Recherche en toxicologie au LNS

Futuribles

d'Lëtzebuerger Land du 02.08.2001

Tous disent en essence la même chose : grands succès - stop - excellence de la recherche effectuée - stop - développement rapide - stop, mais attention ! : manque de moyens financiers, manque cruel de place, trop grande mobilité du personnel. Après une quinzaine d'années d'existence - ils furent fondés par la loi de 1987 - les trois centres de recherche publics (Santé, Gabriel Lippmann et Henri Tudor) ont atteint une maturité suffisante pour jouer désormais dans la cour des grands dans des domaines de recherche appliquée très spécialisés, mais ils constatent aussi leurs limites, qui sont essentiellement financières et logistiques. Dans leurs rapports annuels 2000, qui viennent d'être publiés, les CRP jouent la transparence, mais aussi la concurrence. 

Ainsi, le CRP Santé, attaché au Laboratoire national de santé, fort de 84 personnes disséminées sur plusieurs sites précaires, prévoit la construction de structures provisoires à côté du Centre hospitalier dans l'attente d'un nouveau bâtiment à construire au même endroit dans un proche avenir. Or, bien que le CRP Santé ne recueille que des évaluations très positives de ses recherches, il man-que de moyens publics pour pouvoir poursuivre son développement : en l'espace de quatre ans, les fonds gérés par le CRP Santé sont passés de 61,3 millions à 161,6 millions de francs cette année ; le poids relatif de la contribution du ministère de la Recherche n'atteint plus que 43 pour cent en 2001 (57 millions de francs). Par contre, le CRP Santé peut puiser dans les fonds croissants alloués par son deuxième ministère de tutelle, celui de la Santé (quatorze pour cent) et les moyens provenant nouvellement du ministère des Affaires étrangères, (32,4 millions de francs cette année) investis dans le cadre d'échanges internationaux et de projets d'aide au développement.

Au Limpertsberg, au Centre de recherche public Gabriel Lippmann, attaché au Centre universitaire, le son de cloche est semblable : pour la première fois en 2000, les comptes ne furent pas en équilibre, « ceci notamment à cause d'une contribution financière annuelle insuffisante de la part de l'État, qui pourtant se devrait de suivre [notre] développement extraordinaire » (en 2000, l'État versait 87,5 millions de francs au CRP Gabriel Lippmann). Si, l'année dernière, le CRP a pu créer provisoirement des surfaces supplémentaires avec la construction d'une structure du type containeur, cela ne peut jamais constituer qu'une solution provisoire ; trouver rapidement un espace de 5 000 à 6 000 mètres carrés devient impérieux pour tout développement. 

Le projet gouvernemental pour la Cité des sciences à Esch-Belval prévoit que les trois CRP implantent tout ou partie de leurs activités dans la future structure, ce qui permettrait aussi d'atteindre une masse critique de chercheurs et d'étudiants pour rentabiliser les efforts de recherche. Théoriquement, la place n'y manquerait pas, mais personne ne sait dans quels termes ce projet ambitieux entrera en phase de réalisation.

Le Centre de recherche public Henri Tudor, rattaché à l'Institut supérieur de technologie (IST), déménagerait à terme entièrement à Esch-Belval, avec sa structure-mère actuellement implantée au Kirchberg et son technoport Schlassgoart, centre de ressources pour start-ups, actuellement à Esch, et qui constitue sans aucun doute sa success story. Cette année, le CRP Henri Tudor veut même en doubler la surface, la capacité d'accueil de start-ups devrait pouvoir atteindre jusqu'à trente jeunes entreprises. Paradoxalement, c'est dans sa dynamique même que le bât blesse au CRP Henri Tudor, son directeur Claude Wehenkel le note dans le dernier Tudor News, regrettant la grande flexibilité des chercheurs : « Elle est considérable, presque trop forte. Quarante personnes en 2000, sur un total de 160, sont passées dans les entreprises ou sont devenues créateurs d'entreprises innovantes. » 

« Le transfert de technologie est un des principes de base du système des centres de recherche publics, » estime Pierre Decker, premier con-seiller de gouvernement responsable de la recherche au ministère. Et d'avouer qu'une rotation telle que l'a connue le CRP Henri Tudor est effectivement un peu trop rapide. Travaillant toujours dans une certaine précarité, de projet en projet, tributaires de l'allocation annu-elle de moyens budgétaires par l'État ainsi que de la demande des « partenaires », financiers privées ou institutionnels commanditaires d'une étude scientifique spécifique, les centres de recherches ont du mal à garder les chercheurs de CDD (contrat à durée déterminé) en CDD. Pierre Decker affirme néanmoins que peu à peu, les équipes se stabilisent, que de plus en plus souvent, des contrats à durée indéterminée peuvent être signés, mais qu'une fonctionnarisation des équipes de recherche n'est nullement prévue.

