Jason Bourne

Bourne to be a nase

d'Lëtzebuerger Land vom 02.09.2016

Cette année, de retour de congés, vous pensiez une fois encore échapper à la Schueberfouer, son orgie de saucisses grillées, son cortège d’amateurs de saucisses grillées, et sa débauche d’attractions toujours plus bruyantes pour amateurs de sau-cisses grillées. Erreur. Le petit décalage en avance de la foire n’aura pas suffi. Vous êtes encore rentrés trop tôt de Bormes-lès-Mimosas ou de Knokke-le-Zoute (même s’il peut sembler incongru d’imaginer ne pas être resté assez longtemps au Zoute). Les plus naïfs, dont l’auteur de ces lignes, auront même commis la double erreur d’essayer de remplacer la traditionnelle sortie en famille au Glacis par une séance au cinéma, pour un film qui devait plaire aux ados et aux plus grands : Jason Bourne. Le titre du film ne permet pas très bien de se rendre compte que c’est la suite de la suite de la suite des aventures du héros amnésique mais les magnats d’Hollywood ont dû juger cela plus accrocheur que, par exemple, L’héritage du retour de la vengeance de la force de Jason Bourne. Pourtant, comme toute les suites, il fait encore « plus » que les précédents.

Pourquoi donc était-ce une erreur d’aller voir ce film qui, après tout, n’est pas plus mauvais que le dernier James Bond ? Parce que le moindre des seconds rôles qui va apparaître à l’écran pendant ces deux heures de course-poursuite va vous faire apparaître comme le dernier des nases. Oubliez tout sentiment de supériorité qui aurait pu naître en déchiffrant les tatouages ratés de vos voisins de piscine ou en déambulant dans les travées de la Schueber ; vous n’êtes qu’un nul vous aussi.

Depuis les révélations d’Edward Snowden, on savait déjà que si l’on a effacé un e-mail par mégarde, on pouvait toujours appeler la CIA pour leur demander gentiment s’ils n’en auraient pas gardé une copie qu’ils pourraient nous renvoyer. Dans Jason Bourne, le vrai héros n’est plus seulement l’espion baraqué au regard de braise, aux nerfs d’acier et aux abdos en tablettes de chocolat. Non. Le héros c’est aussi l’informaticien. Ha, pas celui de votre travail qui ne comprend jamais rien de ce que vous lui dites et met déjà dix minutes à décrocher son téléphone pour vous dire qu’il ne peut rien faire, mais qu’il a créé un ticket dans le système. Non, celui du film. Il retrouve en dix secondes le nom et le numéro de téléphone d’une suspecte en tapant juste « femme, entre trente et quarante ans, en voyage de Reykjavik à Athènes » sur un super moteur de recherche. Et dire que vous n’arrivez jamais à retrouver l’adresse et le nom de ce restaurant qui fait de si bonnes grillades pas loin de Remerschen !

Dans Jason Bourne, le héros c’est aussi la petite nouvelle de la Compagnie. Pas votre dernière collègue qui vient d’arriver dans votre entreprise en profitant sans doute de la clémence estivale de la DRH et ne sait toujours pas comment vous transférer un appel téléphonique (et, d’ailleurs, ne sait toujours pas comment vous vous appelez). Non, celle du film. Elle sort de Stanford et guide en temps réel un tueur, d’abord en voiture puis à pied, à travers les dédales des ruelles d’Athènes, en fonction des déplacements de la foule et de la police ainsi que du trajet supposé des deux personnes poursuivies ! Tout cela alors que le GPS de votre berline persiste à vous proposer des pistes cyclables comme raccourcis.

Dans le monde de Jason Bourne, tout est possible à ceux qui maîtrisent la technologie. Vous avez loupé la photo de votre fils en train de recevoir son diplôme ? Il suffit de dire « enhance » et elle va subitement devenir plus nette et être bien cadrée. D’ailleurs, même si vous voulez d’autres photos, il suffit de récupérer les images des caméras de vidéosurveillance de l’endroit en question. Ou les photos prises par ses amis puisque, si vous ne le saviez pas, un téléphone portable laissé à proximité d’un ordinateur permet d’accéder à son contenu. Plus de stress si vous avez oublié d’éteindre la lumière de la cave : en deux clics, vous pouvez couper l’électricité dans le bâtiment de votre choix, n’importe où sur la planète.

Justement, si la CIA pouvait laisser tranquille le quartier du Glacis la semaine prochaine, ce serait sympa, merci.

Cyril B.
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