Libéralisation des marchés

Cegedel casse ses prix

d'Lëtzebuerger Land du 18.01.2001

Si le marché européen de l'électricité est en pleine effervescence, au Grand-Duché, la libéralisation n'a rien changé, pour l'heure, à la structure du marché. La Compagnie grand-ducale d'électricité reste, auprès des entreprises luxembourgeoises, un acteur incontournable. L'opérateur historique est aussi le partenaire obligé des petits clients dits captifs. Un accord tarifaire vient d'ailleurs d'être conclu avec le gouvernement luxembourgeois qui prévoit une petite baisse des tarifs et leur simplification. Jusqu'en 2004, au moins, Cegedel assurera une mission de service public. La Commission européenne précisera d'ailleurs fin janvier ou début février ses vues sur une possible accélération de la libéralisation du secteur de l'électricité. Initialement programmée pour 2006, l'ouverture complète du marché pourrait être avancée à 2004.  

Le paysage luxembourgeois de l'électricité ressemble encore à ce qu'il était avant l'ouverture à la concurrence le 19 février 1999. Pour combien de temps encore ? C'est toute la question.

La Cegedel domine toujours et encore le marché de l'approvisionnement des entreprises, talonnée par Sotel, filiale d'Arbed alimentant traditionnellement l'industrie sidérurgique et les chemins de fer, qui lui a soufflé récemment une poignée de clients. Rien de très grave pour le moment, d'autant que les clients infidèles sont tous des filiales du groupe sidérurgique (Galvalange, Ewald Giebel et  les usines de Trefilarbed à Bissen et Bettembourg).  L'Allemand RWE et le Belge Electrabel modèrent leurs visées au Luxembourg pour ne pas cannibaliser leur filiale et cliente Cegedel dont ils détiennent respectivement environ dix pour cent du capital pour le premier et huit pour cent pour le second. 

Electrabel, filiale du groupe privé Suez Lyonnaise des Eaux, approvisionne également le réseau de Sotel. « Ni RWE ni Electrabel n'ont intérêt à prendre directement les clients de la Cegedel » précise une source proche de l'entreprise qui a souhaité conserver l'anonymat.  

D'autres gros opérateurs en quête d'internationalisation n'ont pas les mêmes égards envers l'entreprise de Strassen. Le groupe public français EDF se montre ainsi particulièrement agressif dans sa course aux gros clients institutionnels avec des offres, qui sans vraiment casser les prix du marché, ont obligé l'opérateur luxembourgeois à faire de sérieux efforts de compétitivité. Sotel a dû, à son tour, aligner ses tarifs. 

L'Américain Enron (trader en électricité, mais non producteur) nourrit également, via son implantation à Francfort, des ambitions au Grand-Duché, sans grand succès d'ailleurs dans l'immédiat. EDF, non plus, n'a pas encore raflé de clients à Cegedel. Mais cette concurrence virtuelle de ces deux entreprises a permis d'infléchir les prix de l'électricité.     « On regarde ce que fait la concurrence et c'est désormais le marché qui dicte notre approche sur les tarifs, » admet Romain Becker, président du comité de direction de Cegedel.

La guerre des prix ne fait que commencer sur le marché luxembourgeois relativement restreint en taille. En 1999, la demande globale d'énergie électrique du pays a atteint 5 653 gigawatts/heure (GWh). Près de soixante cinq pour cent de cette énergie était distribuée par Cegedel, ce qui correspondait à 3 615 GWh. Au premier semestre 2000, les ventes d'électricité, en hausse de 4,4 pour cent, ont été de 1 932 GWh. Le chiffre d'affaires de l'entreprise de Strassen au 30 juin dernier s'affichait en baisse de près de quatre vingt dix millions à 5,485 milliards de francs, mais le résultat avant impôts des six premiers mois était quasiment stable à 1,079 milliard, prouvant que Cegedel, malgré la perte de son monopole sur certains clients, demeure encore une entreprise saine. Les résultats annuels seront en phase avec ceux du premier semestre, assure d'ailleurs la direction. 

