Université

Tomorrow now

d'Lëtzebuerger Land du 29.05.2008

Worst case scenario  Les cursus offerts à l’Université du Luxembourg connaissent une popularité toujours croissante auprès des étudiants internationaux (comme ce fut le cas en 2007 : plus 23 pour cent à 4 100), le rectorat arrive à recruter des professeurs-chercheurs de haut niveau, la dotation budgétaire de l’État augmente et quelques entreprises privées se disent même prêtes à financer l’une ou l’autre chaire – mais malgré tout, le rectorat se verrait contraint de freiner le développement de la toute jeune université, faute de place. C’est effectivement le pire des scénarios que le recteur Rolf Tarrach a fait miroiter lors de la présentation du rapport annuel 2007 de l’Université du Luxembourg, au début du mois, envisageant même de restreindre les nouvelles inscriptions jusqu’à ce que les infrastructures de Belval soient achevées.

Au Kirchberg, à la Faculté des sciences, de la technologie et de la communication, Michael Scheuern a pour mission d’éviter qu’un tel scénario se produise. « Il est inimaginable que le recteur doive supprimer un programme de recherche parce qu’il manque des infrastructures nécessaires, » dit-il. Ingénieur de formation, ancien officier de la Bundeswehr et surtout rodé aux exigences du secteur de l’immobilier privé pour avoir été, durant douze ans, responsable des préfabriqués chez Félix Giorgetti, Michael Scheuern, est le « monsieur Belval » de l’Université. Il suit, au plus tard depuis la décision gouvernementale du 23 décembre 2005 d’implanter deux des trois facultés de cette toute jeune institution dans le sud du pays, les différents étapes du projet de construction pour le compte de l’Université et des centres de recherche publics, qui y trouveront également leur place. 

Mais en attendant 2012 ou 2013, l’horizon hypothétique d’un déménagement vers Belval, il gère aussi les urgences et les situations provisoires. Et fait donc construire des pavillons préfabriqués afin d’abriter les bureaux et autres espaces urgents pour que l’Université puisse continuer à fonctionner : une structure préfabriquée l’année dernière à Wal­ferdange, pour 70 per­sonnes, enseignants ou administratifs, une bibliothèque et un auditoire, et une autre de 1 200 mètres carrés pour 60 personnes au Kirchberg, qui vient d’être terminée en avril et qu’il occupe d’ailleurs lui-même. Au Lim­perts­berg, c’est surtout l’administration centrale du rectorat qui manque de place – mais le terrain y est rare pour construire d’éventuels pavillons. D’au­tres solutions, déménagements et regroupements d’activités, doivent être envisagées.

Le plus dur, pour Michael Scheuern, c’est de planifier rapidement et au plus près les besoins en infrastructures, notamment pour les programmes de recherche financés par des sources extérieures, comme le ministère de l’Éducation nationale ou le Fonds national de la recherche, et qui peuvent parfois arriver à brève échéance. Dans le meilleur des cas, il lui faut à peu près un an pour le dossier administratif, aval du conseil de gouvernance, autorisations de construire etc, et quelques mois seulement pour la construction à proprement parler. « Mais en neuf mois déjà, ces pavillons sont rentabilisés, » affirme-t-il, à mille euros le mètre carré, mobilier compris – alors que les locaux de la Luxembourg School of Finance, qui demandent du haut de gamme, coûtent grosso modo 600 000 euros en loyers par an – y’a pas photo. Néan­moins, en ce moment, constate Michael Scheuern, il devient de plus en plus difficile de convaincre les décideurs du bien-fondé de nouvelles infrastructures provisoires, vu l’imminence supposée du déménagement à Belval.

2012, c’est demain Les futurs utilisateurs de la Cité des sciences ne sont pas les seuls à attendre l’arrivée des pelleteuses à Belval avec impatience. À un an de la prochaine échéance législative, le monde politique s’impatiente, lui aussi, de voir l’Université se construire, surtout les élus du Sud. C’est pourquoi le ministre des Travaux publics, Claude Wiseler (CSV) tempère, dès qu’il est interpellé sur le sujet, avec un « jusqu’ici, tout va bien » de rigueur. 

Par exemple dans sa réponse d’avril à une question parlementaire sur le sujet du député CSV Marc Spautz, qui s’enquérait de l’avancée du dossier Cité des sciences. Claude Wiseler rappelle le planning : accord de principe de la Chambre des députés en décembre 2006, selon la nouvelle procédure en vigueur, lancement des premiers concours d’architecte pour les maisons thématiques, dont, en premier, celui pour la Maison du savoir avec le rectorat, qui fut remporté en mai 2007 par Baumschlager [&] Eberle avec Christian Bauer et associés. Le deuxième, pour la Maison des sciences humaines, a été attribué à Tatiana Fabeck [&] Abscis samedi dernier, celui pour la Maison du nombre est en cours, le quatrième, l’appel pour la Maison de l’ingénieur vient d’être publié… En tout, onze bâtiments différents seront construits par le Fonds Belval pour le compte de l’État sur la friche industrielle, pour un total de 565 millions d’euros, près de 500 000 mètres carrés pour, à moyen terme, selon le Fonds Belval, accueillir plus de 3 000 scientifiques et 7 000 étudiants – les dimensions sont énormes.

Mais jusqu’ici, il manquait du concret, une preuve que ça avance à Belval. Même si tout le monde, de Michael Scheuern au ministre des Travaux publics, jusqu’au président du Fonds Belval, Germain Dondelinger, se montre confiant et satisfait de la phase de planification et de l’avancée de ces travaux préparatoires, politiquement, la pression monte, on demande du concret. Le conseil de gouvernement doit adopter aujourd’hui même le premier projet de loi, celui pour la Maison du savoir, 140 millions d’euros, le plus cher des onze. 

