Publicité sexiste

Tangaga

d'Lëtzebuerger Land vom 18.07.2002

Vous vous souvenez de cette jeune femme en noir et blanc, nue sur une pierre dans l'océan avec pour unique parure un petit bijou ? C'était aux alentours de Noël, dans les abribus de la Ville où les gens emmitouflés sautillaient d'un pied à l'autre, presque indifférents devant cette affiche donnant plutôt la chair de poule que l'envie de se mettre dans la peau de la nymphette. Mauvaise saison pour le grand coup publicitaire.

Ce n'était pas pareil cette saison-ci, avec la fameuse pub où des fessiers en l'air vous bondissaient à la figure d'un coup de pédale. Un coup dans l'estomac pour les uns, un petit clin d'oeil plutôt réussi pour les autres. Le centre d'information et de documentation des femmes Thers Bodé, le Cid-femmes, a réagi sur le champ en protestant ouvertement contre cette publicité sexiste, en s'adressant au Conseil national des programmes - non compétent car se limitant aux les médias radio et télé - et à la Commission luxembourgeoise de l'éthique en publicité (Clep). Celle-ci n'a pu que hausser les épaules, cette pub vendait de la lingerie féminine et était donc en rapport direct avec le corps, et plus exactement avec le derrière des femmes. 

«C'est juste, affirme Christa Brömmel, c'est logique que les sous-vêtements soient montrés sur un corps. Mais la manière dont la pub a été conçue - l'angle, la prise de vue photographique - n'est pas anodine. C'est la même technique que la prise de vue des femmes sur les cartes postales de charme à trois sous et donc nettement sexiste et dénigrante pour la femme.» 

Les réactions ont été très différentes, féministes coincées pour les uns, défenseuses de la dignité humaine pour les autres, le discours s'est peu à peu décalé de la publicité, de l'objet vers la personne qui critique elle-même. «Je suis certaine que beaucoup plus de femmes se sont senties offensées que celles qui ont manifesté leur mécontentement. Mais c'est le fait d'être en ligne de mire et d'être qualifiée d'hystérique qui les décourage. Le terme 'féministe' a une connotation négative, personne ne veut se faire traiter ainsi. C'est comme ça que les femmes jouent le jeu, bon gré mal gré. Et les mentalités ne sont pas prêtes de changer, au contraire. Cette discussion aura au moins eu le mérite de sensibiliser, de faire réfléchir les gens qui jusque-là, ne s'étaient pas vraiment sentis concernés.»

Robert Philippart, lui, s'est senti concerné. Le directeur de l'Office national du tourisme ne s'est pas fait prier et a de suite adressé une lettre à l'entreprise bruxelloise d'affichage des abribus JC Decaux. Une missive plutôt pimentée : «Suite à la publicité 'Sloggy' dénigrante tant pour les femmes que pour les passants, que vous exposez cette semaine dans les abribus de Luxembourg, j'ai l'honneur de vous prier de ne plus nous adresser aucune offre ni pour le Grand-Duché ni pour l'étranger. Nos produits sont incompatibles avec un affichage vulgaire et bas de gamme. Nous ne travaillons pas avec des sociétés dont la dignité de l'être humain passe au second plan au profit de toute recette économique.»

Serait-il le dernier des mohicans, Don Quichotte, héros national, ultra conservateur pathétique ? Au moins, il a le mérite d'aller jusqu'au bout et d'être conséquent dans ses prises de positions. 

Ces discussions montrent aussi que, quoi qu'en disent les professionnels de la publicité, les stéréotypes et les clichés ne sont pas encore intégrés. Même s'il s'agit d'une discussion qui frôle la schizophrénie : d'un côté, les Luxembourgeois ne veulent pas de ça dans leurs abribus ni sur d'autres supports (on se souviendra du 'Plakert' pour l'année européenne de la Culture), de l'autre, ils feuillettent des tonnes de magazines étrangers avec des publicités beaucoup plus offensantes et regardent des programmes de télévision et des films bien plus dénigrants, sans broncher. Serait-ce un des effets de la fameuse mondialisation qui rend les gens impuissants devant le rouleau compresseur des messages machistes des gros annonceurs présents aux quatre coins de la planète ?

