Discriminations à l'égard de femmes

Visite des lieux

d'Lëtzebuerger Land du 02.10.2008

C’est une première. Le grand-duché est passé au peigne fin par les spécialistes de l’Onu en matière de discriminations à l’égard des femmes. Une importante délégation du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (Cedaw), s’est rendu de mercredi à vendredi au pays pour auditionner des ministres, des représentants des organisations œuvrant dans le domaine de l’égalité – comme le Conseil national des femmes, le Cid femmes ou le Planning familial –, des députés, des magistrats et avocats. D’une part pour sonder le terrain et vérifier si les données versées tous les cinq ans par le ministère de l’Égalité des chances correspondent à la réalité, d’autre part pour informer les acteurs sur l’importance de la Conven­tion sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et du protocole facultatif. Celui-ci permet d’introduire une plainte auprès du Comité lorsqu’il estime que ses droits ancrés dans la convention ont été violés. Une information précieuse adressée aux avocats et aux magistrats.

Le Cedaw ne pouvait s’appuyer jusqu’ici que sur une seule version de la réalité dépeinte dans les rapports officiels du gouvernement. Même si la situation y est décrite avec une certaine bonne foi, il n’en reste pas moins édulcoré. Qu’en est-il d’un deuxième avis ? Le Luxembourg est le seul pays dans lequel les organisations non gouvernementales ne présentent pas de contre-expertise, de shadow report, pour donner leur version des faits. Après la visite officielle de cette semaine, les dames engagées à combattre les inégalités ne pourront plus ne pas savoir. 

Car même si certaines questions qui fâchent ne sont pas trop ouvertement abordées dans le rapport du ministère, les observations finales du Cedaw fournissent des pistes importantes. Il s’agit avant tout – et ce n’est pas une nouvelle – de faire changer les mentalités. À commencer par ceux qui nous gouvernent – qui feraient mieux de se mobiliser tous – , ensuite ceux qui nous jugent. Le Comité « note aussi avec préoccupation les initiatives limitées de sensibilisation et de formation, en particulier de la magistrature, aux questions d’égalité des sexes et aux dispositions de la Convention. »

La situation des femmes immigrées est particulièrement préoccupante et l’aveu de la ministre Marie-Josée Jacobs interpelle : « Nous n’arrivons pas à joindre ces femmes, nous ne savons même pas quelles sont leurs attentes et leurs besoins. C’est la raison pour laquelle nous espérons les atteindre indirectement par des mesures visant la garde des enfants comme les maisons relais ou l’introduction des chèques services. »

L’État est aussi invité à redoubler ses efforts pour mener à un rééquilibrage des responsabilités familiales et professionnelles entre hommes et femmes et casser les vieux schémas. Ensuite, il est sommé d’appliquer avec plus d’ardeur toutes les actions contre la violence envers les femmes, y compris la violence sexuelle, le viol, l’exploitation sexuelle et la pornographie. Car, même si le Luxembourg peut se prévaloir de l’efficacité de la loi contre la violence domestique, il doit aussi penser à prendre en charge les auteurs de la violence, souvent des récidivistes. En 2007, la police a éloigné en moyenne 18 agresseurs par mois tandis qu’en 2008, nous en sommes déjà à 22 expulsions par mois. 

Les femmes sont toujours sous-représentées dans le monde politique et aux postes à responsabilités dans le secteur public. C’est pareil dans les entreprises privées. En plus, le Cedaw est préoccupé par le fait qu’elles se retrouvent surtout dans les emplois à temps partiel qui sont mal rémunérés et fustige l’« absence de stratégie gouvernementale » pour faire appliquer la loi sur le principe d’un salaire égal. L’écart de revenu se situe toujours entre quatorze et seize pour cent. Et enfin, il « tient à appeler l’attention de l’État partie sur la situation défavorisée des femmes qui interrompent leur carrière pour des raisons familiales et les conséquences qui en découlent pour leurs pensions de retraite et de vieillesse. » C’est que l’attention de l’État est ailleurs. 

Certains appels et injonctions ont été répétés plusieurs fois au fil des dernières décennies. D’une part, elles peuvent agacer le gouvernement, mais de l’autre, elles offrent des opportunités et un soutien importants dans le choix de leurs politiques. Car l’enthousiasme pour certaines mesures à l’égard de l’égalité des femmes et des hommes est limité et les critiques vis-à-vis de ces actions sont de plus en plus virulentes. Les hostilités sont ouvertes et feront sans doute partie intégrante de la campagne électorale – surtout du côté du parti ADR qui s’est incorporé les fers de lance de l’association des hommes du Luxembourg qui se sentent persécutés par la « dictature féministe ». « Je suis la première à souffrir des commentaires qui se font, répond la ministre CSV de l’Égalité, Marie-Josée Jacobs, c’est la raison pour laquelle il est important d’avoir le Cedaw pour démontrer qu’il y a des retards dans la matière. Les avancées sont là, mais il y a toujours un risque de retomber en arrière. » 

La solution, c’est de baser son argumentaire sur des données fiables, des statistiques complètes sur les phénomènes sociaux et les discriminations. D’ailleurs, c’est une autre faille, reprochée régulièrement au gouvernement luxembourgeois.

anne heniqui
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