Chambre des députés et Traité de Lisbonne

Huit semaines

d'Lëtzebuerger Land du 05.11.2009

« Pendant soixante ans, la politique européenne du Luxembourg a été faite par les ministres, quelques fonctionnaires et des diplomates à Bruxelles, » constate Ben Fayot (LSAP). Donc forcément, le changement d’approche impliqué par l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne constitue une petite révolution qui compte son nombre de réfractaires. Si, depuis trois ans déjà, la Com­mission européenne transmet directement les documents européens aux parlements nationaux, le traité de Lisbonne leur confère pour la première fois un véritable pouvoir de codécision. Ainsi, il leur reviendra de contrôler les principes de subsidiarité et de proportionnalité des propositions législatives émanant du Conseil et du Parlement européens. Mais leur temps pour ce faire est très limité : les parlements des 27 pays membres disposent de huit semaines pour transmettre un avis motivé aux institutions européennes, avis dans lequel ils exposent les raisons pour lesquelles un texte ne leur semble pas conforme à ces principes. Si un tel avis représente au moins un tiers des voix attribuées aux parlements nationaux (deux voix par pays), le texte doit être réexaminé.

Voilà donc un moyen supplémentaire d’agir pour les pouvoirs politiques nationaux. Or, cette implication plus active du Parlement n’est pas forcément vue avec un ent­housiasme excessif au Luxembourg. Deux principales forces s’y opposent : la première émane de la Chambre des députés elle-même, la deuxième réticence est celle du gouvernement. Depuis la dernière législature déjà, la Chambre a réorganisé son traitement des dossiers européens, une « cellule européenne » constituée de hauts fonctionnaires fait un premier tri des documents entrants, les classant soit dans le tas A (sans intérêt particulier pour le Luxembourg), soit sur la pile B : ces textes-là, touchant plus directement le grand-duché, sont transmis pour un examen plus détaillé aux commissions sectorielles. La commission des Affaires étrangères et européennes, présidée par l’infatigable militant pour la cause européenne qu’est Ben Fayot, fait le suivi des dossiers. Le but étant toujours de détecter au plus vite les dossiers risquant d’avoir des conséquences sur le Luxembourg et de discuter avec le gouvernement de la position à prendre afin d’y réagir au niveau européen.

Les résistances des députés quant à la nouvelle procédure à adopter, qui devra surtout être beaucoup plus rapide et transparente, a des raisons structurelles : ceux des députés qui concilient plusieurs mandats, nationaux et locaux, jonglent déjà avec leurs agendas et sont peu disponibles pour du travail supplémentaire. Ainsi, malgré l’invitation qui leur fut lancée pour un échange de vues sur le traitement des dossiers européens, le 8 octobre à la commission parlementaire, très peu de présidents de commissions sectorielles y ont participé. Pour colmater ces brèches, le parlement va embaucher des collaborateurs administratifs supplémentaires, Laurent Mosar veut ériger cette restructuration en priorité de son mandat de président, et les groupes parlementaires sont eux aussi encouragés à engager des spécialistes des affaires européennes pour les soutenir dans ce travail.

Les réticences du gouvernement quant à elles sont en partie d’ordre pratique – il n’existe guère de documents et de notes écrites sur l’évolution des dossiers européens, la représentation permanente à Bruxel-les et les délégations des ministères sont très petites – et, pour la plupart, d’ordre stratégique. En effet, le Luxembourg limite sa ferveur de négociation européenne aux thèmes vitaux, notamment tout ce qui a trait à la place financière et à l’harmonisation fiscale. Or, les ministres en charge craignent qu’une trop grande implication du Parlement, un excès de transparence ou une multiplication du nombre de personnes qui sont au courant de la stratégie de négociation que le Luxembourg va adopter à Bruxelles, pourrait tout simplement tout faire capoter. C’est une des raisons pour lesquelles la négociation de l’« Aide-mémoire sur la coopération entre la Chambre des députés et le Gouvernement du grand-duché de Luxembourg en matière de politique européenne », publié avec le Règlement de la Chambre des députés en mai ne fut pas facile. Et comporte un paragraphe sur la confidentialité de « certaines informations » et de la « nature éventuellement sensibles des négociations européennes » (Chapitre V). C’est la même crainte d’ailleurs que celle qui fait bondir certains hommes politiques à l’idée que les rapports de réunion des commissions parlementaires soient désormais publiés sur le site des Verts chamber.lu (d’Land, 30.10.2009). 

Pourtant, la Chambre des députés luxembourgeoise n’a pas demandé la mise en place d’un « mandat impératif », par lequel elle obligerait les ministres à ne défendre que la position arrêtée en commun à Bru­xelles. Les protocoles d’application de ces principes d’implication des parlements nationaux du traité sur l’Union européenne soulignent pour­tant clairement que le but de cette méthode d’organisation est « de faire en sorte que les décisions soient prises le plus près possible des citoyens de l’Union ». Au soir du 10 juillet 2005, après le référendum sur le projet de constitution européenne, tout le monde s’accordait à dire qu’il fallait rapprocher les citoyens de l’Europe, et mieux expliquer les vrais enjeux européens. Or, depuis lors, les changements ont été infinitésimaux dans le débat public. Les ambitions de Ben Fayot dans ce domaine sont simples : « J’aimerais que le débat européen soit démystifié et rejoigne la réalité politique ». Il voudrait que les discussions perdent un peu de leur dimension sentimentale et démagogique pour devenir plus rationnelles, « mais cela demandera forcément plus de travail ! »

josée hansen
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