Mais tant que l'homme sera ce qu'il est, il réagira toujours à l'impact visuel des corps nus, des bébés et des animaux. Ce sont les ingrédients de base pour garantir l'attirance d'une publicité. «C'est simple, mais c'est le contraire de la créativité, rétorque Will Kreutz, l'un des dirigeants de l'agence de publicité Kreutz [&] Friends. Même si je suis contre cet esprit de clocher qui sort des discussions autour de la pub Sloggi, je trouve l'affiche affreusement pauvre. C'est faire du tape à l'oeil sans une once d'originalité. Même chose pour les publicités en général, c'est affligeant de voir à quel niveau se trouve la communication au Grand-Duché, alors qu'il y a des gens créatifs, qu'il y a des budgets et qu'il y a un public. Les Luxembourgeois ne sont pas aussi ploucs que leur réputation. Ils ont un sens de l'humour, ça se voit à l'afflux de personnes intéressées par les 'Nuits de la publicité', où des spots hilarants sont montrés qui viennent de Scandinavie, de l'Angleterre, de l'Australie etc. Les publicitaires ne sont pas du tout forcés d'abuser de clichés banals pour faire vendre la marchandise.»

Les annonceurs aiment quand même répéter à longueur de journée qu'ils ne font que suivre les tendances. «Cette affirmation est d'une hypocrisie totale, affirme Will Kreutz, ce sont eux qui lancent la dynamique, qu'ils en assument la responsabilité !» 

Parce que la tendance à l'étranger est bien plus inquiétante encore. En France par exemple, les agences de publicité ont découvert le 'porno chic' dans les années 90 pour vendre des produits de luxe. Des mannequins élancées, visqueuses qui se dandinent quasi à poil en talons aiguilles, figées sur du papier glacé… tout est bien sûr dans le regard fardé. Le public, une fois rassasié, ne se pâme plus vraiment devant les subtilités de ces photos sur-esthétiques, aseptisées se réclamant même être de l'art. 

Il faut donc monter d'un cran et on laisse tomber le 'chic' pour se concentrer sur le porno. À genoux, les filles ! Un peu plus abruti, le regard ! La bouche plus grande ouverte ! Mais le public ingrat se lassera vite de ces incitants navrants. Apparaissent alors les yeux au beurre noir, les jouvencelles enfermées, ligotées. On a même vu apparaître sur les murs de France, une charmante bourgeoise, le pot de crème de lait à la main au slogan subtil : «je la lie, je la fouette et parfois elle passe à la casserole» Là au moins, l'épouse docile n'avait pas eu à se découvrir d'un fil tant le message était peu équivoque. 

L'image pauvre de la femme soit nymphomane, soit soumise ou les deux, qui est rendue aux jeunes fait craindre pour l'avenir - ce souci est partagé aussi bien par Christa Brömmel que par Will Kreutz. Mais paradoxalement, les publicités sulfureuses pullulent sur les pages de la presse féminine. Ce qui ne fait pas fléchir la vente de ces magazines pour autant. D'ailleurs, la cible de la publicité Sloggi est bien féminine, même si la pose serait plutôt censée plaire aux hommes. On en arrive même à se demander si les femmes ne sont pas des victimes consentantes, que si elles sont assez gourdes pour acheter ces produits et ces illustrés dans lesquels elles sont insultées à tout bout de page, soumises au diktat de la minceur, de la forme et de la jeunesse. On aurait tendance à être découragé, somme toute, c'est bien leur propre choix, elles sont majeures et vaccinées, qu'elles aillent «bêler ailleurs». 

Pendant ce temps-là, l'armée pourra toujours aller faire sa pub pour les petites de nos lycées, qui adorent se maquiller, même en vert et noir. À la prochaine étape on pourra découvrir les effets bénéfiques des cures fango offertes en même temps que les exercices de gymnastique en look barbouillé ou les thalassothérapies en croisière sur le nouveau bateau qu'il faudra se partager avec les Belges - c'est ça l'humour boutiquier.

D'autres femmes et hommes ne souhaitent pas baisser les bras et soutiennent la proposition d'assimiler les discriminations fondées sur le sexe à celles fondées sur la race ou la religion. Ils ne se contentent pas non plus de l'argument simpliste que les hommes à poil sont aussi en train de passer au statut d'objet à faire vendre du café soluble. Qu'ils ont aussi leurs magazines qui leur recommandent de faire de l'exercice pour devenir de vraies machines à faire tomber les filles et que donc tout le monde doit passer par ce culte de la forme, pas seulement les femmes. 

Et pour en revenir à la pub Sloggi - entre nous les filles - qui peut bien avoir l'idée ridicule  de faire du vélo en string ? Cela doit être aussi confortable que de se mettre des petits cailloux pointus dans ses baskets de jogging. Il y en a peut-être qui apprécient….

 

 

 

 

anne heniqui
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