« Les premières données dont nous disposions lors des premiers masterplan pour Belval étaient extrêmement floues, » affirme Maryse Schol­tes, la coordinatrice générale du ministère des Travaux publics. Voilà pourquoi le premier concours d’architecte comprenait encore un volet urbanistique. En outre, avec la nouvelle procédure législative, un projet de construction est soumis au parlement au stade d’avant-projet détaillé, donc beaucoup plus affiné qu’avant, lorsque les députés votaient un avant-projet sommaire – et étaient ensuite souvent amenés à voter des rallonges budgétaires. 

Claude Wiseler se veut prudent et rigoureux dans l’utilisation rationnelle des deniers publics, c’est une des principales caractéristiques de son mandat boulevard Roosevelt – « il ne faut pas oublier que c’est la première fois que nous construisons une université » rappelle-t-il. Alors que Robert Goebbels (LSAP) était taxé, par ses détracteurs notamment, comme étant le ministre des nouvelles routes et Erna Hennicot-Schoepges (CSV) celle des infrastructures culturelles, Claude Wiseler pourrait tout miser sur une image de bâtisseur d’écoles et de l’Université. Élu de la capitale, il n’a jamais été un défenseur de l’implantation à Belval, mais affiche maintenant sa solidarité gouvernementale et sa bonne gestion du dossier. Car pour que l’Université puisse accueillir des étudiants d’ici quatre ou cinq ans, il faut également que le contexte fonc­tionne, soit les liaisons par transports en commun – la nouvelle gare est en construction – soit celles par route – les députés discutent actuellement le projet de loi pour la deuxième phase de la liaison Miche­ville, 115 millions d’euros à engager, alors que les travaux de la première phase y battent leur plein.

Exigences minimales Plus la planification est détaillée, plus la rationalisation est poussée, plus rapide seront les travaux, affirme Maryse Scholtes. Pour la Maison du savoir, les estimations pour la durée du chantier sont de 36 mois. « D’après ma perception de l’ambiance politique dans ce dossier, je suppose que le projet de loi devrait encore pouvoir passer les instances législatives et être voté avant la fin de l’année, » espère le ministre des Travaux publics. Ce qui, avec un début des travaux en 2009, mènerait effectivement à 2012, tel qu’annoncé, pour une rentrée académique à Belval, car tous les autres bâtiments seront moins complexes et moins chers à construire (de 40 à 100 millions d’euros, selon l’envergure et la technicité du programme). Michael Scheuern résume les besoins minimaux pour que cela soit imaginable, pour que l’Université puisse fonctionner : il faudrait au moins deux bâtiments pour la recherche théorique, sciences humaines et ingénierie, la Maison du savoir bien sûr, qui abritera les auditoires et le rectorat, et au moins un bâtiment pour la recherche en laboratoire… La Maison des sciences naturelles et celle des matériaux sont dans leur phase de programmation, elles sont les plus complexes (cette recherche est encore jeune à l’Uni.lu, difficile à se projeter dans dix ans) et coûteuses, vu les besoins en équipements complexes. Une Bibliothèque universitaire de 12 000 mètres carrés sera parallèlement aménagée par Hermann [&] Valentiny dans la Möllerei.

De l’architecture L’Université du Luxembourg à Belval est aussi une question de symboles et de standing, donc pas question de faire du préfabriqué comme tant d’universités nouvelles à l’étranger. Les bâtiments doivent avoir une certaine qualité architecturale, pouvoir faire contrepoids aux hauts-fourneaux monumentaux qu’ils jouxtent ainsi qu’au prestige affiché du bâtiment que Claude Vasconi a construit pour Dexia-Bil. Que Christian Bauer, co-lauréat de la Maison du savoir, ait présidé le jury pour la Maison des sciences humaines prouve la volonté de préserver une certaine unité de tous les bâtiments de la Cité des sciences. 

« Pour nous, soulignait le ministre de l’Enseignement supérieur, François Biltgen (CSV) lors de la présentation du projet samedi, il est essentiel d’obtenir un ensemble harmonieux ici ». C’est pourquoi les contraintes étaient nombreuses : outre le programme, l’enveloppe budgétaire à respecter et la taille de la parcelle allouée, le gabarit maximal, des obligations d’écologie et de frais de fonctionnement, voire même de matériaux de la façade, devant être minérale étaient fixés d’office. Du projet lauréat, de Tatiana Fabeck [&] Abscis, que les architectes décrivent comme « micro-ville dans la ville », le jury a apprécié la simplicité, l’efficacité ainsi que la lisibilité immédiate des fonctions dans un bâtiment central avec quatre tours. 

« Ces concours, estime Michael Scheueren, sont très importants pour le projet. D’ailleurs j’ai remarqué que plus ils sont contraignants, plus les idées sont astucieuses. » Il a contribué à l’élaboration des programmes de construction, puis aux pré-jurys qui ont défini les huit bureaux participant à chacun des concours. Et promet que, après les dernières remarques qui seront faites ces jours-ci par rapport à l’APD et au texte du projet de loi, l’Université s’imposera la discipline de ne plus y changer ne serait-ce qu’un iota, car ce sont ces changements de programmes qui freinent et font souvent exploser les budgets des lycées et autres bâtiments publics.

 

josée hansen
© 2023 d’Lëtzebuerger Land