Luxair

Dos rond

d'Lëtzebuerger Land vom 21.05.2009

Comment traverser la crise de l’aviation commerciale, du voyage touristique et du fret, qui devrait lui faire perdre cette année plus de 14 millions d’euros contre un petit bénéfice de 1,55 million en 2008 – principalement dans l’activité aérienne –, sans toucher aux effectifs, sans faire de plan social ? Les dirigeants de Luxair Group se sont assignés la difficile mission de ne pas tailler dans le personnel et d’assurer à chaque salarié la garantie de son emploi, un peu comme cela se fait à l’État. C’est une priorité des ressources humaines. C’est d’ailleurs aussi un peu un devoir pour une compagnie qui a directement ou indirectement l’État comme actionnaire, lequel tient à bout de bras plus de 50 pour cent du capital de la compagnie, après les défections des actionnaires historiques. La montée en puissance de Lufthansa, le partenaire industriel « stratégique », qui passe de 13 à 20 pour cent des actions, ne devrait pas apporter de changements fondamentaux à la conduite des affaires de la compagnie. L’Allemand n’a peut-être pas (encore) les moyens d’imposer son style et sa marque de fabrique au Findel, même si de nombreux dirigeants de Luxair ont fait leurs classes chez Lufthansa et que, si de nouvelles routes ont été initiées, elles l’ont toutes été à l’Est de l’Europe et que la compagnie luxembourgeoise mise beaucoup sur ses départs depuis l’aéroport de Sarrebruck pour développer la clientèle de LuxairTours, sa branche tour opérateur. À défaut du dynamisme de la clientèle régionale française, qui faisait jusqu’alors son principal fond de commerce.

Le pari de Luxair repose sur le postulat qui veut que la crise va se résorber en 2010, et comme le secteur aéronautique, du moins le fret (le résultat opérationnel devrait être neutre cette année et celui, béné-ficiaire, du tour opérateur servira à colmater les brèches), qui a toujours assuré une bonne rentabilité à la compagnie, réagit avec six mois d’avance sur la réalité des affaires, les dirigeants tablent sur un petit sursaut à la fin de l’année pour une reprise des affaires au courant de l’année prochain. 

En attendant, LuxairGroup fait le dos rond et se dit assez solide pour amortir sans trop de casse les contrecoups de la crise économique. La compagnie n’a plus beaucoup de mauvaise graisse. La taille dans les effectifs, y compris parmi les cols blancs, se compose au passé. Les recrutements, qui cartonnaient encore il y a un an dans l’activité cargo, ont été gelés, les salariés sur le départ ne sont pas remplacés et les heures supplémentaires, qui amélioraient l’ordinaire de centaines d’ouvriers du Cargocenter, ont été limitées à ce qui est indispensable pour faire tourner l’entreprise. Dans le secteur aérien proprement dit, les équipages de cabine, hôtesses et stewards, fonctionnent désormais selon les standards que les normes internationales de sécurité aérienne imposent. Avant la crise, il y avait souvent une hôtesse « de trop » à bord, pour marquer la différenciation sur la qualité du service Luxair. C’est désormais un luxe que la compagnie ne peut plus se permettre. Les passagers, qui se sont fait de toute façon moins nombreux depuis la fin de l’année 2008 (56,8 pour cent de seat load factor l’année dernière contre 58,7 un an plus tôt), ne s’en apercevraient même pas, selon les dirigeants de la compagnie. 

