50 Joer d'Land

Fenêtre sur Cour

d'Lëtzebuerger Land vom 07.01.2004

Un demi, un ! Le garçon l’aura compris, un demi-siècle ça s’arrose, même si le millésime 1954, avec son été sibérien, aura été une sale année pour les vignerons qui non seulement ramassaient une immonde piquette, mais assistaient encore aux premiers pas d’une Communauté Européenne qu’ils vouent encore et toujours aux hégémonies. C’est en effet quelques années auparavant que Robert Schuman lança l’idée de la Communauté du Charbon et de l’Acier et bien que l’Union Européenne se retrouve sous peu à 25, les braves Luxembourgeois continuent à parler, avec un mélange de fierté et de méfiance, de ces fonctionnaires de la Ceca qui font grimper les loyers dans leur bonne ville. 

Mais 1954 fut aussi l’année de Rear Window, le chef d’œuvre de Hitchcock où nous voyons un James Stewart, reporter-photographe réduit à l’immobilité par une jambe plâtrée, devenir le témoin intéressé et loquace de ce qui se trame dans son arrière-cour. La plume et le papier furent en cette année-là à Carlo Hemmer ce qu’étaient la caméra et la toile à Hitchcock, et le Land est ainsi devenu, au fil des lustres, le C. B. Jeffries de la basse-cour du Luxembourg, car « chez nous au village aussi, on a de beaux assassinats ».

Notre journal n’a certes jamais été une presse de cour, ni de cœur, et il lui arrive même parfois de regarder côté jardin. « Sortir l’actualité du flou » est, il est vrai, un rêve fou, et le regard de la presse est souvent considéré, comme dans le film de Hitchcock, comme un pouvoir, voire un contre-pouvoir. En 1954 le reporter Jeffries restait cloué dans sa chaise roulante, alors qu’au même moment, le journaliste le plus connu de la planète, Tintin pour ne pas le nommer, s’envoyait sur la lune. Le fondateur de notre hebdomadaire se trouva donc, en cette année, en bonne compagnie.

Hitchcock, Hergé et Hemmer, tout en scrutant l’actualité, en sont devenus aussi ses acteurs en employant par trois fois leur grande Hache, comme aurait dit Perec. L’immobilité de Jeffries face à la bougeotte de Tintin, le journaliste de la rue Glesener ne verse jamais dans l’immobilisme et le Land entend bien encore faire bouger les choses au Luxembourg et, pourquoi pas, ailleurs. Car, à l’image d’un éphémère ministre de Mitterrand et en pesant beaucoup plus, le Land est bien ailleurs, c’est ce qui fait sa faiblesse, c’est ce qui fait aussi sa force.

Mais voilà, la cinquantaine est aussi l’âge de la « midlife-crisis », et depuis Hippocrate nous savons que la crise est un moment éminemment fécond qui appelle le deuil des années révolues comme la mise en question des engagements passés et présents, conditio sine qua non pour un développement adulte.

D’aucuns choisissent, dans ces années, de s’épancher sur le divan d’Yvan pour en savoir un peu plus sur leur identité et leur histoire. La psychanalyse du Land pourrait s’ouvrir ainsi sur le lamento de se faire taxer régulièrement de porte-parole du capital et/ou de tel parti bourgeois.

La Cassandre de l’éditorial, chaque semaine, patiemment, inlassablement défait cependant cette toile de Pénélope en mettant à jour le clivage névrotique du journal qui parle plusieurs langues, au risque de ne jamais atteindre, hélas, cette frange de lecteurs potentiels qui ne s’expriment qu’en un seul idiome. « Le Lëtzebuerger Land, combien de colonnes ? », avait coutume de dire Staline.

Les signatures en H, comme tant d’autres, continuent d’honorer la profession en signant dans nos pages des textes, des aveux, des cris, des lapsus qui témoignent de la quête tourmentée d’une équipe qui, tel Sisyphe, roule imperturbablement sa pierre vers le sommet de la vérité, avec un v minuscule, mais non mineur. Or, nous savons depuis Camus que Sisyphe est un être foncièrement heureux.

Yvan
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