Plan de relance de l'économie

Accélérateur de particules

d'Lëtzebuerger Land du 18.12.2008

En un jour, la donne a complètement changé. Avant que le ministre du Tré­sor et du Budget, Luc Frieden (CSV), n’annonce, mercredi dernier, 10 décembre, qu’il allait très vite débloquer dix millions d’euros supplémentaires pour le Fonds pour les monuments historiques, le Service des sites et monuments nationaux partait de l’hypothèse que l’enveloppe financière qui allait lui être allouée pour 2009 se situerait aux alentours de dix millions d’euros, comme chaque année. Il avait des travaux en cours de l’ordre de 18,7 millions d’euros pour 2009, ce qui, avec les avoirs restants d’autres années, lui aurait laissé une enveloppe de 624 000 euros en fin d’année, selon les calculs de la Cour des comptes. 

Une liste des travaux de restauration et de mise en valeur du patrimoine bâti avait été dressée en amont de la procédure budgétaire. Et puis soudain, du jour au lendemain, sa dotation budgétaire a doublé, par un coup de baguette magique. Alors, au Grund, on doit revoir ses ambitions à la hausse, la secrétaire d’État à la Culture, Octavie Modert (CSV), a demandé qu’une liste actualisée des projets qui pourraient être réalisés en priorité avec cet argent supplémentaire lui soit remise dans les prochains jours.

« Nous n’allons pas forcément attaquer plus de chantiers, résume le di­recteur du SSMN, Patrick Sanavia. Mais nous allons pouvoir les réaliser plus vite ou plus en profondeur. » Ainsi, les réfections de châteaux comme Vianden ou Brandenbourg, pourront peut-être se faire plus complètement, d’autres projets, comme la restauration des ardoisières de Mar­telange, prévus à moyen terme, être attaqués à plus brève échéance. Car pour l’administration, plus de moyens financiers ne correspondent pas forcément à plus de capacité de gestion des dossiers ou d’encadrement des chantiers. 

C’est donc un heureux hasard que la réforme du Fonds, prévue dans l’article 38 de la loi budgétaire pour 2009, que les députés viennent d’adopter mardi, dispose que désormais, l’argent disponible n’est plus strictement réservé aux projets du SSMN, mais peut tout aussi bien être alloué à un autre propriétaire public – par exemple une commune – ou privé d’un patrimoine culturel reconnu comme tel et qu’il envisage de restaurer. Ce budget supplémentaire risque donc de trouver assez vite des preneurs, enchantés de pouvoir en plus « soutenir l’économie nationale » en restaurant leurs biens, selon les vœux du gouvernement. 

Car voilà bien l’ambition affichée de Luc Frieden au parlement, en annonçant ces mises à disposition immédiates de moyens budgétaires pour le Fonds pour les monuments historiques comme pour le Fonds d’entretien et de rénovation, créé par la loi budgétaire 2007 seulement, et qui reçoit lui aussi dix millions d’euros de plus que ses 55 millions annuels : soutenir les PME là où les commanditaires privés les auraient lâchées.

« Nous nous réjouissons de cette volonté politique d’investir et d’accélérer les procédures ! » Romain Schmit, le directeur de la Fédération des artisans, affiche un enthousiasme pour les mesures annoncées par le gouvernement qu’on ne lui connaît guère. Les patrons des différents corps de métiers regroupés dans la Fédération des artisans, mais aussi dans l’Union des entreprises (UEL), constatant des carnets de commandes de moins en moins pleins, étaient demandeurs d’une aide immédiate de la part de l’État. Lors d’une entrevue entre le gouvernement et l’UEL, le 5 novembre, cette dernière avait préconisé un certain nombre de mesures de soutien aux entreprises, dont : « Dans une optique contra-cyclique et compte tenu du contexte économique actuel, envisager des investissements additionnels, dans des domaines particulièrement intensifs en emplois et qui peuvent avoir rapidement des retombées économiques concrètes ».