La restauration à bord aussi s’est adaptée à la situation : les plateaux-repas ont été remplacés par des sandwichs sur les petites liaisons. Les dirigeants ont rogné sur tous les frais d’exploitation, à l’affût de la moindre dépense superflue. La conférence de presse annuelle de présentation des résultats – c’est évidemment anecdotique – se fait désormais dans les locaux du groupe et non plus à la Philharmonie. La commande d’un appareil de type Boeing 737-800 pour remplacer le 737-500, qui a pris un peu de bouteille, a été reportée à des jours meilleurs. Par contre, les deux autres Q400, qui porteront à cinq la flotte Bombardier de Luxair, seront livrés selon les délais prévus : un cette année et un autre l’année prochaine.La capacité a été réduite depuis le début de l’année de huit pour cent. Les fréquences sur Paris sont passées de quatre à trois par jour (le TGV a fait des ravages sur la ligne), de trois à deux sur Milan. Les vols du samedi matin sur Berlin et Barcelone ont été gelés. Dans l’activité cargo, Luxair ne fait plus appel désormais aux travailleurs intérimaires, qui étaient encore 300 en moyenne en 2007 et ont été réduits de moitié en 2008. La compagnie a aussi raboté les heures supplémentaires de ses manutentionnaires, les camions à charger ou décharger se faisant rares.

Personne mardi lors de la présentation n’a eu l’idée de demander aux dirigeants s’ils avaient fait une croix à leurs primes et bonus et si, comme ce fut le cas des cadres d’ArcelorMittal, ils avaient renoncé à un certain pourcentage de leurs rémunérations. On ignore également si les administrateurs ont accepté une réduction de leurs jetons de présence. « Nous n’en sommes pas encore à ce stade », indiquait mercredi le porte parole de Luxair, en précisant que si les salaires devaient être touchés, l’effort serait alors « collectif et proportionnel ». Pas question, de toute façon, d’agir sans l’aval des syndicats, avec lesquels les négociations ont été entamées. 

Adrien Ney, le grand patron de la compagnie mène lui-même les discussions avec les syndicats et les représentants du personnel, pour associer tout le monde aux mesures d’économie et rassurer sur les bonnes intentions du groupe. Il n’y aura pas de plan social, ont martelé tour à tour Adrien Ney et même Marc Hoffmann, le président du conseil d’administration de LuxairGroup.

Les deux dirigeants se sont félicités à plusieurs reprises du flair qu’ils ont eu en 2006, lorsqu’ils ont fait le ménage dans la compagnie, qui fonctionnait selon des standards hérités de l’autocratie de Roger Sietzen, l’ancien patron et fondateur de Luxair. Il y a trois ans, la réorganisation était passée par la mise en place de business lines (airline, tour operator et handling), autonomes entre elles. À l’époque, il s’agissait de stopper l’hémorragie dans le domaine proprement aérien, qui accusait une perte cumulée de quelque trente millions d’euros (2003 à 2005). Sans ce repositionnement de la compagnie, qui s’était traduit dans les faits par une nouvelle flotte (l’arrivée des trois Q400 de chez Bombardier, moins gros consommateurs de kérosène, plus petits), une redéfinition du réseau de destinations (notamment à partir de l’aéroport de Sarrebruck pour relier la route vers Hambourg et étoffer les liaisons vers Berlin et Munich), une nouvelle stratégie marketing pour contrer les compagnies low-cost concurrentes et des mesures drastiques pour réduire les coûts, l’année 2008 aurait pu se solder par une perte opérationnelle de plus de vingt millions d’euros.  

   2009 devrait être l’année « horrible » de l’aviation commerciale. L’IATA, l’association internationale des transporteurs aériens, table sur une baisse de l’activité du fret de treize pour cent et de près de six pour cent chez les passagers. Chez LuxairGroup, les prévisions sont aussi sombres, sinon davantage : sa clientèle de voyageurs d’affaires pourrait s’effondrer de 28 pour cent d’ici la fin de l’année. Dans le tourisme, LuxairTours a enregistré une baisse des réservations de onze pour cent, principalement sur le marché français. Les trois premiers mois d’activités du fret ont été catastrophiques (-22 pour cent). Pour s’en sortir, LuxairGroup pourrait être amené à briser certains tabous sociaux, avec la bénédiction des syndicats et au nom de la préservation de l’emploi. 

Véronique Poujol
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