Xénophobie au Luxembourg

S.O.S. Racisme

d'Lëtzebuerger Land du 21.04.2005

Wow... que de haine! Lorsque mercredi soir, RTL Radio Lëtzebuerg a ouvert son antenne aux auditeurs dans le cadre de son émission Dir hudd d'Wuert, on a eu comme une claque. Une explosion de haine, d'agressivité et de xénophobie rarement connues aussi publiquement au Luxembourg. À la question «quelle est votre appréciation de la politique d'asile du gouvernement?», la majorité des intervenants a déballé la grosse artillerie des standards du racisme bête et méchant, allant du «ils s'asseyent dans les bus et les pauvres vieilles dames luxembourgeoises doivent rester debout», à : «ils volent les emplois de nos enfants» et: «chez nous, à Wiltz, les femmes n'osent plus sortir seules dans la rue depuis qu'il y a tous ces noirs». Bien qu'il faille toujours relativiser la représentativité d'une telle émission, ne serait-ce que par l'aléatoire des intervenants, ce qui étonna mercredi, c'était la virulence des propos. Une semaine plus tôt, le rapport de l'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobe (EUMC) dont le siège est à Vienne, s'est inquiété que «la plupart des pays de l'UE passent sous silence certains incidents racistes, ce qui pourrait entraver l'adoption de mesures efficaces à l'égard de la violence raciste contre les minorités». Et d'estimer que «le risque de sous-estimer la situation est élevé. En effet, les premiers chiffres pour 2004 montrent des augmentation dans plusieurs États membres […] et illustrent de ce fait l'urgence du problème au sein de l'UE.» Les conclusions du rapport pour le Luxembourg (réalisé en octobre et novembre 2003) pourtant notent: «Visible acts of racial violence as they occur in our neighbour countries are rare, or even non-existent in Luxembourg. Demonstrations of a more collective type, as of the regroupings of extreme-right parties do not exist. There is a total absence of organisations or of political parties promoting racism. Nevertheless, the situation is not calm as one could think by this description. Indeed, racism is expressed in a subtle way.» Avant de regretter l'absence de données statistiques fiables. Absence de chiffres (entre onze et seize plaintes par an en 2000, 2001 et 2002) qui pourrait s'expliquer, en partie au moins, par la peur des victimes d'actes racistes de déposer plainte, de crainte de voir leur situation s'aggraver. «Quelles sont les mesures que le gouvernement envisage de prendre afin d'écarter toutes les entraves pratiques et psychologiques au dépôt d'une plainte par les victimes d'actes de discrimination à caractère raciste ou xénophobe?» demande le député Vert Felix Braz (Déi Gréng), dans une question parlementaire posée mardi au ministre de la Justice. Et de demander la création d'une structure indépendante d'aide aux victimes de racisme. Instance qui aurait du pain sur la planche. Après des années, voire des décennies durant lesquels le discours politique officiel vantait la cohésion sociale et l'intégration des étrangers, notamment par le travail, les dérives racistes des dernières années sont telles que le Grand-Duc ne cesse de s'en inquiéter ouvertement dans tous ses discours - en dernier lieu lors des multiples interviews accordées pour son cinquantième anniversaire. Pour prouver leur engagement, son épouse la Grande-Duchesse avait rendu visite à Maggy Delvaux-Mufu, la femme d'origine congolaise qui s'était immolée par le feu sur la place d'Armes en octobre dernier pour pousser un cri de désespoir contre le racisme dont elle se sentait victime. Elle est décédée quelques jours après cette visite. Le fait inquiétant est que le cas de Maggy Delvaux-Mufu n'était ni le premier, ni le dernier : en 1999, Fabienne Arlette Ayoumenie, étudiante d'origine camerounaise, s'est suicidée dans la prison de Schrassig, où elle avait été placée pour être expulsée, faute de papiers en règle. L'assassinat, en 2002, du jeune Capverdien Spencer à la sortie d'une discothèque à Luxembourg-ville avait été davantage interprété comme un acte de violence juvénile que comme un acte raciste et le cas de la jeune femme d'origine brésilienne, également de peau noire, qui s'est immolée par le feu en plein jour devant l'église de Hollerich samedi dernier s'expliquerait par ses états dépressifs… Mais tous ces cas alignés côte à côte ne commencent-ils pas à sonner l'alarme ? «On les gave chez nous, c'est normal qu'ils ne veuillent plus rentrer chez eux où ils devraient travailler pour vivre,» était une des affirmations d'un auditeur particulièrement agacé mercredi à la radio. Le gouvernement CSV/LSAP a repris il y a quelques semaines les expulsions de