L’argent débloqué immédiatement pour les deux fonds spéciaux de l’État doit justement être investi en de petit projets de réparations et d’entretien, souvent modestes mais nécessaires, avec des budgets allant de quelques milliers d’euros à plusieurs millions – mais toujours sous le seuil des 7,5 millions au-delà duquel une loi devient nécessaire, procédure trop longue dans un contexte d’urgence. Là où des investisseurs privés sceptiques attendent peut-être avant de lancer leurs projets, ou qu’ils se voient refuser les crédits nécessaires, l’État affiche une attitude volontariste et décidée. Le ministre des Travaux publics, Claude Wiseler (CSV), est en train de dresser, en collaboration avec l’Administration des Bâtiments publics et le Fonds d’entretien et de rénovation, la liste des projets qui seront lancés prioritairement parmi toutes les demandes de rénovation émanant des administrations de l’État. Ils peuvent, pour cela, s’appuyer sur la programmation pluriannuelle fixée par le comité du nouveau Fonds. 

Au-delà de ces premiers travaux, le gouvernement veut avancer autant que faire se peut les grands chantiers de voirie et d’infrastructures pour lesquels le parlement a déjà donné son accord de principe dans leurs planifications, afin que les constructions puissent commencer au plus vite. « Nous allons, je dirais, pouvoir lancer un grand marché public tous les trois mois dès le début de l’année », affirme le ministre. Et puis, à côté des routes, des échangeurs et d’autres grands projets de voirie, financés par le Fonds des routes (investissements prévus en 2009 : 135 millions d’euros), ainsi que des infrastructures ferroviaires financées par le Fonds du rail (investissements prévus en 2009 : 390 mil­lions d’euros), il y a aussi les grands chantiers à Belval. La semaine dernière, les députés ont donné leur accord pour la construction de la Maison du savoir et le Bâtiment administratif ; 193 millions d’euros engagés pour les deux. À côté du Lycée Belval et de la pépinière d’entreprises, ou encore de la liaison Micheville, trois chantiers déjà en cours, suivront peu à peu les autres maisons thématiques de la Cité des sciences. Ces chantiers étant effectués par le Fonds Belval, assez flexible et autonome, ils pourraient avancer assez vite. En tout, le gouvernement veut y investir un milliard d’euros à terme. « Les dépenses d’investissement en 2009 connaîtront l’un des volumes les plus élevés jamais envisagés au Luxem­bourg. Il est notamment prévu que les fonds d’investissement débourseront quelque 3,5 milliards d’euros dans l’intérêt de l’amélioration du parc infrastructurel de notre pays, » s’enthousiasmait le rapporteur du projet de loi sur le budget, Norbert Haupert (CSV), dans son rapport. 

En parallèle, le gouvernement et le parlement vont soumettre toutes les procédures actuellement en vigueur dans le domaine des projets de cons­truction, à une analyse approfondie. « Simplifier ! Simplifier ! Simplifier ! » est le mot d’ordre des entrepreneurs, ou, pour le dire avec Romain Schmit : « Nous ne pouvons pas laisser l’estimation de la valeur d’un verger bloquer un chantier pendant des années ». D’où les revendications du DP d’attribuer le dossier de la simplification administrative à un membre du gouvernement, qui serait alors déchargé de ses autres portefeuilles. 

Mais la revendication du secteur privé n’est pas claire : d’une part, il demande la plus grande liberté d’action et le moins de règles possible, mais de l’au­tre appelle l’intervention régulatrice, surtout financière, de l’État. « Il s’agit pour nous avant tout de sauvegarder l’emploi dans le secteur, » souligne Claude Wiseler. Les ministères des Travaux publics, des Transports et de l’Environnement (Lucien Lux, LSAP) ainsi que celui de l’Aménagement du territoire (Jean-Marie Hals­dorf, CSV) ont ainsi convenu d’essayer de débloquer des demandes qui seraient en cours quelque part dans leurs administrations – analyse de l’impact écologique d’une construction, demande de modification d’un PAG, etc. « Il s’agit de réagir au mieux et au plus vite à une situation extraordinaire, » estime Claude Wiseler. La nouvelle commission parlementaire spéciale Crise économique et financière, qui doit se réunir une première fois aujourd’hui vendredi, pourrait également être chargée d’une partie de ces travaux de simplification administrative, avait laissé entendre Luc Frieden la semaine dernière à la Chambre des députés.

