Accident du Fokker

License to fly

d'Lëtzebuerger Land du 26.02.2004

« Il y avait des rumeurs dès le début, » se rappelle un pilote expérimenté. L’embauche en 1995 par Jean Poeckes, alors pilote en chef de Luxair, de son fils Claude n’était pas passée inaperçue. Ces rumeurs n’ont fait que s’amplifier depuis que Claude Poeckes se trouvait, le 6 novembre 2002, aux commandes lors du premier accident mortel de la compagnie aérienne nationale. Le reproche est simple : le père aurait embauché le fils bien que la licence de ce dernier n’aurait pas été en règle. Son autorisation aurait été limitée à des usages privés et il aurait été trop jeune avec 19 ans pour être pilote de ligne. « À l’origine de la rumeur, estime le pilote précité, se trouve une lecture erronée de la licence américaine de Claude Poeckes : ‘private privileges’ se référerait à ce qui est inscrit au-dessus de cette ligne (airplane multiengine) alors que cette remarque visait en fait ce qui est inscrit en-dessous (airplane single engine). » La licence américaine permettait donc à Claude Poeckes de voler pour une compagnie aérienne commerciale et l’autorisait en plus de voler en privé sur une machine mono-moteur. Une remarque importante, puisqu’en Europe, le commandant d’un Boeing ne peut pas, sans autres procédures, louer le weekend une Piper ou Cessna. Il devra d’abord passer quelques heures de vol avec un instructeur pour s’habituer à la petite machine. En ce qui concerne l’âge de Claude Poeckes, les autorités américaines acceptent 18 ans. Le Luxembourg ne faisait que reconnaître la licence américaine. Qu’ailleurs on exige un minimum de 21 ans ne serait pas un problème. Selon la convention de Chicago, qui règle cette matière, ce qui compte est que la licence du pilote soit reconnue par l’État d’immatriculation de l’aéronef. Ces explications ne répondent cependant pas à la question de savoir pourquoi les auteurs du rapport technique sur l’accident de 2002 n’ont pas pu retrouver dans les dossiers de Luxair les documents relatifs à la sélection de Claude Poeckes comme pilote. La réponse la plus gênante serait que quelqu’un a fait disparaître les documents à cause d’un contenu embarrassant. Force est en tous les cas de constater que Claude Poeckes ne semble pas avoir été un pilote « prêt à l’emploi ». Il est passé dès son embauche en Suisse pour y compléter sa formation et acquérir une nouvelle licence, qui ne sera validée (avec certification pour le Fokker 50) que dix mois après son premier recrutement - une démarche inhabituelle. Les causes primaires de l’accident de 2002 sont connues : la mise des moteurs en position « ground idle » en plein vol, ce qui correspond en quelque sorte à la sélection de la marche arrière. Le rapport d’enquête officiel n’est pas moins critiqué tant par la direction de Luxair que par les pilotes. Avant de pouvoir (accidentellement) sélectionner la position fatale « ground idle », le pilote a dû passer en position « flight idle ». Pour ce faire, il a dû désactiver manuellement un premier dispositif de sécurité. La position « flight idle » met les hélices dans une figuration qui correspond en voiture à un freinage à bloc. La thèse retenue par l’enquête officielle veut que cette première manœuvre aurait été un acte délibéré du pilote. Bien que contraire à toutes les règles de l’art, le pilote aurait voulu freiner ainsi son avion afin d’atterrir bien qu’il était en fait trop haut pour entamer une descente régulière. Certains pilotes mettent cette version en doute : « Pour ralentir un Fokker, il suffit qu’on sorte le train d’atterrissage. » Ils ne peuvent s’imaginer qu’un pilote puisse intentionnellement sélectionner la position « flight idle ». Un autre accident d’un Fokker 50 soulève maintenant des questions similaires que l’accident Luxair. Un avion de la compagnie iranienne Kish Air s’est écrasé le 10 février dernier dans des conditions qui rappellent, selon certains experts, celles de l’accident du 6 novembre 2002. 

Jean-Lou Siweck
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