Jim Clemes

The belly of an architect

d'Lëtzebuerger Land vom 07.05.2009

C’est avec un Sauternes premier grand cru classé Château Guiraud 2005, offert en guise de vœux de nouvel an 2009, que Jim Clemes a voulu partager la bonne nouvelle avec ses clients et amis : son bureau vient de remporter le concours d’architecture pour l’extension et la restructuration du domaine du Château Guiraud, dans le Bordelais. Leur projet allie respect de la tradition et du prestige du lieu, valorisation de la nature environnante et modernité des matériaux. Un projet rêvé pour Jim Clemes, l’épicurien, qui aime les belles choses et la bonne chair, trouve normal de soutenir les artistes et qui veut mettre son architecture au service des gens qui l’habitent, form follows function. 

La première chose que l’on voit en entrant dans le bureau d’architecture route de Luxembourg à Esch, c’est le présentoir de cartes postales : les images qu’on y voit ne sont pas ces photos d’architecture aseptisées que l’on connaît des magazines en papier glacé, mais des photos très impressionnistes de l’ombre portée d’un bâtiment, de mauvaises herbes devant un pont, le détail d’un matériau original, des jeux de lumières à l’intérieur d’une salle de classe – de la vraie vie, quoi. 

Le bureau fête ses 25 ans d’existence cette année, Jim Clemes, qui a fait ses études à Miami et à Paris en a 52 – et une soixantaine de collaborateurs de tous horizons. Le mercredi, c’est cantine pour tous, l’équipe se retrouve au grand complet dans une salle exiguë pour discuter et manger ensemble. Un moment de convivialité essentiel pour le travail en équipe et l’échange. Parmi les convives, on rencontre entre autres Nico Thurm, l’artiste plasticien a des bureaux ici, il est impliqué dans la conception de certains projets, pour leur aspect purement visuel – comme pour le viaduc de l’Alzette à Lorentzweiler, où il a réfléchi en amont à l’intégration élégante de l’énorme construction dans la nature, ou, actuellement, au futur pont d’entrée à Belval –, parfois aussi à la conception d’œuvres dans les nouvelles constructions. 

« Joie de vivre et culture » seraient les maîtres mots de Jim Clemes, lit-on dans une publication du bureau. Maîtres mots qu’on retrouve sans conteste dans sa manière de concevoir son lieu de travail – les œuvres d’art luxembourgeoises et africaines s’alignent de manière décomplexée, comme entreposées, dans chaque salle –, mais aussi son approche des projets de constructions. Si on ne peut pas définir une « touche Clemes », un style incomparable, comme il y a le blanc Richard Meier, la pierre et le verre IM Pei ou les formes organiques à la Gehry, c’est parce qu’il veut partir de la situation, des besoins, du programme de construction et du contexte. 

L’hôtel Meliã, qui devrait ouvrir ce début mai, place de l’Europe au Kirch­berg, en est un bel exemple : encastré entre les prestigieuses architectures de Pei (Mudam) et de Portzam­parc (Philharmonie) et les gigantesques verrières du Centre de conférences (Schemel [&] Wirtz), le bâtiment n’avait pas beaucoup de place pour se déployer. Jim Clemes a choisi de répondre en toute modestie : son bâtiment de sept étages est en monolithe asymétrique à toit plat, un bloc noir, dont la façade est rythmée par les différents tons de gris foncé à l’anthracite des plaques de basalte qui l’habillent. Le bâtiment est élégant et calme, comme un pôle fixe sur une place en mouvement. C’est à l’intérieur que cet hôtel, qui, avec un peu plus de vingt millions d’euros disposait d’un budget extrêmement modeste, dévoile son aspect spectaculaire : les 160 chambres, surtout celles qui font le coin, offrent des vues impressionnantes, sur Mudam, son parc, la vieille ville. Les grandes baies vitrées laissent entrer beaucoup de lumière sans qu’on se sente exposé. Si le mobilier correspond au standard de la chaîne espagnole – elle possède plus de 300 hôtels dans trente pays –, l’architecte luxembourgeois a néanmoins insisté pour que chaque chambre soit décorée d’œuvres d’art originales, créées pour l’occasion.

Rien ne laisse présager que le projet de la gare de Belval-Usines, dont les formes organiques commencent à être visibles, est du même bureau d’architecture. Le bâtiment, inspiré d’un ver luisant, est un long couloir translucide, qui se faufile le long des voies ferrées et s’élargit là où le flux des voyageurs sera le plus important. Les membranes qui l’habillent laissent entrer la lumière naturelle le jour et en font un objet lumineux la nuit. Le lycée Belval, pour lequel le premier coup de pelle vient d’être donné fin mars, a lui des formes plus géométriques, les bâtiments formant une sorte d’anneau autour d’une cour intérieure. Mais Jim Clemes construit aussi le nouveau bâtiment administratif de La Luxembourgeoise à Leudelange, le nouveau bâtiment de la Justice de Paix à Esch, l’extension de la Cour des comptes européenne au Kirchberg, l’extension du Centre François Baclesse à Esch… D’ailleurs le bureau s’est spécialisé en infrastructures hospitalières, gériatriques et en écoles, des lieux qui accueillent « l’être humain fragilisé », comme il l’appelle. Depuis 2004, Jim Clemes travaille également au Mali, à Bamako, où il collabore avec des intervenants locaux pour la construction de structures de santé. C’est aussi cela, sa conception de l’architecture : un don, un geste de générosité, qui améliore la vie de l’homme et son environnement.

josée hansen
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