Films made in Luxembourg

Des fauves en pleine campagne

d'Lëtzebuerger Land du 01.06.2018

Un lundi en fin de matinée, en plein centre de Goetzingen. Des camions de location de matériel cinématographique sont dispersés à travers la Rue Principale. Sur un parking, une cantine s’est improvisée dans une vaste tente, posée là pour l’occasion. Sur une centaine de mètres, une multitude de câbles trainent au sol et se dirigent vers une maison en vente, un peu à l’écart, à la lisière d’un champ. Sur place, deux autres camions encore, les lieux fourmillent. Des techniciens s’affairent, une régisseuse plateau demande le silence, en hurlant comme à l’accoutumée. Pas de doute, on y tourne un film, à savoir Jumbo. Il s’agit du premier long-métrage de la jeune réalisatrice Zoé Wittock, un projet co-produit par Insolence productions (France), Kwassa Films (Belgique) et enfin par Les Films Fauves, une société de production autochtone et indépendante, fondée en 2014 par le producteur Gilles Chanial et les réalisateurs Jean-Louis Schuller et Govinda Van Maele.

Jumbo contera l’histoire de Jeanne (Noémie Merlant), gardienne de nuit dans un parc d’attractions, vivant avec sa mère extravertie (Emmanuelle Bercot), et qui développera d’étranges sentiments à l’égard de Jumbo, une des attractions du parc. Un pitch lunaire pour un film de genre qui s’avère être plus que curieux. Le budget du film fixé à près de trois millions d’euros a bénéficié d’une aide conséquente du Film Fund et c’est en partie pour cette raison que les équipes ont posé leurs valises au Grand-Duché le temps de quelques semaines. Dans le jardin, derrière la maison, quelques journalistes patientent. Une large tente blanche a été installée, on y réalise des interviews d’Emmanuelle Bercot, de retour du festival de Cannes. C’est sa première fois au Luxembourg, elle admet amusée mais gênée qu’elle ne savait pas, jusque-là, placer le pays sur une carte. « J’ai eu la chance de tourner dans une campagne qui est magnifique, pour la ville, je vais sans doute partir sans la connaître. » Actrice confirmée mais également réalisatrice multi-primée, elle fait la part des choses en n’intervenant que très peu sur le travail de Zoé Wittock.

Gilles Chanial, le producteur, est lui aussi présent. Il allume cigarette sur cigarette et répond avec malice à toutes les questions. Un journaliste lui demande « « Pourquoi tu fais des films toi, pour l’argent ? ». La réponse est négative, évidemment, c’est la passion qui semble l’animer. Les chiffres de Gutland de Govinda Van Maele également produit par les Films Fauves, viennent de tomber. 1 000 entrées la première semaine, idem pour la seconde. Il admet que les chiffres ne sont pas très bons. Il faut dire que le film, plutôt réussi au demeurant et qui a fait le tour du monde à travers les festivals de Toronto, Tokyo, Buenos Aires, Lucques ou Rotterdam, n’a visiblement pas bénéficié de l’effet « beau temps ». La chaleur est d’ailleurs caniculaire ce jour-là, les journalistes sont reconduits à l’entrée de la maison. Le tournage se déroule en intérieur. Silence de cathédrale ponctué de chants d’insectes et d’aboiements lointains.

Au moment de la pause déjeuner des techniciens, Zoé Wittock, tout sourire, vient à la rencontre des journalistes. On pénètre enfin dans la maison, les décorateurs s’en sont donné à cœur joie. L’ambiance est fantaisiste. Elle se prête elle aussi au jeu des questions réponses dans la tente du jardin. Son film de thèse tourné aux États-Unis, Ceci n’est pas un parapluie, l’avait fait entrer dans le circuit professionnel en 2011. Depuis elle a enchainé les projets et a patiemment attendu les financements pour Jumbo durant plusieurs années. Tous les regards seront braqués sur le résultat. Les relations mère/fille, l’imagination, la féérie, autant de sujets traités pour un film auquel tout le monde souhaite un beau destin. C’est que ce milieu du cinéma est cruel, il faut être un fauve pour y survivre. En attendant, la société de production va enchaîner avec le tournage de Rain Anyway de Gust Vand den Berghe, un long-métrage qui tournera autour du monde du cirque au vingtième siècle.

Plus d’informations : lesfilmsfauves.com

Kévin Kroczek
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