Édito

Schulden

d'Lëtzebuerger Land du 12.07.2024

Lundi sur rtl.lu, Luc Frieden (CSV) s’est dit « content » que l’extrême droite n’ait pas gagné aux élections législatives françaises la veille, dans un scrutin qui lui avait été promis par les sondages. Le Premier ministre explique la popularité du Rassemblement national, mouvement politique raciste qui n’a jamais accédé au pouvoir, par la « peur que les gens ont de toute une série de problèmes » que les partis en responsabilité « n’ont pas su résoudre correctement » : « Dat ass Migratiounen. Dat ass op verschidde Plaze vläicht d’Kriminalitéit ». Comme le Rassemblement national, le Premier ministre rapproche l’immigration et l’insécurité. Le lien de causalité n’est pas formulé, mais la proximité syntaxique légitimise la cause politique du parti d’extrême droite et l’enracine dans le jeu démocratique. Comme l’ont fait Emmanuel Macron et ses différents gouvernements depuis 2017.

Parallèlement, comme le président français et ses disciples, Luc Frieden continue de placer le Rassemblement national et La France insoumise sur le même niveau d’infréquentabilité : « Et wëll jo kee mam RN schaffen, mä déi meescht wëllen och net mat der France insoumise schaffen, déi jo Member ass vum Nouveau Front populaire ». Le Premier ministre exclut de facto la gauche et réduit considérablement, et de manière insidieuse, l’espace politique dans lequel le débat démocratique peut s’exercer aux « Leit vun der Mëtt, déi Leit, déi Wäerter awer deelen, déi wichteg sinn an net d’Extremer ».

Comme l’écrit Franz Fayot, député et ancien ministre socialiste, sur X mardi, cette mise hors-jeu de la gauche traduit la crainte chez Luc Frieden et Xavier Bettel que les revendications du Nouveau Front populaire remettent en question la doxa néolibérale sur laquelle le CSV et le DP basent leur plan pour le Luxembourg. Est visé ici le diktat du discours austéritaire, cette théorie de l’ordo-libéralisme allemand transformant la vie politique et sociale en une entreprise. Tout le monde est libre de croire ce qu’il a envie de croire, que cela soit de bonne foi ou parce que cela sert ses intérêts. Mais répéter par médias interposés, que le champ des plausibles, la marge de manœuvre politique légitime, se réduit au centre et à la droite est dangereux. Surtout que ce procédé ne se limite pas à la seule tête du gouvernement luxembourgeois. Quand François Mitterrand a été élu en 1981, la classe politique européenne ne s’en est guère émue. À l’exception du président de la Commission européenne, Gaston Thorn (DP), qui a fustigé après le scrutin que le socialiste ait hérité des voix du Parti communiste. Or, les 110 propositions qui constituaient le programme de Mitterrand affichaient une tout autre radicalité que le programme du Nouveau Front populaire. Étaient promis un nouvel ordre économique mondial, une relance de la production nationale (avec un vaste programme de grands travaux publics), une nouvelle croissance (via notamment les nationalisations de grands groupes, y compris bancaires), etc. L’alliance des partis de la gauche française propose aujourd’hui une société plus démocratique (sixième république), plus verte (plan d’investissement), plus juste (taxer les milliardaires et les grandes entreprises) et plus inclusive. Mais pas réellement de Grand Soir.

Forcément, cela coûterait un peu d’argent et passerait par une (nouvelle) réforme du Pacte de stabilité et de croissance européen, carcan budgétaire du Vieux continent qui est censé prévenir contre un endettement excessif des États membres, voire de l’émission monétaire (possiblement par l’annulation partielle de dette souveraine). Ce qui effraie les néolibéraux évidemment tant ces initiatives menace(raie)nt, à leurs yeux, la stabilité de la monnaie et la paix sur les marchés financiers. Ces débats entre partisans de la dépense et de l’austérité convoquent le souvenir de l’Allemagne d’Heinrich Brüning. Le chancelier, allié aux partis du centre, avait mené entre 1930 et 1932, une politique déflationniste, pour restaurer le pouvoir d’achat de la monnaie, contrairement aux préconisations de John M. Keynes qui, de l’autre côté de l’Atlantique, a inspiré le New Deal de Franklin D. Roosevelt. L’on sait que la rigueur (et les indemnités de guerre) a favorisé l’arrivée au pouvoir de l’un des pires régimes totalitaires de l’Histoire. Pas question de caricaturer. Juste rappeler que, dans la nécessité, l’on trouve des solutions coûte que coûte. Et qu’en l’espèce, déclasser tout un courant de pensée, sert peut être à court terme, mais certainement pas à un horizon plus lointain.

Pierre Sorlut
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