Ce 8 décembre, Marcel M. comparaîtra devant le Tribunal correctionnel de Luxembourg pour des propos « incitant à la haine ou à la violence » suite à une plainte déposée par Antonia Ganeto, la fondatrice et porte-parole de Finkapé

Racisme et sexisme poursuivis

d'Lëtzebuerger Land vom 04.12.2020

On s’en souvient, la « grève des femmes », du 7 mars dernier, avait connu un succès retentissant. Parmi les co-organisatrices, le Réseau Afro-descendant luxembourgeois Finkapé s’était réjoui que 2 000 personnes aient arpenté les rues du Luxembourg pour soutenir les revendications de cette première grève féministe nationale.

Pour autant, à la fin de cette journée, plusieurs groupes réactionnaires ont tenté de salir l’impact de cet événement. En multipliant, contre certaines de ses promotrices, propos racistes et sexistes sur le réseau social Facebook. Élément déclencheur : le détournement d’une photo de la porte-parole de Finkapé, Antonia Ganeto, par le politicien ADR, Tom Weidig.

Sur le cliché en question, on voit l’activiste luxembourgeoise d’origine cap-verdienne s’exprimer avec un mégaphone. Sur ce porte-voix qu’elle tient en mains est apposé un sticker reprenant le titre provocateur d’une pièce de théâtre : « Luxembourg, malhonnête tas de merde ».

Précisons que le mégaphone comme le sticker désobligeant appartiennent au collectif Richtung22 ; un groupe artistique connu pour ses critiques provocatrices contre la société luxembourgeoise. En cette journée du 7 mars, ce collectif a donc prêté son porte-voix à quatre des organisatrices (dont Madame Ganeto) afin qu’elles s’adressent aux manifestantes et manifestants. En maniant l’appareil, aucune d’elles n’a remarqué le sticker – collé sur le côté – avant, pendant ou après leur intervention...

Dans l’ignorance crasse de ces « détails », Tom Weidig se rue sur son clavier après avoir visionné ladite photo sur son fil d’actualités. Objectif : amalgamer et réduire l’activiste afro-descendante au sticker litigieux. Afin de faire passer Antonia Ganeto comme autrice ou diffuseuse d’un message ordurier contre le Luxembourg. Intro de post Facebook signée Weidig : « Cette photo dit tout… Un sticker ‘grosse merde ’ hostile au Luxembourg. Un sticker Antifa et d’extrême-gauche susceptible de provoquer de la violence. »

Des propos calculés qui vont faire mouche auprès de la meute misogyne et raciste qui suit les publications du politicien de l’ADR. En cascade, une trentaine de commentaires haineux pleuvent sous le profil de Weidig, de Ganeto et sous bien d’autres. Parmi les éructations les plus violentes, celle d’un certain Marcel M. : « Mais alors, ces connasses, si ça leur plaît pas le Luxembourg : ouste ! On les envoie sur la lune ou carrément au Congo. Et là, ils pourront faire aux singes des nœuds dans leurs queues, surtout bien loin de nous » …

Autre exemple nauséabond concocté par un certain François R. : « Si l’endroit d’où provient ‘le café au lait’ est connu, alors qu’on l’y renvoie et rapidement. Je leur donnerai même un coup de main pour faire les bagages ». Ou encore : « Retour dans leur pays si le Luxembourg est de la merde ! Ou en prison et qu’ils y croupissent !!! Merde alors !! ». Un grognement assumé par Pascal O. et contre lequel s’insurge l’admirable citoyenne Lucie Wahl : « Tu es un raciste et tu tiens des propos racistes sur une plateforme numérique publique ! ». Ce qui n’empêche pas le dénommé Fabrizio S. d’asséner : « Si le Luxembourg est tellement merdique, alors : au revoir ! Personne ne retient ‘ces gens-là’ ».

Antonia Ganeto a déposé plainte en bonne et due forme. Jugée crédible, la plainte a été instruite par le parquet luxembourgeois en vue d’un procès. Celui-ci s’ouvrira le 8 décembre devant la neuvième chambre du Tribunal correctionnel. Dans le box des accusés : Marcel M. Mais pas, à ce stade, Tom Weidig. Pourtant à l’origine de la tempête virtuelle alimentée par les rages raciste et sexiste des M. & co. Pourtant créateur et premier producteur-diffuseur d’un amalgame mensonger et personnalisé cherchant à inciter à la haine raciale ...

« Nous espérons que ce procès servira d’exemple », déclare une membre du JIF – plateforme de diverses associations et organisations luxembourgeoises – qui assure Antonia Ganeto de sa totale solidarité. L’activiste ajoute : « Les féministes luxembourgeoises suivront ce procès au plus près ! Mais ne perdons pas de vue ceux qui ont tiré les ficelles en coulisses et favorisé ce shitstorm. Il s’agit de personnes issues de la droite extrême luxembourgeoise. Celles-ci maîtrisent le subtil équilibre, entre liberté d’opinion et incitation à la haine, leur permettant d’échapper aux poursuites. »

Quelque peu surprise par l’aboutissement de sa plainte, la porte-parole de Finkapé nous précise : « Pour les réparations, mon avocate demandera un euro symbolique. Ce n’est pas pour l’argent que j’ai déposé plainte, c’est pour l’exemple. Pour montrer aux Luxembourgeois afro-descendants qu’il ne faut rien laisser passer ! Il faut porter plainte dès que cela se justifie. Dans mon affaire, trois activistes féministes blanches ont aussi été photographiées en train d’utiliser ce mégaphone, avec le même titre polémique dessus, sans pour autant déchaîner les propos racistes de dizaines d’internautes. Ce qui confirme le caractère raciste et misogyne de leur démarche. Je suis ravie que cela n’ait pas échappé à la Justice de notre pays ».

Un procès pour l’exemplarité. Pour la défense du vivre-ensemble sur un pied d’égalité. Ne plus tolérer les propos haineux sur les réseaux sociaux. Car si le Grand-Duché n’a pas eu de colonies, ces « commentaires-là » montrent qu’il existe encore un héritage colonialiste, raciste et sexiste, à déconstruire. C’est le message envoyé au Tribunal comme à la société luxembourgeoise par Ganeto et ses camarades féministes. Dans quelle mesure celui-ci sera-t-il entendu ?

Olivier Mukuna
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