En outre, les communes ont reçu, cette semaine, une nouvelle circulaire de leur ministre de tutelle, Jean-Marie Halsdorf, qui les encourage à « garder leur sang-froid » et à « s’associer à la démarche du gouvernement en maintenant la politique d’investissement à un haut niveau, voire même en accélérant certains investissements prévus à leurs programmes ». Il invite les communes à mobiliser les plus-values que l’exercice budgétaire 2008 générerait par rapport aux prévisions, voire les moyens de leurs éventuels fonds de réserve afin d’investir et donc soutenir le commerce et l’artisanat locaux. Or, la lecture des rapports des conseils communaux dans les quotidiens démontre vite que toutes les communes ne sont pas aussi riches que celles qui encerclent la capitale, toutes n’auront donc pas forcément des moyens disponibles, loin de là.

En outre, si cette crise a bien prouvé une chose, dans tous les domaines, c’est que, contrairement aux croyances des deux dernières décennies, le secteur privé n’est pas forcément supérieur en efficacité et en éthique au secteur public. Abolir tous les contrôles administratifs et politiques dans le seul but d’accélérer les chantiers pour que les investisseurs privés n’aient pas de rupture de commande serait sans doute la mauvaise solution au problème. D’autant plus que les questions administratives – qui ne sont en fait que la mise en application de décisions politiques prises par une assemblée parlementaire souveraine –, ne sont pas les seuls blocages des grands projets d’infrastructures. D’au­tres raisons, peu évoquées dans le débat public actuel, sont les questions de propriété des terrains choisis pour la construction d’une route par exemple, ainsi que les procès, de plus en plus nombreux, de concurrents dans une procédure d’attribution de marché public dans laquelle ils s’estiment lésés car écartés à tort, à leurs yeux. 

Contrairement à ses prédécesseurs, comme Robert Goebbels (LSAP) ou Erna Hennicot-Schoepges (CSV), tous les deux impatients et soucieux de la rapidité d’exécution d’un chantier, Claude Wiseler serait plutôt le ministre des Travaux publics de la rigueur. « Le grand défi pour nous dans les prochains mois, dit-il, ce sera d’atteindre cette vitesse voulue. » En cause : la limite des moyens, notamment humains, de ses services, bien assez occupés déjà. Le ministère devra ainsi avoir recours aux services d’entreprises privées pour élaborer les bordereaux et encadrer les procédures dans les rè­gles. Car flexibilité et rapidité ne doit pas être synonyme de laisser-aller. Lors de la dernière campagne électorale déjà, la majorité des partis politiques avaient découvert ce qui leur semblait alors être la panacée pour toutes les lenteurs de l’État maître d’ouvrage : les exécutions en PPP, partenariat public-privé. Faire intervenir de grandes entreprises générales associées à des financiers afin de faire construire des infrastructures publiques, que l’État prendrait alors en location-leasing, devait être la réponse aux délais jugés trop longs. Lancé en début de législature, le premier projet à être réalisé en PPP, le Neie Lycée à Mersch, est enfin, quatre ans plus tard, sur la ligne d’arrivée de la procédure administrative, les négociations avec un dernier consortium en lice sur les modalités qu’il propose. Le ministre des Travaux publics espère pouvoir signer le contrat en tout début d’année 2009. À voir si par la suite, les travaux s’accéléreront. Et si d’autres projets de ce type suivront. Le terme, en tout cas, a disparu des discours politiques. 

josée hansen
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