La grande nouveauté de l'année 2000 pour les chercheurs fut la création du Fonds national de la recherche (FNR), qui a lancé ses travaux au début de l'année dernière et vient de présenter son premier bilan, après 18 mois de fonctionnement. Ses appels à idées, largement suivis par les chercheurs luxembourgeois, ont mené à l'élaboration de quatre grands programmes pluriannuels : Secom (Sécurité du commerce électronique, 7,5 millions d'euros), Nano (matériaux innovateurs et nanotechnologies, 6,7 millions d'euros) ; Eau (gestion durable des ressources hydriques, cinq millions d'euros) et Santé-Biotech (biotechnologie et santé, six millions d'euros). Les quatre conventions avec l'État garantissent un financement sur cinq, voire six ans des recherches qui s'inscrivent dans ces programmes. Le Fonds national de recherche, de son côté, est maintenant en train de signer les conventions relatives avec les centres de recherches qui ont proposé des projets afférents ; 24 en tout. Cette méthode permet une planification des recherches entamées au moins à moyen terme.

Un des buts visés du FNR est la collaboration avec tous les chercheurs et la coordination de leurs efforts. Il est vrai que le développement de ces trois acteurs est pour le moins éclectique, qu'on a du mal à déceler le profil du CRP Gabriel Lippman par exemple, dont le spectre de recher-ches va de l'analyse des matériaux en passant par l'économie, les biotechnologies, l'informatique aux scien-ces humaines... « Au début, nous avons délibérément adopté une approche pragmatique dite bottom-up, explique Pierre Decker ; la demande du terrain, des entreprises déterminant les projets que l'État cofinance. » Avec le FNR, un deuxième axe vient prouver une démarche plus offensive de la part du gouvernement. Il est vrai que la présence de compétences en recherche de pointe peut être un argument pour un investisseur de s'implanter au Luxembourg plutôt qu'ailleurs en Europe ; la stratégie adoptée ici étant celle de niches de haute spécialisation.

La coalition PCS/PDL a décidé dans son accord politique d'août 1999 de porter le budget accordé à la recherche à 0,3 pour cent du PIB d'ici 2004. Entre 1999 et 2002, la hausse du budget Recherche était de 195 pour cent. Entre cette année et 2002 (projet de budget présenté lundi), il augmente de manière substantielle, de 17,8 millions d'euros  cette année à quelque 29 millions d'euros de francs prévus en 2002. Toutefois, il ne correspond pas encore à la demande de la ministre en charge, Erna Hennicot, qui avait demandé 40 millions d'euros pour l'année prochaine.

Pris en tenaille entre la demande des entreprises et partenaires institutionnels - une étude en nanotechnologies, une étude sur la participation des femmes aux élections de 1999, le développement de transmission sécurisée de données électroniques par Internet ou encore des recherches sur le cancer ou les virus du Sida peuvent dorénavant aussi être effectuées au Luxembourg - et les obligations internationales, notamment les fonds européens (le Luxembourg y versera 2,2 millions d'euros en 2002), l'État luxembourgeois ne peut faire autrement que de développer le secteur, c'est incontournable. Une politique universitaire cohérente serait effectivement inconcevable sans enseignants-chercheurs qui font avancer le savoir. Actuellement toutefois, la recherche fondamentale est quasi inexistante au Luxembourg, la recherche appliquée, plus ponctuelle et plus utilitariste, l'emportant largement.

Et les étudiants dans tout ça ? Chaque année, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche attribue entre 65 et 75 bourses pour troisièmes cycles, bourses qui ne furent introduites que l'année dernière lors de la réforme de la loi sur l'aide financière. En tout, cela équivaut à une enveloppe de 1,6 millions d'euros en 2002. Au ministère, Pierre Decker s'inquiète de l'évolution du choix des études : depuis trois ou quatre ans, de plus en plus d'étudiants choisiraient les sciences humaines et les sciences sociales au détriment de tous les métiers techniques, notamment ceux d'ingénieur ou d'architecte. Cette tendance indique aussi que les jeunes chercheurs luxembourgeois ne reviendront pas au Luxembourg, contrairement à ce que désire le ministère.

Tous les Centres de recherche publics sont online : www.tudor.lu; www.crp-sante.lu et www.crpgl.lu. Fonds national de la recherche : www.fnr.lu. Voir aussi notre dossier Éducation sur www.land.lu

 

josée hansen
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