Le blob, c’est la vie

d'Lëtzebuerger Land vom 11.02.2022

Le blob… c’est un nom rigolo, emprunté au film d’horreur éponyme, dans lequel Steve Mc Queen se bat contre une masse gluante qui grossit à chaque fois qu’elle mange quelqu’un. Le blob est jaune, visqueux, spongieux, mais surtout une véritable star internationale, génie sans cerveau, qui risque bientôt d’envahir les chambres de tous les enfants un peu geek ou simplement curieux. Lorsqu’un ami m’a annoncé que son fils a adopté un blob et a décidé de l’élever, il m’a fallu remettre en lumière cette créature extraordinaire et prendre de ses nouvelles. Quelle surprise alors de découvrir que c’est une véritable sensation scientifique et populaire.

Pour remettre un peu dans son contexte et pour ceux qui n’ont pas suivi ses aventures, le blob est une créature gluante, informe qui vit dans les sous-bois, sur des écorces ou des feuilles mortes. De son vrai nom Physarum polycephalum, il est littéralement inclassable (ni animal, ni végétal, ni champignon). Immortel (ou presque), il possède pas moins de 720 sexes différents (pour ceux qui éprouvent encore des difficultés avec la diversité des genres chez l’humain, essayez le blob), plus de 30 000 gènes au même titre que le génome humain. Il n’a pas de cerveau, mais possède une capacité mémorielle, d’apprentissage et de communication. Bienvenue dans le monde d’après, qui a des airs de science-fiction, car, non, ce n’est pas un cyborg créé par un humain un peu fou, mais bel et bien une création de la nature devenue un phénomène planétaire et scientifique dépassant les limites de la connaissance.

Organisme unicellulaire, le blob est capable de créer des algorithmes qui demandent à nous pauvres mortels des ressources mathématiques gigantesques. Le blob dépasse les capacités d’une équipe entière d’ingénieurs pour développer des réseaux efficaces, tout en étant capable de prendre en compte les obstacles éventuels. On se souvient de cette expérience folle du réseau de transport de Tokyo, le blob ayant réalisé en une nuit un réseau que les chercheurs ont qualifié de bien plus efficace que le vrai… Tout ça avec comme seule motivation (semble-t-il) la recherche de la nourriture composée de flocons d’avoine dont il raffole. Un certain Thomas Pesquet en a même emporté quatre spécimen avec lui lors de sa dernière mission spatiale, pour tester leur adaptation dans l’espace.

Alors pourquoi cette chose pas très attrayante à première vue est en passe de devenir une véritable tendance chez les jeunes et les moins jeunes ? Pourquoi son entrée au Parc zoologique de Paris a-t-elle eu un tel succès populaire ? Les sites pour apprendre à élever son blob se multiplient chaque jour, on peut y acheter son blob, apprendre à l’élever et à l’observer, partager ses expériences et résultats. Pour comprendre ce phénomène, nous sommes allés à la rencontre d’Oscar, quatorze ans et heureux propriétaire de Kevin, son blob. C’est à l’école qu’il a choisi d’adopter Kevin, en cours de biologie, parce que personne ne s’occupait de ces malheureux blobs, alors dormants (il s’endort dès qu’il est en milieu hostile). « J’en avais entendu parlé dans une émission et je trouve ça incroyable qu’une cellule puisse comprendre, apprendre, communiquer et survivre ». Kevin est à la fois sa chose de compagnie et une expérience en tant que telle. Oscar apprend, pas à pas, à l’élever et le faire grandir, et il prévoit d’expérimenter ses capacités hors norme. « Je vais expérimenter en commençant avec le sel qu’il déteste mais qu’il est capable d’appréhender. Il adapte son comportement en sa présence ». Pour l’instant il n’a pas beaucoup de supporters, ses camarades de classe regardant Kevin d’un œil à la fois circonspect et curieux, pourtant, l’objectif d’Oscar est très simple : « étendre la domination du blob sur le monde », rien de plus. Et Oscar n’est pas le seul à le penser, le CNRS en France a lancé une expérience à grande échelle, réunissant pas moins de 15 000 éleveurs volontaires, ainsi que 4 500 établissements scolaires, embarqués dans cette aventure scientifique, humaine, écologique un peu folle. Avant de rejoindre l’aventure, réfléchissez bien, s’il se sent bien, notre cher blob peut rapidement étendre sa domination sur son environnement, en commençant par votre intérieur.

Mylène Carrière
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