Cegedel a renégocié l'année dernière avec RWE son contrat de fourniture à des conditions plus avantageuses que par le passé. Le premier contrat conclu entre les deux opérateurs, sur une base exclusive du côté de RWE, remonte à 1963 et a été reconduit en octobre 1990 pour dix ans. Jusqu'à la fin de l'année dernière, le producteur allemand livrait plus de quatre-vingt dix pour cent de son énergie à la Compagnie grand-ducale d'électricité qui a cherché depuis lors à diversifier son réseau d'approvisionnement. La société a pris notamment, aux côtés de l'exploitant Electrabel, une participation dans la centrale TGV, TWINerg qui devait initialement entrer en service au début de l'année et doit fournir, à long terme, près de la moitié des besoins en électricité du pays. La centrale ne sera opérationnelle qu'en octobre 2001. Cegedel ayant néanmoins signé un contrat d'approvisionnement avec Electrabel, le producteur belge lui fournit désormais, à des prix avantageux, une centaine de mégawatts, soit vingt à vingt cinq pour cent de sa « production » annuelle.     

Le résultat de cette diversification des sources d'approvisionnement a donc été payant. « Il est clair, indique M. Becker, que dans la renégociation avec RWE, il a fallut transmettre certaines revendications et nous avons pu trouver le juste prix». 

Reste qu'à moyen terme les marges de l'entreprise sur la vente d'électricité, encore très confortables aujourd'hui, vont logiquement se détériorer. L'opérateur luxembourgeois, qui tire encore l'essentiel de ses revenus de son « core business » ne se fait d'ailleurs pas trop d'illusions sur ce point et a engagé il y a plus de deux ans une mue structurelle en devenant « multi-utility » et en se focalisant notamment sur des services de téléphonie et d'Internet (UMTS, Powerline). « La croissance de la société se fera dans d'autres secteurs que dans l'électricité » reconnaît d'ailleurs son patron.      

Pour conserver son fonds de commerce et ses clients industriels désormais libres - du moins ceux qui consomment plus de vingt GWh - de prendre le fournisseur de leur choix, la compagnie luxembourgeoise a sérieusement revu à la baisse, à la fin de l'année dernière, ses tarifs qui se négocient désormais au coup par coup. Bien que la direction de Cegedel refuse de s'exprimer sur la question, invoquant le secret commercial, on estime que le premier train de la libéralisation intervenu le 19 février 1999 pour les (quatre) clients consommant plus de 100 GWh a fait chuter les prix de l'énergie électrique de vingt pour cent. 

Le deuxième wagon de l'ouverture du marché à la concurrence (clients utilisant plus de 20 GWh) au 1er janvier de cette année (une trentaine d'entreprises est concernée au Luxembourg) a débouché sur une baisse comprise entre quinze et vingt pour cent. 

« Des baisses tout à fait respectables d'autant que les prix facturés par le passé par la Cegedel dans le cadre de son monopole étaient déjà très compétitifs en comparaison internationale, notamment par rapport aux tarifs pratiqués en Allemagne », explique un acteur du secteur.

En Allemagne, où le marché est d'ores et déjà totalement libéralisé et où les restructurations sont particulièrement vives, les prix ont chuté entre trente et quarante pour cent. En France et en Belgique, qui s'en tiennent strictement aux prescriptions de la Commission  européenne prévoyant l'ouverture du marché de l'électricité à 33 pour cent en 2003, la baisse des prix a été nettement plus limitée.  

Sous l'effet des nouveaux contrats avec RWE et Electrabel, les baisses de prix profitent également à la clientèle domestique et aux petites et moyennes entreprises qui ne peuvent pas encore choisir librement leur fournisseur (clientèle dite non éligible). Les tarifs en basse tension, qui avaient déjà fléchi de quatre pour cent en 2000, ont franchi en janvier un nouveau cap à la baisse. 

« Les prix de l'électricité, toutes taxes comprises, facturés aux clients non éligibles, souligne Romain Becker, sont plus compétitifs que ceux du fournisseur privé allemand Yello. » Il faut dire que la TVA sur les fournitures d'électricité est de six pour cent au Luxembourg contre seize pour cent de l'autre côté de la Moselle. L'accord tarifaire signé le 10 janvier dernier pour deux ans (avec reconduction tacite annuelle) avec le ministre de l'Économie Henri Grethen prévoit une baisse des prix du courant basse tension de six à sept pour cent en moyenne. 

Adossée à deux partenaires forts, l'entreprise Cegedel n'a pas grand chose à craindre, dans l'immédiat, d'une révision par Bruxelles du calendrier de l'ouverture du marché de l'électricité en Europe, avec deux ans d'avance sur le délai initialement fixé. La menace pèse en revanche sur les petits réseaux communaux de distributeurs. La Commission va leur imposer de se transformer en véritables entreprises avec une comptabilité analytique et une véritable gestion de la clientèle. Un environnement nouveau dans lequel seul pourra espérer survivre, aux côtés de Cegedel, le réseau de la Ville de Luxembourg. 

 

Véronique Poujol
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