Laver le linge sale en public

Acheteriez-vous une voiture d'occasion à Ady Jung ?

d'Lëtzebuerger Land vom 13.01.2000

La longue crise politique eschoise, d'abord considérée comme un divertissement burlesque, un feuilleton clochemerlesque ou une grosse farce villageoise, a fini par lasser, voire dégoûter les électeurs, donnant raison à ceux qui ne cessent de proclamer : Politik ass Knascht.

Fini de rire et de plaisanter, nos institutions démocratiques en ont pris un sacré coup et les protagonistes de ce spectacle désolant, absurde et surréaliste n'en sortent pas grandis et laisseront probablement des plumes aux élections-bis.

Mais pourquoi s'est-on battu avec tant d'acharnement pour le fauteuil de bourgmestre à Esch ? Pour améliorer les conditions de vie des Eschois ? Absolument pas, on s'est battu pour le pouvoir et pour atteindre ce but, tous les moyens étaient bons.

Tout cela est bien triste...

Laver le linge sale en public

Reportons-nous quelques semaines en arrière. Assommés par leur dé-faite, les socialistes s'écroulent dans leur coin du ring et on les comprend. Ça fait sacrement mal de perdre la deuxième ville du pays, une cité qu'ils détiennent depuis 1920. Pourtant, leur défaite n'était pas due au hasard, et comme les socialistes ont l'habitude de laver leur linge sale en public, on connaissait les causes du mal qui rongeaient la section locale du POSL.

La querelle des anciens et des jeunes avait empoisonné l'atmosphère

Un jeune échevin prometteur, mais impatient, faute d'obtenir le poste de bourgmestre au cours de la mi-temps, était parti en claquant la porte.

Le bourgmestre sortant, un homme intègre, socialiste de cœur, excellent gestionnaire, n'arrivait pas à décrocher et ratait ainsi sa sortie. Dommage, il aurait mérité mieux.

Dans la foulée, une jeune dame aux dents longues et qui n'a pas froid aux yeux, se profilait et s'imposait au sein du parti ; lors des discussions avec le PCS, elle fit preuve d'une grande fermeté alliée à une habileté tactique indéniable. Elle représente le socialisme pragmatique plutôt que celui du cœur. D'aucuns le regretteront.

Le programme socialiste était de profil bas et sans vision d'avenir

C'est comme si les hommes (et femmes) politiques étaient à cent mille lieues des soucis et rêves de la population. Ignorent-ils les difficultés de circulation dans la ville, ne voient-ils pas que la chaussée de la plupart des rues est en piteux état, est-il possible que Esch soit pratiquement la seule localité du pays sans piscine (au moins jusqu'en 2003), pourquoi ne voit-on jamais des patrouilles de police dans les rues, comment se fait-il que dans la rue de l'Alzette, « la rue piétonne la plus longue du pays » comme dit la pub, les faillites se suivent et les boutiques ferment plus vite qu'elles n'ouvrent, etc, etc,... ?

Le rôle du "tageblatt"

Quant au soutient du journal socialiste, disons qu'il fut mou, faisant preuve d'une discrète retenue....

5 000 francs = le prix d'un élu chrétien-social

Au lendemain des élections d'octobre, le triomphe du candidat tête de liste des chrétiens-sociaux Ady Jung était à la mesure de la gueule de bois des socialistes, une victoire à laquelle il n'y a pas à chipoter.

Mais qui est Ady Jung ? Pour l'électeur moyen, c'est à dire vous et moi, il se présente comme un bel homme, grand, le teint rose, l'œil vif, la barbichette coquine, légèrement bedonnant - cela inspire confiance - le sourire engageant et la main tendue franche. Ne dormant que quatre heures par nuit, il est omniprésent et fonctionne comme une pile Wonder.

Mais il y a l'autre face du person-nage, l'homme politique dénué de scrupules qui n'hésite pas à acheter de sa propre poche un de ses amis politiques qui risque de lui porter de l'ombre. Jung avoue froidement qu'il verse depuis quatre ans 5 000 francs par mois à un colistier, ce qui est de la corruption, un véritable délit.

C'est là que l'électeur ne marche plus. Ce genre de machination est peut-être courant dans une république bananière et se pratique aussi, occasionnellement, dans nos régions, mais ses auteurs sont généralement chassés et répudiés.

Avec la bénédiction des plus hautes instances du PCS Et c'est ici que l'affaire devient particulièrement grave. Personne au sein du PCS n'est choqué de l'attitude d'Ady Jung, sauf le président de la section locale du PCS qui démissionne. Pour le ministre de l'intérieur (PCS), il s'agit là d'une simple affaire entre personnes privées (il est vrai que le ministre est un spécialiste dans ce domaine à la suite de ses démélés avec le fisc à propos du Centre national de Tennis à Esch), la présidente du parti chrétien-social lui apporte sa haute bénédiction et comme rien ne se fait au PCS sans l'accord du président du gouvernement, il faut bien admettre que Jean-Claude Juncker approuve qu'un élu chretien-social puisse acheter la voix d'un autre élu de son parti. Des mœurs à la Kohl au PCS luxembourgeois ? Voilà ce qui arrive quand on a de mauvaises fréquentations...

Moi, en tout cas, je n'achèterais pas une voiture d'occasion à Jung. Et vous, (é)lecteur eschois ?

L'électeur tranchera

D'aucuns s'offusqueront de devoir retourner aux urnes pour résoudre une équation à laquelle les deux grands partis de la majorité sortante n'ont pu trouver une solution ; et d'invoquer le côut de ces nouvelles élections. N'exagerons pas, pour une fois que l'électeur est appelé à exercer ses droits démocratiques plutôt que de devoir accepter un compromis bancal concocté dans les coulisses des états-majors politiques, il faut qu'il exerce pleinement ce droit et montre aux politiciens qu'il ne faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages, comme disait l'autre.

Quant à savoir ce qui sortira des urnes, c'est une autre paire de manches. Tout ce que l'on peut dire à ce stade, c'est que l'empoignade sera rude.

Exprimons le souhait, sans trop y croire, que les couteaux (et injures, diffamations, calomnies, coups bas, etc.) soient déposés au vestiaire.

Paul Cerf
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