s a small world after all

d'Lëtzebuerger Land du 26.11.2009

Éloigné de la féerie mais embarqué pour un drôle de voyage, le public avait largement répondu présent à l’appel de la Cinémathèque municipale, lundi. Le Filmfund avait invité l’historien Paul Lesch à préparer une conférence dans le cadre des Journées du film luxembourgeois. Laissant le doctorant Gérard Kraus proposer une réponse à l’interpellation Nationale Kino ! Waat as ee lëtzebuerger Film ?? (lundi prochain, 30 novembre, à 20h30 à la Cinémathèque), Paul Lesch avait trouvé un thème original et une accroche prometteuse : Paris au Rousegärtchen et Silicon Valley au Kirchberg

Car depuis la vingtaine d’années que le système fiscal permet une certaine récupération de l’argent investi, les coproductions se sont multipliées au grand-duché. Qui n’a jamais croisé de GR (gentil régisseur) vêtu d’un seyant gilet orange barrant la route ? Quelquefois, on peine à reconnaître la rue, derrière. La grande illusion du cinéma ne passe pas en effet uniquement par l’extra-diégétique : si le langage cinématographique permet beaucoup, il est essentiel de se repérer grâce aux décors. Et c’est ainsi que les rotondes de Bonnevoie sont devenues des paysages de Prague (The way to dusty death) ou de Boston (Primary Motive), alors que l’hôtel de ville se métamorphose en commissariat parisien (Falling Through). Les intérieurs ont aussi été beaucoup utilisés, en particulier le Cercle municipal, qui retrouve sa splendeur notamment dans Comme t’y es belle où il accueille un institut de beauté. Le quartier le moins excitant de la ville, le Kirchberg, devient, grâce à un hall Luxexpo revisité, Silicon Valley (New World disorder), et terre d’accueil de la CIA (dans le civil, bureaux de la CLT !)…

Le parcours onirique de Paul Lesch se poursuit ainsi dans toute la ville, donnant souvent l’occasion au public de s’amuser. Difficile en effet de résister au fou rire devant cette image d’un Christophe Lambert hirsute sur la place du Théâtre transformé en quartier animé de Tel Aviv, enseignes en hébreu à l’appui. Point Men est un des films qui poussent le travestissement le plus loin : on retrouve également la sortie du cimetière de Bonnevoie en check-point ou la maternité qui, agrémentée de quelques palmiers, devient le QG des opérations spéciales ! La capitale n’est pas la seule fantaisie : on verra encore l’Oesling comme frontière tchécoslovaque, la mairie d’Echternach devenue un hôtel de New Orleans ou encore Remich accueillant un marché oriental…

Si les exemples ne manquent donc pas, certains montrent la limite de ces arrangements avec la réalité. Comme le souligne l’historien, qui a bénéficié des souvenirs des producteurs et de l’ancien régisseur général Stéphane Wasila, « l’illusion fonctionne bien pour les films historiques, mais beaucoup moins pour certains décors urbains contemporains. Cela dépend également des exigences du réalisateur en ce qui concerne la ‘véracité’ du décor. Certains sont plus exigeants que d’autres. Bien entendu cela dépend également du budget du film ... et du ‘pouvoir’ du producteur. » Sur un potentiel de spectateurs compté en millions, notre petit plaisir inavouable de traquer l’espace grand-ducal à l’écran est donc bien inoffensif. 

Aujourd’hui encore, peut-être un peu plus subtilement, les réalisateurs et les décorateurs s’attèlent à déguiser les paysages luxembourgeois. On a pu le voir dans les récentes avant-premières : le pont Adolphe, pourtant reconnaissable, en no man’s land dans Dust, la plage ultra-protégée d’Esch-sur-Sûre accueillant un camping et un stage d’aviron dans La régate ou encore l’intérieur et l’extérieur de l’appartement d’Amsterdam où se réfugient les amants dans House of Boys, en fait tourné dans les anciens bureaux de l’usine de Dudelange (le même décor qui, quelques mois auparavant, était un commissariat glauque pour Diamant 13). 

Cette soirée et ces exemples de création de l’illusion au cinéma étaient surtout une occasion de proposer une rétrospective de cet autre cinéma luxembourgeois, qui, conjointement à l’activité nationale, permet aujourd’hui à des dizaines de techniciens de pouvoir vivre de leur métier, une situation qui n’était pas encore gagnée il y a quelques années. On n’a donc pas fini de croiser les gilets oranges dans les rues. 

Marylène Andrin
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