demandeurs d'asile déboutés, notamment vers le Monténégro, le Kosovo et la Macédoine. En parallèle, un projet de loi déposé par le ministre des Affaires étrangères Jean Asselborn (LSAP) et que le parlement veut encore adopter avant l'été, doit aider à accélérer les procédures d'asile. Au Findel, un centre de rétention en containers, dont la construction vient d'être décidée en conseil des ministres, permettra d'enfermer les demandeurs d'asile déboutés et autres étrangers en situation irrégulière pour une durée pouvant aller jusqu'à six mois. Tout est fait pour prouver aux Luxembourgeois que le gouvernement gère la situation. Alors que, de l'autre côté, pour ce qui est des droits de demandeurs d'asile, c'est moins reluisant: si la tolérance dans la population est à un niveau aussi bas, c'est aussi parce que le gouvernement précédent a fait le choix de faire des demandeurs d'asile des assistés en leur interdisant l'accès au marché du travail. Dans une période de chômage croissant, le ministre du Travail et de l'Emploi, François Biltgen (CSV), avait opté pour le protectionnisme, voulant réserver les postes qui allaient se créer ou s'ouvrir aux nationaux et aux ressortissants européens - en excluant tout aussi consciemment ceux de pays tiers, et a fortiori les demandeurs d'asile. Pourtant, sans travail, pas de revenu propre. Donc les demandeurs d'asile se trouvent réduits à l'attente et à l'aumône, souvent parqués pendant des années dans des foyers d'accueil vétustes. Tout est fait pour qu'ils ne se sentent pas trop à l'aise, de peur qu'ils n'appellent leurs cousins et cousines. Les familles venues de Yougoslavie à la suite de la guerre du Kosovo, aux alentours des années 1999, 2000 et 2001, ont souvent vendu toutes leurs possessions pour financer un passeur qui leur ouvre le chemin vers une vie meilleure, surtout pour leurs enfants. Et, comme par enchantement, leur intégration a fonctionné, sinon par le travail, au moins par le biais de la scolarisation des enfants. La consternation des enfants et lycéens qui, après les vacances scolaires de Pâques, n'ont plus vu que le siège vide de leurs camarades de classe, soit expulsés durant les vacances, soit qui se sont cachés de peur de se faire expulser justement, est significative. Est-ce que les enseignants doivent leur expliquer qu'il y a deux catégories d'êtres humains: ceux qui sont nés du bon et ceux qui sont nés du mauvais côté du mur? Les protestations contre les expulsions brutales de familles parfaitement intégrées dans des communautés villageoises après cinq, six, sept ans d'attente, viennent surtout des amis des familles. Aujourd'hui, parce qu'il y a des dealers qui abusent du droit d'asile, et parce que la politique n'a pas su faire une distinction assez claire dans sa communication, la population n'est plus divisée, dans l'opinion publique, en citoyens honnêtes et citoyens malhonnêtes, peu importe leur passeport, mais en Luxembourgeois, les bons, et en étrangers, les méchants. C'est une catastrophe pour la cohésion sociale. La Commission consultative des droits de l'homme s'est auto-saisie du projet de loi de réforme du droit d'asile et, bien qu'elle constate aussi certaines améliorations par rapport à la situation actuelle - notamment l'introduction d'une protection subsidiaire à l'asile selon Genève - constate aussi nombre d'enfreintes au droit international, voire même à la convention de Genève. Jean Asselborn et Nicolas Schmit, le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration et son ministre délégué, tous les deux socialistes, incarnent actuellement le rôle de hardliners, expliquant que les expulsions ne sont pas un choix, mais une obligation pour un État de droit, que le fait de devoir rentrer fait partie intégrante de la procédure. Ce qui peut être vrai, mais pas après toutes ces années d'attente et d'incertitude durant lesquelles les gens avaient commencé à reconstruire leur vie. Où était l'État de droit à ce moment-là? L'aile gauche du parti, notamment la députée Véra Spautz, s'était ouvertement offusquée de l'attitude des ministres de son parti, souhaitant une approche plus humaine de ces expulsions. Des dissensions internes qui faisaient croire en un parti divisé. Dans un communiqué publié mercredi 20 avril, la direction du parti essaye de prouver son unité, affiche sa solidarité avec le ministre Asselborn et exprime un blâme à l'encontre des «attaques personnelles» portées contre lui. À la radio, le même jour, un auditeur se disait très satisfait de la politique du gouvernement et félicitait «le bon travail du ministre Frieden».

 

josée hansen
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